M. Léonard Ambassa : M. Léonard Ambassa

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Expert-comptable et Secrétaire Général de l’ordre des Experts Comptables du Cameroun (onecca)

L’expert judiciaire près des tribunaux parle des rouages de son métier.

Monsieur l’expert, les tribunaux,  au moment de trancher un litige, peuvent être confrontés à des difficultés liées à certains aspects trop techniques du litige, objet du procès.  Recours est alors souvent fait à des spécialistes de domaines variés. Doit-on, selon vous, considérer ces intervenants ponctuels comme des auxiliaires de justice à part entière ?
Je vais répondre  à vos questions dans le cadre de l’expertise comptable. D’entrée de jeu, nous ne sommes pas  des auxiliaires de justices, nous clarifions la justice. Cependant, la mission que nous exerçons est une mission d’intérêt public. L’Ordre (ndlr Ordre National des Experts Comptables du Cameroun) exerce des missions d’Etat. L’Ordre mandate juste des experts. L’expert  comptable agit donc dans son domaine à titre exclusif, mais on assiste à une insertion d’autres personnes non reconnues par la loi. Mais, par rapport à la question, si on nous considère comme des auxiliaires du pouvoir de la justice, on perd notre indépendance. Or, l’indépendance n’est pas une vue de l’esprit dans notre métier. Elle est au centre de nos principes déontologiques.

Quel est le fondement règlementaire de cette intervention des experts dans le déroulement du procès ?

Il y a deux fondements règlementaires. Le règlement N° 11/01-UEAC-027-CM-07 portant  révision du Statut des professionnels libéraux de la comptabilitéet la loi N° 2011/009 du 06 mai 2011 relative à l'exercice des experts-comptables. Donc, par rapport à ces textes, les pouvoirs des comptables sont clairs. Mais, il y a aussi le pouvoir discrétionnaire du juge qui se réfère au tableau établi dans sa juridiction.  Ce fichier n’est malheureusement pas souvent actualisé. Il y a également les Actes Uniformes Ohada. Notamment l’Acte Uniforme sur le droit comptable. Il faut également signaler que l’expert comptable agit selon sa lettre de mission qui a valeur de contrat. Mais lorsqu’on prend des tiers, ils ne maîtrisent pas la subtilité de la lettre de mission. Et c’est dans cette lettre que l’expert expose les normes auxquelles il se réfère pour produire son rapport.

Quelles sont les difficultés  les plus  remarquables auxquelles les experts font face dans le cadre de cette collaboration ?
La première difficulté à mon avis, est au niveau des honoraires. Généralement, ce qui laisse l’expert indépendant, ce sont les honoraires qu’il fixe en fonction de sa mission. Or, dans le jugement avant dire-droit, le magistrat fixe arbitrairement les frais. Par exemple, les enquêtes dans les affaires « Epervier » sont très coûteuses. L’expertise peut être menée dans des banques de plusieurs pays. En préfixant les frais, le juge fait courir à la qualité du travail un sérieux risque. Parfois, l’expert est démotivé. Le juge doit missionner et attendre la planification par rapport à l’objectif. S’il veut contrôler, il peut faire recours à l’Ordre pour mettre en balance les tarifs proposés.
L’autre difficulté peut être la pression. Dans un dossier, on peut appeler l’expert pour le menacer. Mais, il y a le code de déontologie des comptables professionnels  qui lui autorise d’arrêter la mission. Mais cela  dépend aussi de la personnalité de l’expert, certains sont intimidables et d’autres pas. Mais, il doit avoir peur non pas de l’intimidateur mais de la sanction de l’Ordre en cas de publication d’une sanction disciplinaire pouvant être prise en cas de fausse expertise. C’est la perte de crédit. C’est pire que la prison.

Concrètement, à quel moment un expert peut être appelé à la barre et par qui ? Qui en a la charge financière ?

Généralement, lorsqu’un expert planifie son travail, il attend soit des honoraires, soit au moment où il fait la lettre de mission, il fait l’état des frais. A défaut, il insère les surplus dans ses honoraires. Généralement, c’est le magistrat qui appelle l’expert à la barre.

Faut-il,  selon vous, dans une optique de fiabiliser l’expertise judiciaire, suivre l’exemple   d’un certain droit processuel comparé, je pense au Maroc, c’est-à-dire, lier l’assistance judiciaire de l’expert à son adhésion à un tableau national des experts ?
Je suis d’avis. Mais alors, il ne faut pas confondre. Une personne qui est  par exemple comptable d’entreprise  n’est pas un expert. Soyons clairs. Dans nos pays, on ignore cette nuance. Parce que la mission de l’expert comptable est d’intérêt public, il faut donc protéger le contribuable. Il ne faut pas laisser la profession d’expert aux fantaisistes. Un tableau, c’est plus sûr car l’attestation d’inscription à l’ordre est délivrée à la suite d’une batterie de tests et de contrôles.

Pour ce qui est de la responsabilité. Doit-on la renforcer pénalement en cas défaillance ?

En fait, chaque fois que l’on se frotte à la justice, on est exposé à la sanction pénale. Mais, les experts ont une obligation de moyens et non des résultats. Dès lors, il ne faut que prouver qu’on a agi selon tous les moyens qui étaient à sa portée. Si c’est le cas, alors, ni pénalement ni disciplinairement, sa responsabilité ne peut être engagée.

Propos recueillis par Willy S. ZOGO

Marius Nguimbous
Marius Nguimbous

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