Les Grands procès de l’histoire

N°46- Affichages : 825

Le procès de Kravchenko : une vérité malvenue ?

En 1949, le transfuge soviétique Victor Kravchenko poursuit en diffamation l’hebdomadaire communiste Les Lettres françaises, qui l’accuse de mentir sur les événements décrits dans son livre autobiographique « J’ai choisi la liberté ! » On était alors à l’apogée du stalinisme.

En 1949, le transfuge soviétique Victor Kravchenko poursuit en diffamation l’hebdomadaire communiste Les Lettres françaises, qui l’accuse de mentir sur les événements décrits dans son livre autobiographique « J’ai choisi la liberté ! ».

 

UN LIVRE POLEMIQUE

Tout a commencé avec le livre percutant de Kravchenko apparu sur les étagères des librairies françaises en 1947 « J’ai choisi la liberté ! La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique ». Dans ce récit traitant de sa vie quotidienne, Kravchenko y dénonce la collectivisation, les purges et le goulag en Union soviétique, pays alors célébré pour sa victoire sur Hitler et le nazisme.

Le 13 novembre 1947, l’hebdomadaire Les Lettres françaises, proche du PCF, publie un article à charge « Comment on a fabriqué Kravchenko ». Signé Sim Thomas, le texte est en réalité rédigé par le journaliste réputé André Ullmann, résistant français qui lutta contre les allemands au côté de ses camarades russes. Celui-ci vilipende Victor Kravchenko, le qualifie d’« escroc », de « traitre », d’ « ivrogne », ou encore de « désinformateur » à la solde des services secrets américains. En réaction, Victor Kravchenko porte plainte contre le journal pour diffamation.

 

UN PROCES POLITIQUE

Le procès fortement médiatisé débute le 24 janvier 1949 devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris; chambre spécialisée dans les affaires de presse. D’un côté du prétoire, Kravchenko venu des Etats-Unis avec son avocat Maître George Izard, ex-député socialiste et résistant. De l’autre, Claude Morgan, directeur des Lettres françaises et son rédacteur André Wurmser, défendus par Maîtres Nordmann et Blumel, eux aussi anciens résistants et communistes. Le PCF, alors au gouvernement et qui représente 28.6 % des voix, veut défendre à tout prix son prestige fraichement acquis dans la Résistance. 

Le procès dure deux mois, plus de 100 témoins s’expriment. Maître Blumel, ancien avocat de Léon Blum, invite des hommes politiques, des écrivains, des intellectuels, des compagnons de route du PCF – Louis Martin-Chauffier, Roger Garaudy, Fernand Grenier, Pierre Courtade, Emmanuel d'Astier de la Vigerie – ces « témoins de moralité » sont tous convaincus qu’il n’est « pas possible que le marxisme-léninisme engendre les choses qu’il a dépassées ». Les amis et collègues de Kravchenko, son chef général Rudenko et sa première femme Zinaida Gorlova viennent d’URSS pour témoigner contre le « traître ». Le procès est public, la salle comble et de la place d’accusateur, Kravchenko passe très vite à celle de l’accusé.

 

UN EVENEMENT CRUCIAL

 

Pourtant, il n’abandonne pas. Orateur passionné, il répond à toutes les attaques. Il appelle à témoigner dix-sept « personnes déplacées », des immigrés torturés par le Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD) qu’il a retrouvés en publiant des annonces dans la presse russophone en Occident.

A la barre, témoigne également Margarete Buber-Neumann, la veuve du dirigeant communiste allemand Heinz Neumann, éliminé à Moscou pendant les purges. Arrêtée en 1933 et envoyée au Goulag en Sibérie, elle a été déportée à Ravensbrück en Allemagne en 1937. Celle qui a miraculeusement échappé à la mort raconte son histoire bouleversante devant la Cour et les conditions de détention terribles des camps soviétiques. Après l’avoir écoutée Simone de Beauvoir s’exclame : « Depuis que j’ai entendu cette allemande, je crois ! Je crois que Kravchenko dit la vérité sur tout.»

 

UN PROCES GAGNE, MAIS UNE CAUSE PERDUE ?

Le 4 avril 1949 la Cour annonce le verdict et accorde à Kravchenko à titre de dommages et intérêts 150 000 francs, et condamne Claude Morgan et André Wurmser à 5000 francs d'amende chacun.

Ce procès historique va être utilisé ensuite comme tribune politique par les deux blocs, antisoviétiques et communistes. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, à l’heure des premières tensions du début de la guerre froide, il sert à remobiliser le PCF. L’URSS, berceau du communisme, sort ainsi indemne du procès et continue à incarner « une idée de la révolution » et « un élément du nouvel équilibre mondial » face à l’impérialisme américain selon Louis Bodin1.

La dernière déclaration de Victor Kravchenko est clairvoyante : « Le tyran Hitler est mort et après sa mort on a tout su, le tyran Staline mourra et on saura tout ». En 1956, les crimes contre l'humanité commis par le régime totalitaire sont révélés partiellement par Khrouchtchev lors du 20ième congrès du parti communiste, puis dans toute leur ampleur lors de l’effondrement de l’Union Soviétique assurant à ce procès, une place dans la mémoire collective.

Viktor Andreïevitch Kravchenko, né le 11 octobre 1905 à Iekaterinoslav (aujourd'hui Dnipro) et mort le 25 février 1966 à New York.

  1. Bodin Louis. Autour de Kravchenko. Relectures. In: Politix, vol. 5, n°18, Deuxième trimestre 1992. Back in the USSR - Représentations de l'Union soviétique, sous la direction de Loïc Blondiaux et Sylvie Gillet. pp. 129-136.

 

Sources Institut Français de Presse

Super Utilisateur
Super Utilisateur

Articles liés