Inefficacité des normes ou vide législatif ?
L’expansion du numérique dans le monde relève aujourd’hui d’une lapalissade. Comme la mondialisation, l’interconnexion des peuples se fait et se fera dorénavant par le canal des technologies nouvelles qui sont celles de l’information et de la communication. Son domaine est si précis, pourtant à y voir de très près, l’information et la communication sont loin d’être les seules concernées par cette technologie nouvelle. Pour pallier au rapetissement d’un domaine aussi vaste, l’appellation aujourd’hui consacrée est celle de numérique. Cette nouvelle appellation permet à cette technologie de s’introduire dans tous les domaines de la vie humaine. Le numérique devient un élément de la vie en société. Celle-ci étant régie par le droit selon la maxime consacrée ubisocietasibi jus, bien que discutable dans les contextes des sociétés africaines et encore plus camerounaise, cette discipline ne manque pas comme bien d’autres de s’en saisir pour y établir une certaine régulation.
Comme on peut le constater, le droit est infatigable. Il se saisit de tous les aspects de la vie de l’homme, surtout quand ils sont nouveaux. Hier déjà on parlait de droit des TIC, aujourd’hui de droit du secteur numérique et encore de plus en plus il est disséqué pour obtenir des droits plus spécifiés comme le droit des logiciels, droit d’internet, droit des réseaux etc… On doit cependant reconnaitre que le numérique en tant que structure de modification des comportements sociaux agit sur les branches du droit existant et ébranle leurs textures. A travers le numérique, on peut commercer, commettre des infractions, communiquer, informer, voter, etc… On observe par ce fait la dématérialisation des activités humaines non sans conséquences. Cette observation nous conduit donc à s’interroger sur ce secteur, l’efficacité des normes de régulation et surtout sur leur effectivité. Il ne s’agit point de vaines questions. L’observation de la société camerounaise conduit au constat de l’usage inadéquat des technologies de l’information et de communication et partant du numérique. Les communications dans les réseaux sociaux en sont une illustration de cette dérive. Il n’est plus un secret pour personne que de dire que ces réseaux constituent un no man’s land. Chacun y va comme il pense et l’utilise très souvent à des fins répréhensibles. Combien sont-ils qui se sont vus injurier, arnaquer ou diffamer par le biais du numérique ? La moisson sera grande si on procédait à un inventaire. Cette situation n’est cependant pas due à une absence de régulation même si parfois on peut observer un certain vide législatif. Et donc pour répondre à notre questionnement et apporter des observations sur la situation du droit du numérique au Cameroun, il est indiqué de scruter l’état et l’efficacité des normes existante avant de démontrer les négligences du législateur dans un domaine aussi important.
L’ÉTAT DE LA RÉGULATION DU SECTEUR DES TIC AU CAMEROUN
La protection de l’individu et de la société contre la mauvaise utilisation des technologies est nécessaire et doit être prise en considération par les règlementations. L’objectif de toute régulation est en général un fonctionnement correct pour permettre le respect des valeurs supérieures de la société et assurer un minimum d’équité. Faut-il rappeler cette belle expression du philosophe la CARDERE ; « entre le faible et le fort c’est la loi qui libère ». La préoccupation essentielle du droit est à la fois de prohiber certains comportements et de maintenir certaines valeurs. Le droit, devant savoir s’adapter aux technologies, il n’a pas échappé au législateur camerounais qu’il devait produire des normes pour réguler le secteur des TIC. L’inventaire des normes produites jusqu’à ce jour au Cameroun met en présence la Loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cyber sécurité et à la cybercriminalité. Cette loi régit le cadre de sécurité des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information, définit et réprime les infractions liées à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication au Cameroun. A ce titre, elle vise notamment à :
- Instaurer la confiance dans les réseaux de communications électroniques et les systèmes d’information ;
- Fixer le régime juridique de la preuve numérique, des activités de sécurité, de cryptographie et de certification électronique;
- Protéger les droits fondamentaux des personnes physiques notamment le droit à la dignité humaine, à l’honneur et au respect de la vie privée, ainsi que les intérêts légitimes des personnes morales.
On peut aussi citer la Loi n°2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. Cette dernière loi résulte de l’impulsion du droit communautaire, notamment de l’Ohada qui dans la réforme de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général en 2010 aborde la question. La principale innovation a consisté en l’intégration des technologies de l’information dans l’accomplissement des formalités relatives au droit commercial ainsi qu’aux sûretés par le biais des registres nationaux et régionaux du commerce et de crédit mobilier. Le nouvel Acte uniforme devrait également contenir des dispositions relatives à l’ « écrit électronique »; à la « signature électronique qualifiée » ainsi qu’à « l’archivage électronique ». La loi camerounaise vient ainsi encadrer l’activité économique par laquelle une personne effectue ou assure par voie électronique la fourniture des biens ou des services : le commerce électronique.
Toujours en cette année de 2010 le législateur camerounais a proposé une autre loi dans le secteur du numérique ; il s’agit de la Loi n° 2010 / 013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun. Cette dernière loi régit les communications électroniques au Cameroun.
A ce titre, elle :
- Vise à promouvoir le développement harmonieux et équilibré des réseaux et services de communications électroniques, en vue d’assurer la contribution de ce secteur au développement de l’économie nationale, et de satisfaire les besoins multiples des utilisateurs et de la population ;
- Fixe les modalités d'établissement et d'exploitation des réseaux de communications électroniques ainsi que de fourniture des services de communications électroniques dans le respect des prescriptions exigées par la défense nationale et la sécurité publique;
- Encourage et favorise la participation du secteur privé au développement des communications électroniques dans un environnement concurrentiel.
- Chacune de ces lois venaient ainsi réguler un domaine voire plusieurs que le numérique commençait déjà à sécuriser. Ainsi, dans la loi sur la cyber criminalité et la cyber sécurité va dès lors imposer à l’administration chargée des télécommunications d’élaborer et de mettre en œuvre, la politique de sécurité des communications électroniques et des systèmes d’information en tenant compte de l’évolution technologique et des priorités du gouvernement dans ce domaine. Elle doit de ce fait :
- Assurer la promotion de la sécurité des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information ainsi que le suivi de l’évolution des questions liées aux activités de sécurité et à la certification ;
- Coordonner sur le plan national les activités concourant à la sécurisation et à la protection des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information ;
- Veiller à la mise en place d’un cadre adéquat pour la sécurité des communications électroniques ;
- Arrêter la liste des autorités de certification ;
- Assurer la représentation du Cameroun aux instances internationales chargées des activités liées à la sécurisation et à la protection des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information. La loi va dès lors, pour mener à bien ces missions mettre sur pied une Agence Nationale des Technologies de l’information et de la communication (ANTIC). Cette agence est chargée de la régulation des activités de sécurité électronique, en collaboration avec l’Agence de Régulation des télécommunications (ART). L’ANTIC va assurer pour le compte de l’Etat, la régulation, le contrôle et le suivi des activités liées à la sécurité des systèmes d’information et des réseaux de communications électroniques, et à la certification électronique. A ce titre, elle a notamment pour missions :
- D’instruire les demandes d’accréditation et de préparer les cahiers des charges des autorités de certification et de les soumettre à la signature du ministre chargé des télécommunications ;
- De contrôler la conformité des signatures électroniques émises ;
- De participer à l’élaboration de la politique nationale de sécurité des réseaux de communications électroniques et de certification ;
- D’émettre un avis consultatif sur les textes touchant à son domaine de compétence ;
- de contrôler les activités de sécurité des réseaux de communications électroniques, des systèmes d’information et de certification ;
- D’instruire les demandes d’homologation des moyens de cryptographie et de délivrer les certificats d’homologation des équipements de sécurité ;
- De préparer les conventions de reconnaissance mutuelle avec les parties étrangères et de les soumettre à la signature du ministre chargé des télécommunications ;
- D’assurer la veille technologique et d’émettre des alertes et recommandations en matière de sécurité des réseaux de communications électroniques et de certification ;
- De participer aux activités de recherche, de formation et d’études afférentes à la sécurité des réseaux de communications électroniques, des systèmes d’informations et de certification ;
- De s’assurer de la régularité, de l’effectivité des audits de sécurité des systèmes d’information suivant les normes en la matière, des organismes publics et des autorités de certification ;
- D’assurer la surveillance, la détection et la fourniture de l’information sur les risques informatiques et les actes des cybercriminels ;
- D’exercer toute autre mission d’intérêt général que pourrait lui confier l’autorité de tutelle. La loi ne se limite cependant pas aux énoncés généraux. Elle engage des responsabilités tant civiles que pénales. Dans le premier cas, la responsabilité résultera de la violation des obligations mises à la charge des fournisseurs d’accès, de services et des contenus. En matière de responsabilité pénale, l’énoncé de la loi est suffisamment clair pour en indiquer le contenu. Une part belle est faite aux dispositions relevant du droit de forme, à la coopération judiciaire internationale et de fond. Sur ce dernier plan, on pourra constater qu’il existe un catalogue d’infraction et de peine. Les peines allant de l’interdiction à l’emprisonnement en passant par l’amende.
La Loi n°2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun vient aussi réguler un secteur pas moins important. Les échanges en ligne prennent de la proportion dans l’activité commerciale. La loi précise que l’exercice du commerce électronique est libre à l’exclusion :
- Des jeux d’argent, des paris et des loteries légalement autorisés ;
- Des activités de représentation et d’assistance en justice ;
- Des activités exercées par les notaires. Elle indique aussi que l’exercice du commerce électronique est soumis au respect des dispositions relatives :
- Aux conditions d’établissement et d’exercice dans le domaine de l’assurance, prévues par les instruments internationaux et nationaux pertinents ;
- Aux pratiques anticoncurrentielles et à la concentration économique ;
- A l’interdiction ou à l’autorisation de la publicité non sollicitée, envoyée par courrier électronique ;
- Au code des douanes de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ;
- Au code général des impôts ;
- Aux droits protégés par les lois et règlements relatifs à la propriété intellectuelle. Outre ces domaines d’exigences générales la loi régit aussi la publicité par voie électronique, les contrats souscrits par voie électronique et aussi la responsabilité des prestataires et des intermédiaires. La loi ne manque pas d’aborder les questions pénales. Par référence au code pénal on pourra ici voir la répression de l’escroquerie, des abus de faiblesse et de la violation du secret professionnel.
Quant à la Loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun, on peut constater qu’il est établi un régime juridique des réseaux et des services de communications électroniques, les dispositions communes aux régimes d'autorisation et de déclaration, la réglementation de la régulation et du contrôle des communications électroniques, l’aspect le plus le marquant la protection du consommateur. Les articles 51 et suivant de la Loi disposent que les consommateurs, dans leurs relations avec les opérateurs, ont droit à un contrat d’abonnement dont le modèle est préalablement validé par l’Agence. Le consommateur des services de communications électroniques a droit notamment :
- A l’accès aux services de communications électroniques, avec des standards de qualité et de régularité inhérents à sa nature, partout sur le territoire national ;
- A la liberté de choix de son fournisseur de services ;
- A la non-discrimination en matière d’accès et de conditions d’utilisation du service ;
- A l’information adéquate concernant les conditions de fourniture des services, les tarifs et les autres frais afférents ;
- A l’inviolabilité et au secret de ses communications, excepté dans les conditions légalement et réglementairement applicables ;
- A sa demande, à la non-divulgation de son identificateur d’accès ;
- A la non-suspension du service fourni, excepté pour non-respect des clauses de son contrat ;
- A l’information au préalable sur les clauses de suspension du contrat ;
- A la saisine de l’Agence et des organismes de protection des consommateurs, des plaintes contre le fournisseur de services ;
- A des réponses du fournisseur de services concernant ses plaintes ;
- A une indemnisation pour les dommages découlant de la violation de ses droits. Le consommateur des services de communications électroniques a l’obligation :
- D’utiliser adéquatement les services, équipements et réseaux de communications électroniques mises à sa disposition ;
- De respecter la propriété publique ;
- De communiquer aux autorités compétentes, les irrégularités et actes illégaux commis par les fournisseurs de services de communications électroniques. Les opérateurs prennent toutes les mesures relatives notamment, à la protection de la vie privée, à la sécurité, à l’information sur la qualité de service, les tarifs et les coûts de communications électroniques. A l’aune de ce dispositif normatif aujourd’hui un peu dépassé et inadéquat à l’environnement numérique actuel, il est nécessaire de procéder à une réforme de la législation pour combler un certain vide.
LA NÉCESSITÉ D’UNE NOUVELLE RÉGULATION POUR COMBLER LE VIDE
La montée en puissance de la digitalisation n’épargnant plus aucun domaine de la vie humaine, on devrait s’accorder pour reconnaitre que si certains domaines ont déjà fait l’objet de régulation, il n’en demeure pas moins vrai qu’on puisse constater un vide législatif dans d’autres domaines. Le droit pénal par exemple s’est facilement adapté à Internet, les activités économiques aussi ; même si on doit noter qu’il n’existe pas encore un droit pénal ou économique de l’Internet. Par contre, si nous convoquons les biens et plus précisément le droit d’auteur ou encore le droit des contrats, il serait facile de relever un vide normatif.
Il est évident que le droit d’auteur au Cameroun n’a pas évolué au même titre que l’électronique la protection de la création, des brevets et autre logiciels informatiques ne peuvent répondre au critère matériel de protection de l’œuvre de l’esprit. On peut bien se demander si les droits actuels peuvent efficacement régir les créations dans le domaine du numérique.
En plein essor, le commerce sur Internet s’épanouit actuellement dans des conditions de sécurité juridiques peu satisfaisantes. Des transactions sont conclues entre cocontractants qui s’ignorent, mais acceptent de se fier à des rencontres purement électroniques. Elles ne sont à l’abris ni d’un disfonctionnement accidentel du réseau, ni d’agissements malveillants des tiers, ni enfin d’un comportement malhonnête du correspondant lui-même. Sauf précaution particulière, le risque n’est pas négligeable d’être trompé par une fausse identité, un message dont le contenu a été volontairement ou non altéré, ou dont l’expéditeur refuse d’endosser la paternité.
Le défi à relever par le droit en général est l’adaptation de ses règles à la dématérialisation des opérations. La réalisation de cet objectif passe impérativement et préalablement par le renforcement des normes applicables aux contrats en ligne. On aurait pu s’attendre à ce que le commerce électronique engendre une globalisation des pratiques, et pourquoi pas une conception diffuse et désincarnée des agents du droit. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont de nouveaux risques à un coût très bas. Elles ajoutent de nouveaux risques à ceux traditionnellement encourus par les consommateurs. Elles contribuent également à la complication des risques existants. Les pouvoirs publics se doivent d’exercer une surveillance attentive pour préserver l’intérêt général menacé par les intérêts particuliers. Par exemple, pour une protection efficace du cyberconsommateur face aux mirages de la publicité, sa réglementation doit sortir de la sphère traditionnelle du contrôle du contenu pour s’étendre au support lui-même.
Si l’Internet offre à l’évidence de nouvelles formes de communication, l’Etat doit nécessairement prendre des mesures pour protéger ces diffusions. L’internet crée un nouvel espace publicitaire, son développement appelle une étude de nouvelles questions juridiques posées par la publicité en ligne. D’une manière générale, le dispositif légal camerounais a vocation à garantir des pratiques loyales en matière de publicité. Par ailleurs il veille à ce qu’elle ne porte pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Le développement de la vente électronique nécessite la mise en place d’éléments propres à entraîner la confiance des consommateurs dans leurs transactions. Par tout ceci une réforme des textes sur le numérique reste une nécessité absolue.