Décentralisation : Collectivités territoriales

Décentralisation : Collectivités territoriales

En éclatant le ministère de l’Administration Territoriale pour en faire deux entités administratives distinctes au profit de la gouvernance territoriale décentralisée, le président de la République a donné un sérieux coup de pouce au processus de décentralisation. L’importante mutation institutionnelle est induite par la création du ministère de la Décentralisation et du Développement Local le 02 mars 2018, et la loi portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées promulguée le 24 décembre 2019.

Le choix d'une gouvernance décentralisée a consacré les collectivités territoriales. L'article 55 de la Constitution en donne la définition: «- (1) Les collectivités territoriales de la République sont les régions et les communes. Tout autre type de collectivité territoriale décentralisée est créé par la loi ». Cette disposition constitutionnelle distingue deux types de collectivités territoriales décentralisées: Il y a d'une part celles qui sont d'essence légale telles la région et la commune et celles qui sont créées par la loi d’autre part. Notons tout de même que les communes ont une existence antérieure à la Constitution de 1996 (La loi communale de 1974 institue une seule entité décentralisée, la commune), mais elles en tirent désormais leur substance. La loi n°87/015 du 15 juillet 1987 a aussi par le passé créé les communautés urbaines. L’article 26 (3) de la  Constitution stipule que l’organisation, le fonctionnement, la détermination des compétences et des territoriales décentralisées  sont aussi du domaine de la loi ().

LA DÉCENTRALISATION

L’article 5 de la loi portant code général des Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD) définit: «(1) La décentralisation consiste en un transfert par I' État, aux Collectivités Territoriales, de compétences particulières et de moyens appropriés. (2) Elle constitue l'axe fondamental de promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local ».

John Richard Keudjeu De Keudjeu, dans son mémoire de DEA (2008) intitulée « La problématique du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées au regard de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 », renchérit: « La décentralisation peut se définir comme un système d'administration consistant à permettre à une collectivité territoriale (décentralisation territoriale) ou à un service (décentralisation technique) de s'administrer eux-mêmes sous le contrôle de l'Etat, en les dotant de personnalité juridique, d'autorités propres et de ressources ».  Ainsi, « décentraliser c'est non seulement rapprocher le pouvoir, c'est-à-dire les lieux de prise de décision politique des citoyens, mais c'est aussi permettre à ces derniers et aux collectivités territoriales décentralisées d'être maîtres et acteurs de leur devenir ».

PERSONNALITÉ JURIDIQUE DES CTD

L’article 8 du code général des CTD détermine leur statut : « Les Collectivités Territoriales sont des personnes morales de droit public ». L'objet de la décentralisation est d'assurer les libertés territoriales. Il en est ainsi de la libre-administration des collectivités, laquelle suppose que celles-ci aient des compétences et des ressources, comme le suggère l'article 26-2 de la loi fondamentale. Mais pour exercer les unes et disposer des autres, il faut que ces collectivités aient une personnalité juridique. Il leur est également reconnu la faculté de prendre des décisions qui les engagent et d'agir en justice afin de défendre leurs intérêts propres. Cela démontre bien que la collectivité territoriale décentralisée est nécessairement une personne juridique. C'est le cas de la commune, c'est également le cas de la région.

LE PRINCIPE D'AUTONOMIE RECONNUE AUX CTD

Pour que les collectivités territoriales s'administrent librement, il faut qu'elles jouissent d'une certaine autonomie. L'autonomie reconnue aux collectivités territoriales décentralisées par la Constitution est administrative et financière. Celle-ci dispose en effet, en son article 55.2, qu'« elles jouissent de l'autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux ». Le principe de l'élection de leurs organes  article 6 (1): « Les Collectivités Territoriales s'administrent librement par des organes élus; dans les conditions fixées par la loi. » Les organes délibérants et Exécutifs des CTD tiennent leurs pouvoirs du suffrage universel.

AUTONOMIE ADMINISTRATIVE

Au terme des dispositions des articles 9 et 10 du Code général des CTD, les Collectivités Territoriales disposent d'un patrimoine, du personnel, des domaines public et privé et de services propres, distincts de ceux de l'Etat et des autres organismes publics. Elles peuvent, dans le cadre de leurs missions, exécuter des projets en partenariat entre elles, avec I 'Etat, les établissements publics, les entreprises du secteur public, parapublic et privé, les organisations de la société civile ou des partenaires extérieurs dans les conditions et modalités fixées par les lois et règlements en vigueur. Les articles 26.2 et 55.5, détermine l'organisation, le fonctionnement et les compétences des collectivités territoriales décentralisées. Ceci suppose que les collectivités territoriales doivent avoir une administration et un personnel propres pour gérer les intérêts régionaux et locaux.

AUTONOMIE FINANCIÈRE

L'autonomie doit « se manifester par l'exercice d'une compétence fiscale et d'un pouvoir budgétaire au niveau local ». Ce qui suppose l'existence d'un impôt local, d'un pouvoir de décision fiscale local ou régional; ce qui suppose aussi que des prélèvements ne soient pas opérés par l'État sur les ressources fiscales locales, et que ce dernier respecte le principe du libre-choix des dépenses locales. L’article 11 du Code général des CTD dispose sans ambigüité que « les collectivités territoriales disposent de budgets et de ressources propres pour la gestion des intérêts régionaux et locaux ».

Déjà, la loi 2004/ 019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions en son article 85 stipule: « Les ressources nécessaires à la région pour l'exercice de ses compétences lui sont dévolues soit par transfert de fiscalité, soit par Dotation, soit par les deux à la fois ». La loi portant Code général des CTD apportent plus d’éclairages aux articles 11 et 12.

Les CTD  élaborent et votent librement leur budget; elles disposent des ressources propres, elles bénéficient de la dotation de l'Etat, reçoivent tout ou partie du produit tiré de l'exploitation des ressources naturelles sur leur territoire dans les conditions fixées par la loi; produisent des ressources propres nécessaires à la promotion du développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de leur territoire.

C’est donc conformément à la loi 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions que le décret N°2020/1730/PM DU 14 mai 2020 fixant la répartition de la Dotation Générale de la Décentralisation au titre de l'exercice budgétaire 2020 a été pris.

L’article 2 édicte que - «(1) Le montant global des ressources affectées à la Dotation Générale de la Décentralisation au titre de l'Exercice Budgétaire 2020 est de Quarante-neuf milliards neuf cent millions (49.900.000.000) francs CFA. (2) Le montant visé à l'alinéa (1) ci-dessus est réparti ainsi qu'il suit: Dotation Générale de Fonctionnement: Treize milliards neuf cent millions (13.900.000.000) francs);  Dotation Générale d'Investissement: Trente-six milliards (36.000.000.000) francs CFA ». Le décret a prévu sept milliards (07) de FCFA, soit deux (02) milliards de FCFA de provision pour la rémunération du président et des membres des bureaux des conseils régionaux et cinq (05) milliards de FCFA de provision pour le démarrage des Conseils régionaux.

RESPONSABILITÉ DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Du point de vue du respect des lois et des règlements et dans la prise des décisions, le chef de l'Exécutif est le garant de la CTD dans la vie civile et en justice; les CTD ont le pouvoir règlementaire : le chef de I 'Exécutif peut prendre ou faire prendre tous actes conservatoires ou interruptifs de déchéances. Toutefois, l'Etat central garde tout de même la main mise, tel que disposé à l'article 15- «La responsabilité de la Région ou de la Commune est dégagée lorsque le représentant de l'Etat s'est substitué au chef de l'Exécutif Communal ou Régional dans les conditions fixées par la loi.

LA COLLECTIVITÉ COMMUNALE

La nouvelle réglementation distingue trois variétés de collectivité communale : la commune ordinaire, la commune d'arrondissement et la communauté urbaine. La commune ordinaire est la collectivité territoriale décentralisée de base au Cameroun. La commune d'arrondissement est l'appellation donnée aux communes de grandes ou moyennes agglomérations urbaines qui constituent une communauté urbaine. La communauté urbaine quant à elle est un groupement d'au moins deux communes d'arrondissement d'une agglomération présentant certaines particularités géopolitiques, socio-politiques, sociologiques ou économiques. Elle est une personne morale de droit public jouissant de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. Le corps municipal  a été renouvélé à l’issue des élections municipales du 09 février 2020.

LA RÉGION

Elle est une collectivité territoriale décentralisée constituée de plusieurs départements. Son assise territoriale est celle des régions actuelles. L'on peut observer à partir de cet aperçu que la décentralisation se caractérise par trois conditions: L'existence des affaires locales, des autorités indépendantes du pouvoir central et une gestion autonome. A ces conditions, il faut ajouter une quatrième : le contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales, contrepartie nécessaire de la libre-administration des collectivités locales dont le but est la préservation de l'ordre unitaire de l'Etat.

LES ORGANES DE LA REGION

D'après l'article 274 de la loi portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées, les organes de la région sont : le Conseil régional et le président du Conseil régional. Ceux-ci agissent dans le cadre des compétences transférées aux régions par l'État.

COMMENT FONCTIONNE LA RÉGION?

Le fonctionnement de la région est le fait de deux organes, selon les disposition de l'article 6 (2) de la loi portant Code général des CTD. On a ainsi le Conseil régional et le président du conseil régional. Selon l'article susmentionné, le conseil régional est l'organe délibérant de la région. Il est composé des conseillers de 90 conseillers régionaux dont le mandat est de cinq ans (2). Le conseil régional comprend des délégués des départements élus au suffrage universel indirect. Il y a ensuite  « des représentants du commandement traditionnel élus par leurs pairs. » S'agissant du président, il est l'Exécutif de la région (Article 306). Il est assisté d’un bureau comprenant le président, un premier vice-président, un vice -président, deux questeurs et deux secrétaires, selon l'article 307 (1) de la loi portant code général des collectivités décentralisées. Le président du Conseil régional est une personnalité autochtone de la région, élue en son sein pour la durée du mandat du Conseil (Article 307 alinéa 2).

Le Conseil régional se réunit une fois par trimestre sur convocation de son président. La durée de chaque session ne peut excéder huit jours, à l'exception de la cession budgétaire qui peut durer quinze jours. Le Conseil régional dispose de quatre commissions présidées chacune par un commissaire (Article 282).

QUI SONT LES ÉLECTEURS DES MEMBRES DES CONSEILS RÉGIONAUX ?

Selon l'article 248 de la loi N°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi N°2012/017 du 21 décembre 2012, les délégués des départements sont élus par un collège électoral composé des conseillers municipaux, tandis que les représentants du commandement traditionnel sont élus par un collège électoral composé de chefs traditionnels de 1er, 2e et 3e degrés autochtones dont la désignation a été homologuée, conformément au Code général des CTD. Il convient de préciser qu'au terme des dispositions de l'alinéa 3 du même article 248 « les chefs traditionnels justifiant de la qualité de conseiller municipal ne peuvent exprimer leur suffrage que dans un seul collège électoral ».

LA PROTECTION DE LA DECENTRALISATION REGIONALE

Cet aménagement est le fait de l'article 47 de la Constitution. Cet article protège la décentralisation régionale dans trois cas. Le premier cas concerne les conflits de compétences qui opposeraient l'État et les régions et celles-ci entre elles. Ici, le Conseil constitutionnel statue souverainement pour départager les parties en litige. Le deuxième cas concerne l'atteinte aux intérêts de la région. Ainsi, d'après l'article 47.2 § 2, « les présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil Constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause ».

Le troisième cas concerne les lois, les traités et les accords internationaux qui menaceraient les intérêts de la région. L'alinéa 3 de l'article 47 dispose qu'« avant leur promulgation, les lois ainsi que les traités et les accords internationaux peuvent être déférés au Conseil Constitutionnel par [...] les présidents des exécutifs régionaux conformément aux dispositions de l'alinéa 2 [...] ». En somme, la Constitution essaie de préserver la région contre les débordements de l'État.

REPRÉSENTANT DE L'ÉTAT

L'article 58 alinéa 1er de la Constitution dispose que « dans la région, un délégué nommé par le président de la République représente l'État. À ce titre, il a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois et règlements et du maintien de l'ordre; il supervise et coordonne sous l'autorité du Gouvernement, les services des administrations civiles de l'État dans la région ». Il est précisé ensuite à l'alinéa 2 « qu'il assure la tutelle de l'État sur la région ». La Constitution attribue au délégué de l'État dans la région la charge du « contrôle administratif ».

REPRÉSENTATION DES CTD PAR LE SÉNAT

Au Cameroun, l'article 20 alinéa 1 de la Constitution dispose, certes, que « le Sénat représente les collectivités territoriales décentralisées » — ce qui laisse penser que toutes les catégories de collectivités sont concernées —, mais tous les sénateurs ne sont pas élus. En plus, seule la région est représentée. C'est ainsi que d'après l'article 20 alinéas 2, « chaque région est représentée au sénat par dix (10) sénateurs dont sept (7) sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et trois (3) nommés par le président de la République ».

PROCEDURE d’IMPEACHEMENT

L’article 342 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées a prévu la procédure de l’impeachment à l’encontre du Conseil Exécutif Régional. Elle donne la possibilité à l’Assemblée Régionale de pouvoir destituer le Conseil Exécutif Régional. Ce sont les Assemblées qui organisent ce mécanisme dans le règlement intérieur des Assemblées régionales.

PUBLIC INDEPENDANT CONCILIATOR DANS LE NOSO

La loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées a institué dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest une autorité indépendante appelée Public independent conciliator (PIC). Le PIC est chargé, entre autres attributions, de régler à l’amiable les litiges entre les usagers et l’administration régionale et communale, de défendre et protéger les droits et libertés des citoyens contre les abus dont ils seraient victimes de la part des autorités régionales ou communales de la région, de mener toute investigation sur le fonctionnement des services publics régionaux et communaux et de dresser un rapport sur le fonctionnement desdits services. Comme l’indiquent les attributions susmentionnées, le champ d’action du PIC se limite à l’administration régionale et communale. Le PIC est nommé par décret du président de la République, sur proposition concertée du président du Conseil Exécutif Régional et du représentant de l’Etat. D’après les dispositions du Code général des CTD, Elle doit être une personnalité jouissant d’une solide expérience et d’une réputation d’intégrité et d’objectivité établie. Afin de garantir son indépendance et sa neutralité, le PIC est désigné pour un mandat de six (06) ans non renouvelable. Sa fonction est incompatible avec l’exercice d’un mandat, d’un emploi public ou de toute autre activité professionnelle rémunérée. Il prête serment, avant son entrée en fonction, devant la Cour d’Appel territorialement compétente.  Il est prévu qu’un décret du président de la République détermine, dans les détails, les autres modalités d’exercice des fonctions du Public Independent Conciliator.

LE JUGE ADMINISTRATIF

L’article 77 donne la possibilité au représentant de l’Etat de déférer devant la juridiction administrative les actes des collectivités territoriales qu’il estime entachés d’illégalité. De même, dans l’hypothèse où ce représentant annule les actes des CTD qu’il juge manifestement illégaux (constitutifs d’emprise ou de voie de fait), le chef de l’exécutif peut en saisir le juge administratif compétent. Le juge administratif, notamment le président de la juridiction administrative, prononce le sursis à exécution des actes des CTD que lui transmet le représentant de l’Etat aux fins d’annulation, y compris les marchés publics pour lesquels il peut le faire sur sa propre initiative. Il se prononce en outre sur les actes de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle. L’article 79 apporte une innovation en ce que le refus d’approbation des actes des collectivités terri-toriales, sur le fondement de l’excès de pouvoir, est contestable devant le juge. La décision de la juridiction équivaut à une approbation, dès sa notification à la collectivité. Il indique également à l’article 241 qu’en cas de conflit de compétences entre la Communauté Urbaine et la Commune d’Arrondissement, le maire de la Ville ou le maire de la Commune d’Arrondissement peut en saisir le juge administratif territorialement compétent. Le juge administratif connaît également des actes du ministre chargé des CTD déclarant un conseiller démissionnaire.

Synthèse Marius Nguimbous

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