Assistance judiciaire : Les malaises de la profession au crible

Le Centre de promotion du droit (CEPROD) a organisé le 30 mars 2016, un forum d’échanges sur la justice au Cameroun autour du thème : « l’effectivité de l’assistance judiciaire au Cameroun comme mécanisme de facilitation de l’accès à la justice ».

La salle de conférence de la Chambre d’agriculture de Yaoundé a accueilli une cinquantaine de participants dans l’optique de communier sur « l’assistance judiciaire, son renforcement à toutes les étapes du procès en tant que gage d’une justice équitable » et aussi afin de discuter de la politique et de la technique idoine de mise en œuvre de ladite assistance judiciaire. L’Etat du Cameroun qui a la charge de pourvoir les justiciables en termes d’assistance était représenté par le directeur de la Législation du ministre de la Justice, lui-même représentant le ministre d’Etat, Laurent Esso empêché. Celui-ci a d’emblée précisé combien les pouvoirs publics camerounais attachent de l’importance à  l’accès des populations même les plus démunies  à la justice. Il a par la suite soutenu que le forum du CEPROD était d’une importance indéniable autant il se plaçait dans la logique d’un audit, d’une vérification de la réalité de la justice et aussi d’une contribution au travail d’évaluation de la justice au Cameroun. Dans sa communication, le président du CEPROD, Me Michel Togue, a expliqué les raisons de ce forum en postulant pour le regretter que l’« on note  aujourd’hui une non appropriation  de la loi de 2009 par les justiciables ». Pour ce qui est de l’ordre du jour, plusieurs exposés ont été présentés.  Il s’est agit concrètement de « la justice équitable et assistance judiciaire en droit international », des « politiques et stratégies d’implémentation d’un système d’assistance judiciaire intégral au Cameroun », de « l’assistance judiciaire au travers des rôles des associations professionnelles de droit et des associations de défense des droits de l’homme », de  l’ « opportunité pour le justiciable camerounais  dans la loi N°004/2009 du 04 avril 2009 portant assistance judiciaire » et enfin « les réalités de la pratique de l’assistance judiciaire devant les juridictions camerounaises »

IL FAUT MODIFIER LA LOI N° 2009/004 DU 14 AVRIL 2009

Est-ce que l’assistance judiciaire est effective ? A cette question, Me Assira, l’un des intervenants du forum a tâché d’y répondre dans son exposé introductif. « Le législateur devait être encore plus vigilant. Car on se rend compte au regard de la loi que les trois phases du procès, enquête, instruction et jugement ne sont pas toutes prises en compte dans la loi sur l’assistance judiciaire. En effet, le législateur camerounais a cantonné l’assistance judiciaire à la phase de jugement. Cela est étonnant. L’enquête et l’instruction semblent avoir été délaissées et considérées comme de simples procédures administratives. »

De fait, le Centre de promotion du Droit a voulu insisté par ce forum sur les implications la loi n° 2009/004 du 14 avril 2009. Il explique de fait qu’en dépit des mécanismes juridiques et de nombreuses lois existantes, l’on se rend compte que l’administration de la justice n’est pas toujours évidente au Cameroun. La justice, note le CEPROD, « est rendue difficile par de nombreux  éléments tout aussi divers que variés tels que la corruption, la difficulté de compréhension du langage juridique, le manque de confiance en la machine judiciaire et aussi  le manque des moyens financiers ». C’est conscients de toutes ces difficultés et les enjeux que cela implique que les pouvoirs publics, soucieux de la question de la justice et celle de garantir à chaque citoyen l’accès à la justice, ont mis en place un mécanisme de soutien et d’accompagnement des justiciables. Cette mesure est appelée assistance judiciaire.

SE CONFORMER AU DROIT INTERNATIONAL

Le forum du CEPROD s’inscrit dans un contexte où le Cameroun entend et se doit de s’arrimer aux instruments internationaux relatifs à l’accès à la justice. Le panéliste qui est intervenu sur la question des « techniques et pratiques de l’assistance judiciaire et procès équitable en droit international » était le Dr. Jeugue Doungue. De fait, cet universitaire a expliqué que sur le plan international, plusieurs instruments juridiques consacrent déjà le droit d’accès à la justice. On peut penser à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) précisément en son article 8 qui pose que « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ». A cela, il faut ajouter à cela, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) en son article 2 alinéa 3 qui dispose que « les Etats parties au présent Pacte s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile (…), garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou tout autre autorité compétente selon la législation de l’Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ; garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié ». En outre, l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) donne à chaque personne « le droit de saisir les juridictions compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus ». A tous ces textes, il a été affirmé que sur le plan national, le préambule de la loi N° 96/06 du 18 janvier 1996, portant révision de la Constitution du 02 juin 1972 dispose clairement que « la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice ».

RETOUR SUR LE SENS DE L’ASSISTANCE JUDICIAIRE

En substance de leurs interventions, les panélistes du forum du CEPROD ont expliqué que l’assistance judiciaire peut être définie comme un système ou un mécanisme qui permet de bénéficier de la gratuité totale ou partielle des frais de procédure en l’occurrence les droits de greffe, les frais d’enregistrement, les frais d’huissier, de notaire ou encore des frais d’experts.  Il a également été posé qu’on peut aussi la considérer comme une aide à toute personne physique dont les ressources sont insuffisantes pour assurer la défense de ses intérêts. Elle est axée principalement sur la prise en charge des frais d’un auxiliaire de justice, ainsi que des frais liés à la procédure.

L’article 2 de la loi de 2009 évoquée plus haut a été détaillé en ce qu’il pose que l’assistance judiciaire est dite totale lorsque la décision ne limite ni les actes ni les phases de la procédure. Elle est dite partielle si la décision qui l’accorde indique qu’elle ne porte que sur certains actes ou certaines phases spécifiques de la procédure.

Mais, quelles sont les conditions d’obtention de l’assistance judiciaire ? La question n’a pas manqué de se poser. Réponse : tout le monde ne peut prétendre recourir à une assistance judiciaire, bien que son champ d’application soit élargi avec la nouvelle loi. Par conséquent, ne peuvent en bénéficier qu’une catégorie de personnes bien précises. Afin d’éclairer l’opinion,  la loi énumère dans l’article 5 comme personnes n’ayant pas de ressources suffisantes  et pouvant de ce fait faire la demande d’une assistance judiciaire. Il s’agit des indigents c'est-à-dire les personnes extrêmement pauvres et nécessiteuse, les hommes de rang de toutes armes pendant la durée de leur service, des personnes assujetties à l’impôt libératoire. Il s’agit aussi des autres  personnes lorsque les frais à exposer ne peuvent être supportés par leurs ressources initialement réputées insuffisantes ou encore du conjoint en charge d’enfants mineurs en instance de divorce qui ne dispose d’aucun revenu propre.

L’assistance judiciaire peut être accordée, à titre exceptionnel, aux personnes morales dont l’insuffisance des ressources ne permet pas de faire valoir leurs droits en justice. L’article 6 du chapitre 2 étend ses bénéficiaires au travailleur victime d’un accident de travail, pour les actions en indemnisation qu’il engage contre l’employeur, aux personnes sans emploi et sans ressources, abandonnées par leur conjoint, aux fins d’obtenir du tribunal une pension alimentaire pour elles-même ou pour les enfants laissés à leur charge. Peut aussi bénéficier de l’assistance judiciaire le  condamné à mort, demandeur au pourvoi. Tous ceux-là sont des bénéficiaires de plein droit de l’assistance judiciaire.

LA CNDHL DEMANDE UNE PLACE DANS LA COMMISSION D’ASSISTANCE JUDICIAIRE

En revenant sur l’opportunité de l’assistance judiciaire, le représentant de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL), M. Ernest Hervé Essama a décrié le fait que son institution qui est pourtant proche des personnes vulnérables ne soit pas associée à la procédure d’assistance judiciaire. Il a donc recommandé que cette situation soit réparée. Au demeurant, les débats se sont poursuivis sur cette recommandation. « L’assistance judiciaire n’est pas une affaire de riche. L’on se souvient du cas de Polycarpe Abah Abah qui en a demandé pour des frais de reproduction d’un dossier de près de 3 millions de FCFA. L’assistance lui a été accordée. Même si dans le prétoire et en dehors, certains ont pensé qu’il s’agissait d’une affaire de riche, ce n’est pas le cas ». Ces mots son ceux de Me Claude Assira sur les modalités d’accès à la justice. De fait et de droit, il apparaît que toute personne désireuse de bénéficier de l’assistance judiciaire doit le faire de manière écrite ou orale en y joignant des pièces tels que l’extrait du rôle pour les impositions ou un certificat de non-imposition ou encore un certificat du chef de la circonscription administrative précisant, le cas échéant, si elle est soumise à l’impôt libératoire. A cela s’ajoute, un certificat d’indigence délivré par le maire, après enquête du service social compétent. Faute de quoi la demande sera jugée irrecevable.

Il est créé une commission auprès des tribunaux de grande et première instance, des Cours d’appel et Suprême et aussi auprès des tribunaux militaires. Chaque commission est compétente pour connaitre des affaires portées devant la juridiction dans laquelle elle a été créée, mais aussi des décisions qui émanent d’elle.

Lorsque le secrétaire de la commission reçoit le dossier de demande, il le transmet immédiatement au président de la commission et dispose de 24 h pour tenir le Parquet informé de l’introduction de la demande d’assistance judiciaire. La commission prend toutes les informations nécessaires pour d’une part, s’éclairer sur l’insuffisance des ressources du demandeur et d’autre part déterminer l’importance que revêt pour lui l’exercice de ses droits. La partie adverse peut être dès lors convoquée pour fournir toutes les explications permettant d’apprécier le niveau suffisant ou non des ressources du demandeur, ceci dans le cadre d’une enquête instituée par la commission.

Les services de l’Etat, les collectivités publiques territoriales décentralisées, les organismes de sécurité sociale et ceux qui assurent la gestion des prestations sociales sont tenus, lorsque la demande leur est faite, de communiquer sans pouvoir opposer le secret professionnel, tous les renseignements permettant de vérifier que le demandeur satisfait aux conditions exigées pour bénéficier de l’assistance judiciaire. En matière pénale, la demande peut être faite au Procureur de la République

La commission, dans les trente jours suivant la date à laquelle elle a été saisie, se prononce sur l’accord ou non de l’assistance. Cette décision doit être est motivée. Notification est faite par voie administrative au demandeur dans un délai de cinq jours suivant le prononcé de la décision. Si la décision accorde l’assistance, un extrait est adressé dans les plus brefs délais au chef d’inspection de l’enregistrement. Ainsi le président de la juridiction devant connaitre de l’affaire désigne l’avocat ou l’huissier appelé à prêter ses services au bénéficiaire de la décision qui a été rendue.

Les décisions des commissions d’assistance judiciaire ne sont susceptibles d’aucun recours de la part des parties. Toutefois, dans un délai de 10 jours, le ministère public ou le bâtonnier de l’ordre des avocats peut d’office, déférer à la commission d’assistance judiciaire établie auprès de la Cour d’appel, pour être reformées s’il y’a lieu, toutes décisions rendues par les commissions instituées auprès des tribunaux de première instance, des tribunaux de grande instance et des tribunaux militaires.

Toute cette pratique judiciaire de l’assistance a ainsi été présentée par le magistrat  juge du TGI du Mfoundi, M. Aoudou.

Au bout du compte, ce forum a été l’occasion de mettre en évidence des faits concrets et des incidences incontestables de la bonne application de l’assistance judiciaire sur la facilitation de l’accès à la justice et le maintien de l’égalité des armes. Il était aussi question de requérir les avis des participants sur la meilleure méthode de vulgarisation et de promotion de l’assistance judiciaire afin de donner plein effet à cette loi. Mais par-dessus toute chose, de faire un plaidoyer afin d’inviter les pouvoirs publics à la révision de la procédure d’obtention de l’assistance judiciaire pour rendre cette dernière plus accessible et enfin d’esquisser un plan d’action national d’appui à l’assistance judiciaire au Cameroun.

Willy Zogo

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