Justice constitutionnelle: Une option conceptuelle et institutionnelle d’affinage de l’Etat de droit

Dr Guillaume Joseph FOUDA
Chargé de cours à Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II-Soa


* L’article ne tient pas compte de la modification de la loi du 22 septembre 2012 réorganisant le Conseil Constitutionnel

L a justice constitutionnelle est l’une des institutions et des pratiques juridiques qui ont vocation à parfaire l’Etat de droit dans le sens de l’affinage du respect de l’ordonnancement juridique et de la hiérarchisation des normes juridiques judicieusement articulées. A côté du pouvoir judiciaire  strictement entendu comme étant le troisième pilier de la séparation des pouvoirs avec les pouvoirs exécutif et législatif, la justice constitutionnelle participe de la juridisation du débat politique et de la garantie des libertés et des droits fondamentaux, dans la mesure où il est question d’assurer le respect de la norme fondamentale de l’Etat par le législateur et  par l’ensemble des institutions étatiques dans l’optique d’inscrire le justiciable-citoyen dans la logique de ce que le système juridique anglo-saxon appelle the rule of law.


I- LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ: UNE CONCEPTION DOCTRINALE MODULÉE.
La théorie générale du droit constitutionnel nous enseigne que le contrôle de la constitutionalité des lois n’est pas un problème autonome, qu’il n’est qu’un corollaire des questions touchant à la nature substantielle de la Constitution, son caractère plus ou moins rigide, sa suprématie dans la hiérarchie des normes et, la constitutionnalisation de certains droits et libertés reconnus aux citoyens. De ce point de vue, toutes les règles de droit d’un rang juridique inférieur à la Constitution et tous les actes qui leur donnent naissance ou les modifient sont soumis au principe de constitutionnalité, il en est également des traités internationaux. Dès lors, le contrôle de constitutionnalité n’est autre chose que la vérification par une autorité compétente, la juridiction constitutionnelle en l’occurrence, que ce principe de constitutionnalité est effectivement respecté. Il en découle donc conceptuellement que «le contrôle de constitutionnalité n’est pas un danger pour la démocratie, il est au contraire une garantie contre les excès que pourraient commettre les représentants du peuple contre le peuple lui-même» .
Les différents modes procéduraux d’opérationnalisation du contrôle de constitutionnalité qui se déclinent principalement en ce qui est savamment nommé le contrôle par voie d’action et le contrôle par voie d’exception d’une part et le contrôle de constitutionnalité a priori d’autre part, nous permettent d’en mesurer la portée .
Le contrôle par voie d’action veut que les lois prétendues inconstitutionnelles soient déférées, dans les conditions que la Constitution détermine, à une juridiction qui peut alors les annuler si leur inconstitutionnalité est établie. Il y a, dans ce cas, une action directe en justice pour inconstitutionnalité.
Le contrôle par voie d’exception suppose que, dans un procès quelconque, une partie allègue de l’inconstitutionnalité de la loi; elle soulève une exception, un moyen de défense. Dans ce cas, les juridictions n’ont pas spécifiquement besoin d’un texte particulier pour examiner l’exception d’inconstitutionnalité. C’est dans cette optique que les tribunaux aux Etats-Unis d’Amérique sont venus à appliquer le contrôle de la constitutionnalité des lois. Il est cependant à noter que, dans ce cas d’espèce, la loi querellée n’est pas annulée car, le juge se limite à ne pas l’appliquer dans le cadre du litige dont il est saisi.
Le contrôle a priori de la constitutionnalité des lois revêt, quant à lui, une tout autre singularité. En effet, c’est avant sa promulgation que la loi est l’objet d’un contrôle dans les formes prévues par la Constitution. Et, ledit contrôle induit soit la non promulgation de la loi pour non-conformité à la Constitution, soit la révision de la Constitution elle-même.    
Il peut par ailleurs être opportunément relevé que le contrôle de constitutionnalité des lois n’a pas toujours été le fait d’une juridiction. Il en était ainsi en France avec la Constitution de l’An VIII (après la Révolution de 1789) et celle de 1852 où le Sénat avait mission de vérifier la constitutionnalité des lois, allant même jusqu’à apprécier de leur opportunité et de leur utilité politiques. Il peut aussi être fait mention du Comité constitutionnel de la IVe république française présidé par le Président de la République et comprenant, entre autre comme membres, le Président de l’Assemblée Nationale et le Président du Conseil (Chef du gouvernement) . D’autres éléments de droit comparé nous permettent d’apprécier la variabilité des choix opérationnels en matière de contrôle de constitutionnalité par un organe juridictionnel. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis d’Amérique, par exemple, le rôle de la Cour Suprême est essentiel dans la structure fédérale de l’Etat puisque cette dernière est au sommet du pouvoir judiciaire et, d’après la Constitution en son article 3, le pouvoir judiciaire connaît des litiges entre un ou plusieurs Etats (Etat fédéré s’entend), entre un Etat et des citoyens d’un autre Etat, entre citoyens d’Etats différents. Ladite Cour joue le rôle de juridiction suprême pour l’ensemble de l’ordre juridictionnel en ce qu’elle connaît, en dernier ressort, des litiges jugés par les différentes juridictions d’appel (les 13 Circuit Courts of Appeal of the United States) qui elles-mêmes coiffent les 94 juridictions de district (Disdrict Courts of the United States). Aussi, le rôle essentiel de la Cour Suprême est-il d’assurer de manière très complète le contrôle de constitutionnalité, y compris celui des traités traité internationaux. Ce principe du contrôle de constitutionnalité a été un fait de la jurisprudence découlant de la célèbre affaire Marbury c/ Madison de 1803 relative à la nomination des juges inamovibles par le Président des Etats-Unis. Ceci a, par la suite, permis de parler d’un véritable gouvernement des juges dans le fonctionnement des institutions politiques américaines .   

II- LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE CAMEROUNAISE: UNE APPROCHE INSTITUTIONNELLE OPÉRANTE.

Le choix opéré par le constituant camerounais en matière de justice constitutionnelle ne comporte pas de singularité institutionnelle spécifique si l’on s’en tient au modèle d’inspiration qui est celui de la Constitution française de 1958  et des différents modèles rencontrés à travers le monde . Il en ressort que le Conseil constitutionnel institué au Titre VIII de la Constitution du 18 janvier 1996 n’est pas formellement et organiquement rattaché au pouvoir judiciaire ; qu’il s’agit d’une institution publique autonome, aux attributions strictement définies .
Sur le plan organique, tel qu’il ressort tant des dispositions constitutionnelles que de celles de la loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel et de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004 portant statut des membres dudit Conseil, ce dernier comprend onze (11) membres désignés pour un mandat de neuf (09) ans non renouvelable choisis parmi les personnalités de réputation professionnelle établie, doublées d’une grande intégrité morale et d’une compétence reconnue. Ces différends membres sont nommés par le Président de la République suivant un système de désignation modulée comme suit: trois (03) membres choisis par le Président de la République; trois (03 membres choisis par le Président de l’Assemblée nationale après avis du Bureau de ladite Assemblée; trois (03) autres membres choisis par le Président du Sénat avec la même exigence de l’avis préalable du Bureau et, deux (02) membres choisis par le Conseil supérieur de la magistrature (art.51 de la Constitution de 1996). Il peut en outre être rappelé que les anciens Présidents de la République, en plus des onze membres statutaires, sont de droit membres à vie du Conseil constitutionnel.
Les attributions du Conseil constitutionnel se déclinent quant à elles de ce qu’il est «l’instance compétente en matière constitutionnelle» et «l’organe de régulation du fonctionnement des institutions» (art.46 de la Constitution). De ce fait, le Conseil constitutionnel statue souverainement sur la constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux, des règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Sénat avant leur application; des conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat, entre l’Etat et les Régions, entre les Régions (art.47 de la Constitution). Comme autres attributions, le Conseil Constitutionnel est doté d’une fonction strictement consultative en ce que, suivant les dispositions de l’article 47 al.4, il peut être appelé à donner son avis sur les questions relevant de sa compétence. Enfin, le Conseil constitutionnel est juge des élections dans la mesure où il lui revient, suivant les dispositions de l’article 48 de la Constitution, de veiller à la régularité de l’élection présidentielle , des élections parlementaires (législatives et sénatoriales) , des consultations référendaires . Il en proclame les résultats définitifs. Pour dire un mot sur le mode de saisine de la juridiction constitutionnelle, il peut être indiqué le fait prégnant des autorités statutairement définies à savoir, le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, les présidents des Conseils régionaux, un tiers des députés et un tiers des sénateurs pour ce qui est du contrôle de la constitutionnalité des lois et des rapports interinstitutionnels. En matière de contentieux électoral, la saisine du Conseil constitutionnel appartient aux candidats ou à leurs représentants suivant les conditions pertinentes de la loi portant Code électoral.  
En tant que juridiction à statut particulier et à attributions singulières, le Conseil constitutionnel est, en définitive, appelé à favoriser l’harmonie de l’ordonnancement juridique de l’Etat autant que la conformité de l’ensemble des normes juridiques à la Constitution. C’est, en toute logique juridique, ce qui explique que ses décisions ne puissent être l’objet d’un quelconque recours.


1 L’auteur est  Chef de la Cellule des Requêtes et du Contentieux au  Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation-

2 Suivant les dispositions de l’art.37 al.2 de la Constitution du 18 janvier 1996, «le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême, les Cours d’appel, les tribunaux. Il est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif».  Les dispositions des articles 2 et 3 de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun apportent davantage de précision à cette définition en ceci que l’organisation du pouvoir judiciaire s’articule autour de la Cour suprême, les Cours d’appel, les juridictions inférieures en matière du contentieux administratif, les juridictions inférieures en matière des comptes, les tribunaux militaires, les tribunaux de grande instance, les tribunaux de première instance et les juridictions de droit coutumier. Point mention donc du Conseil constitutionnel.  
3 Joël MEKHANTAR, Droit politique et constitutionnel, éd. ESKA, Paris, 1997, p.162.
4 La Constitution béninoise décrit de manière exhaustive les différents mécanismes d’opérationnalisation du contrôle de constitutionnalité. Voir les articles 117 et 121 pour ce qui est du contrôle a priori  et l’article 122 pour ce qui est du contrôle par voie d’action et par voie d’exception.
5 Articles 91 et  92 de la Constitution française du 27 octobre 1946.
6 Christian LERAT, La Cour Suprême des Etats-Unis: pouvoirs et évolution historique, P.U. de Bordeaux, Bordeaux, 1987.
7 Titre VII de la Constitution française du 04 octobre 1958.
8 Michel FROMONT, La justice constitutionnelle dans le monde, Dalloz, Paris, 1996.
9 Au titre du droit comparé, il peut être indiqué que la constitution sénégalaise du 07 mars 1963 intègre la juridiction constitutionnelle dans le pouvoir judiciaire et son art.80 dispose explicitement que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour de cassation, les Cours et les Tribunaux ». Il s’en suit que placé au sommet de la pyramide juridictionnelle, le Conseil constitutionnel sénégalais connaît des conflits de compétence entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ainsi que des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation (art. 82).
10 Les attributions du Conseil constitutionnel sont actuellement exercées par la Cour Suprême au titre des dispositions transitoires de l’article 67 al.4 de la Constitution du 18 janvier 1996.
11 Voir également les dispositions des articles 132 à 136 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral.
12 Voir respectivement les dispositions des articles 168 et 239 du Code électoral
13 Voir articles 209 à 211 du Code électoral.

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