Lumière sur la cour de Justice de l’OHADA : « La CCJA a une triple fonction consultative, juridictionnelle et arbitrale »

M. KENFACK DOUAJNI Gaston, Directeur de la Législation au Ministère de la Justice

Spécialiste du droit des affaires de l’OHADA en général et du droit africain de l’arbitrage, M. Gaston Kenfack Douajni détaille les contours de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, basée à Abidjan en Côte d’Ivoire.

M. le Directeur de la Législation au Ministère de la Justice, on entend parler de la Cour Commune de Justice et d’arbitrage (CCJA) de L’OHADA ; quel est son rôle ? Et par rapport à nos cours de cassation nationales ?

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) est l’organe juridictionnel commun et supranational de l’OHADA. Basée à Abidjan en Côte d’Ivoire, la CCJA a une triple fonction juridictionnelle, consultative et arbitrale.

Dans sa fonction consultative, la CCJA peut être consultée par tout Etat membre de l’OHADA ou par le Conseil des Ministres de l’OHADA sur toute question relative au traité OHADA, aux règlements pris pour l’application dudit traité, aux actes uniformes OHADA et aux décisions du Conseil des Ministres. Les juridictions nationales d’instance et d’appel saisies d’affaires mettant en cause l’application du droit OHADA peuvent également solliciter l’avis consultatif de la CCJA.

Dans sa fonction juridictionnelle, la CCJA est la Cour Suprême des Etats parties à l’OHADA pour les affaires concernant le droit OHADA. À ce sujet, le traité OHADA précise que le contentieux relatif à l’application des actes uniformes est réglé en instance et en appel par les juridictions des Etats parties. Il en résulte que les affaires dans lesquelles le droit OHADA est invoqué, sont jugées dans les Etats membres de l’OHADA par les tribunaux d’instance et les Cours d’Appel. Les pourvois contre les arrêts des Cours d’Appel qui statuent sur des affaires mettant en cause l’application du droit OHADA doivent normalement être portés directement devant la CCJA à Abidjan. Et si, par extraordinaire, ces pourvois sont portés devant les Cours Suprêmes ou de Cassation nationales, celles-ci doivent, au terme du traité OHADA, se déclarer incompétentes et renvoyer l’affaire devant la CCJA.

Dans sa fonction arbitrale, la CCJA administre un système d’arbitrage institutionnel. Dans cette fonction, elle ne tranche pas elle-même les litiges arbitraux qui lui sont soumis. Elle dispose cependant d’un règlement d’arbitrage sur la base duquel elle met en place des tribunaux arbitraux et veille à la gestion desdits litiges par ces tribunaux arbitraux, conformément à son règlement d’arbitrage.

Comment et qui peut saisir cette juridiction ?

Toute partie, y compris les Etats OHADA, impliquée dans une affaire qui soulève des questions relatives à l’application des actes uniformes OHADA, peut saisir la CCJA par voie de pourvoi, comme relevé plus haut.

Quelle est la composition de la CCJA et comment sont désignés ses membres ?

A l’origine, la CCJA était composée de sept Juges dont le mandat était de sept ans renouvelables une fois. La modification du traité OHADA a porté à neuf, le nombre de Juges la composant et réduit leur mandat à sept ans non renouvelable. Cette modification du traité a par ailleurs habilité le Conseil des Ministres à augmenter le nombre de Juges de la CCJA, en tenant compte des nécessités de service et des possibilités financières de l’OHADA. Le Conseil a effectivement procédé à l’augmentation du nombre de Juges à la CCJA. Actuellement, elle comprend treize Juges.

Pour ce qui est de la désignation des membres de la CCJA, le principe est édicté par les textes pertinents de l’OHADA. Et d’après ces textes, les Juges sont élus par le Conseil des Ministres, sur la base d’une sélection des candidatures par un Comité ad hoc mis en place deux mois avant l’élection. Les candidats au poste de Juges de la CCJA doivent être des Magistrats ayant acquis une expérience professionnelle d’au moins quinze années, et réunissant les conditions requises pour l’exercice, dans leurs pays respectifs, de hautes fonctions judiciaires. Les Avocats et Professeurs de droit ressortissants des pays de l’OHADA ayant au moins quinze années d’expérience professionnelle, sont également éligibles. Chaque pays peut présenter deux candidatures au plus.

Concrètement, comment fonctionne la CCJA ?

La CCJA a une triple fonction consultative, juridictionnelle et arbitrale, et son siège est fixé à Abidjan (Côte d’Ivoire), comme précisé plus haut. Son Règlement de procédure prévoit qu’elle peut se réunir en audience foraine sur le territoire d’autres Etats parties, mais avec l’accord préalable de ceux-ci. Devant la CCJA, le ministère d’avocat est obligatoire.

La procédure devant la CCJA est essentiellement écrite. C’est dire que la CCJA statue sur pièces ; elle n’est jamais obligée d’accéder à la demande des avocats qui souhaiteraient plaider devant elle et sollicitent  qu’elle organise une procédure orale à cet effet. Les arrêts de la CCJA sont exécutoires dans l’espace OHADA.

On sait que le siège de la Cour est en Côte d’Ivoire. Cela n’induit-il pas un problème de distance pour les justiciables des autres Etats parties?

La localisation du siège de la CCJA à Abidjan en Côte d’Ivoire, ne pose plus de problèmes de distance pour les justiciables depuis le 30 janvier 2014, date à laquelle le Conseil des Ministres a modifié le Règlement de procédure de cette instance. Dans ce Règlement, il est énoncé que l’élection de domicile au siège de la CCJA n’est pas obligatoire.

En effet, le pourvoi peut indiquer que l’avocat dont le domicile professionnel se trouve localisé dans l’espace OHADA, ailleurs qu’à Abidjan, consent à ce que les significations lui soient adressées par courrier électronique, télécopieur ou tout autre moyen technique de communication laissant trace écrite.

C’est dire, à titre d’exemple, que les avocats des parties camerounaises ayant saisi la CCJA ne sont plus obligés d’élire domicile chez un confrère à Abidjan. Ils peuvent rester au Cameroun et faire parvenir leurs écritures à la CCJA, qui statue essentiellement sur pièces, comme déjà relevé.

Il est dit que la Cour ne fonctionne pas de manière optimale, quels sont ses problèmes ?

Les lenteurs dans le traitement des affaires à la CCJA et les critiques récurrentes que suscitent ses décisions pourraient expliquer cette affirmation.

Les décisions arbitrales de la Cour, pour être exécutées, ont besoin d’exéquatur. Qu’est ce que cela signifie et quelle est la portée d’un tel acte ?

En matière judiciaire, l’exequatur consiste dans l’autorisation donnée, par une juridiction de procéder à l’exécution forcée d’une décision judiciaire étrangère, ou d’une sentence arbitrale.

Les sentences arbitrales rendues par les tribunaux arbitraux mis en place sous l’égide de la CCJA ont un caractère obligatoire, comme toute autre sentence arbitrale. Du fait de ce caractère obligatoire, la sentence arbitrale doit être spontanément exécutée par la partie perdante. A défaut d’exécution spontanée, la sentence arbitrale peut faire l’objet d’une exécution forcée, moyennant l’obtention de l’exéquatur.

Lorsque la sentence arbitrale est une sentence CCJA, le Président de la CCJA ou le Juge de la CCJA qu’il délègue à cet effet, est seul compétent pour accorder l’exéquatur à ladite sentence qui n’aura pas été spontanément  exécutée. Cet exéquatur accordé par le Président de la CCJA ou par son Juge délégué a un caractère communautaire, d’autant qu’il rend la sentence CCJA exécutoire dans tous les pays de l’espace OHADA.

Peut-on appliquer ces décisions partout dans l’espace OHADA, sans autre forme de procès ?

Dès lors que les arrêts de la CCJA et les sentences arbitrales CCJA revêtus de l’exéquatur ont un caractère exécutoire dans l’espace OHADA, comme expliqué plus haut, ces décisions sont susceptibles d’exécution forcée après apposition, sur lesdites décisions, de la formule exécutoire par l’autorité compétente dans chaque pays membre de l’OHADA. Au Cameroun, le Chef de l’Etat a désigné, par décret, le Greffier en Chef de la Cour Suprême comme étant cette autorité compétente.

Les juges de la CCJA sont-ils juges de droit ou de fait ?

La CCJA est juge de fait et de droit, en vertu de son pouvoir d’évocation en matière juridictionnelle mentionné plus haut.

En effet, dans sa fonction juridictionnelle, la CCJA dispose du pouvoir d’évocation. Ce pouvoir fait d’elle un troisième degré de juridiction. Ce qui l’habilite à juger en fait et en droit, à la différence de la plupart des Cours Suprêmes, qui n’ont pas le pouvoir de réexaminer les faits de l’affaire, et se bornent à vérifier que le droit a été convenablement appliqué aux faits tel qu’ils lui sont soumis. Dans ce schéma classique, la Cour Suprême nationale qui décide de casser la décision qui lui est soumise, renvoie ensuite l’affaire devant la même Cour d’Appel autrement composée, ou devant une autre Cour d’Appel, afin que celle-ci statue dans le sens qu’elle a indiqué. Or, du fait de son pouvoir d’évocation mentionné plus haut, lorsque la CCJA décide de casser la décision qui lui est déférée, elle retient l’affaire et statue en fait et en droit.

On mentionnera au passage, et à toutes fins utiles, que la réforme de 2006 a érigé la Cour Suprême du Cameroun en troisième degré de juridiction.

Quel bilan peut-on dresser de la production juridictionnelle de la Cour ?

Selon les rapports d’activités de la CCJA depuis son entrée effective en fonction en 1997 jusqu’au 22 décembre 2014, la Cour a rendu 963 arrêts sur 1776 pourvois reçus. Du 1er janvier au 12 mai 2015 elle a rendu 86 arrêts. Soit au total 1049 arrêts rendus de 1997 à mai 2015. Ceci représente, en 18 années de fonctionnement effectif, une moyenne de 59 arrêts par an.

Ce qu’il convient de prendre en compte, c’est le fait que la CCJA a commencé à fonctionner avec sept (07) Juges. Ensuite il y en a eu neuf (09). Depuis avril 2015 et jusqu’aujourd’hui, la Cour  Commune de Justice et d’Arbitrage comprend treize (13) Juges.

Propos recueillis par Emilienne N. Soué

 

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