Saisie arbitraire des sommes dues

Un créancier saisit le compte de virement d’une salariée sans avoir effectué une  tentative de conciliation, en violation des articles 174 et 175 des Actes Uniformes OHADA.

Courant 2007, le compte de virement mensuel de salaire de dame  Nafissatou Abdoulaye, Professeur des  lycées d’enseignement Générale (PLEG) et en service dans un  établissement public de la place, est saisi en totalité par  un tiers, inconnu  Monsieur Nestor Bifouna pour recouvrement d’une créance dont son époux Monsieur Noussa Abdoulaye, était débiteur. Surprise, elle saisit alors le juge des référés pour une ordonnance de main levée d’une telle procédure.

 

 


En fait, quelques années plutôt, son mari, à son insu a reçu de Monsieur Nestor Bifouna un financement qui devait servir au lancement d’une  coopérative dont il était fondateur et promoteur. Le montant de la créance s’élevait à 26.000.000 FCFA et devait être prélevé dans les bénéfices de la dite coopérative. Mais seulement, l’entreprise, peu après, fait faillite et son seul actionnaire Monsieur Noussa Abdoulaye  perd son emploi suite à une faute lourde et grave. Il est même condamné à une peine privative de libertés. Devenu insolvable de ce fait, son créancier, sans précédent, par l’acte d’huissier, se fondant sur la communauté des biens, saisit à son profit,  le compte de virement mensuel salaire de dame Nafissatou Abdoulaye  jusqu’à recouvrement total de sa dette  alors même que cette dernière, jusqu’à ce jour, n’avait jamais eu le moindre soupçon ni de la transaction avec son mari ni de l’existence de la coopérative. Exaspérée, surtout que son salaire était sa seule source de revenus, elle saisit le juge des référés qui ordonne une mainlevée de ladite saisie. Celui-ci statuant publiquement et contradictoirement à l’égard des parties après délibéré conformément à la loi, a rendu une ordonnance de mainlevée de la saisie litigieuse exécutoire sur minute par prévision et avant enregistrement, et condamné Monsieur Nestor Bifouna aux entiers dépens. Il a fondé sa décision sur les articles  174 et 175 de l’Acte Uniforme  OHADA sur les voies  d’exécution qui énoncent clairement  et respectivement : « la saisie des sommes dues à titre de rémunération, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre, ou en quelque  lieu que ce soit …ne peut être pratiquée qu’après tentative de réconciliation » et que « les rémunérations ne peuvent faire l’objet de saisie … ». Lesquels articles ont également motivé les juges dans les ordonnances des référés n°218 du 16 décembre 1999, Affaire dame TAGNY née KAMDEM FOTSO Alice c/ NGNINTEDEM BAVOUA Joseph- BICEC et celui n°489/ Cdu 23 mars 2000, Affaire NJIKE Gilbert c/ NJIKE née KEMAYO BETONI Sylvie-BICEC. Il s’est également appuyé sur le fait que le salaire a un caractère alimentaire, donc ne peut être saisi.

Problème juridique


De ce qui précède, il ressort le problème de la saisie des comptes bancaires. Ici, il est à différer selon qu’on fait face à un compte de dépôt ou un compte courant ou encore un compte de virement des salaires. Si pour les deux premiers la procédure est assez simplifiée, ce n’est pas le cas pour le dernier type. Tout compte fait, la question qui se dégage est de savoir si une saisie de compte bancaire peut emporter saisie de rémunération de travail et par voie de conséquence être subordonnée au préalable de conciliation posée par l’article 174 susvisé.
Apriori, on est tenté de répondre par la négative. Les relations qui naissent, à l’occasion de l’ouverture d’un compte, entre le banquier et son client semblent très éloignées de celles qui existent entre l’employeur et le salarié dont la créance ne peut faire l’objet d’une saisie qu’après le préalable de conciliation posé par la loi. Mais il faut d’abord que la preuve du virement du salaire soit rapportée dans la mesure où ce type de compte est un compte sui generis en droit bancaire et peut d’ailleurs porter atteinte à la classification des saisies.
Dès lors que la preuve du virement de salaire est rapportée, on est en présence d’un compte de virement de salaire dont la saisissabilité est subordonnée au strict respect du préalable de conciliation tel que ci-dessus mentionné. Ceci à dessein de renforcer judiciairement la protection légale du salaire en mettant à l’abri des saisies ordinaires en quelle que main que ce soit, la rémunération de travail. De plus, la notion de virement de salaire tranche totalement avec le principe de l’indépendance entre le compte et les opérations de dépôt qui l’alimentent. L’une des conséquences de l’entrée en compte, est la perte de l’individualité. On ne peut, alors que la créance est déjà enregistrée au crédit d’un compte, continuer à croire que celle-ci conserve à l’intérieur du compte ses caractères primitifs.
Par ailleurs, la notion de compte de virement de salaire présente le grand inconvénient d’introduire dans la matière de voie d’exécution, un bouleversement inattendu de la classification des saisies opérée par l’Acte Uniforme. C’est d’abord le domaine de la saisie conservatoire des créances (art.58 et suivants) et de la saisie-attribution (art.161 et suivants) qui se trouve sensiblement réduit au profit de la saisie des rémunérations. La décision n’échappe en effet à la mainlevée qu’après échec de la démonstration du virement des salaires. C’est dire que pour pratiquer une saisie entre les mains d’un banquier, le saisissant doit préalablement s’assurer que le compte ne reçoit pas de virement de salaires. Cependant, deux observations suffisent pour lever le pan de voile sur la question. On pense en premier lieu à la classification des saisies en ce sens que chacune jouit d’un régime juridique propre qui ne favorise ni concours, ni conflit. On peut ensuite faire valoir les rapports qui existent entre les parties. Le virement fait naitre une créance en faveur du bénéficiaire contre le banquier qui est différente de l’ancienne créance qui a été payée. Cette situation conduit à dire sans équivoque aucune, que la créance du bénéficiaire d’un virement n’ayant aucun rapport de droit avec le contrat de virement qui a existé entre l’employeur et la banque, on ne peut parler de saisie des rémunérations entre les mains de cette dernière, sans remettre en cause les règles traditionnelles du virement.


Israël Nguimbous

LEXIQUE

Conciliation : Accord par lequel deux personnes en litige mettent fin à celui-ci (soit par transaction, soit par abandon unilatéral ou réciproque de toute prétention), la solution du différend résultant non d’une décision de justice (ni même de celle d’un arbitre) mais de l’accord des parties elles-mêmes.
2- Phase de la procédure tendant à aboutir à cet accord : a- Préliminaire de conciliation : nom donné à la tentative de conciliation lorsqu’elle précède l’instance de jugement, surtout dans les cas où la loi subordonne le jugement d’une affaire à une tentative préalable de conciliation (et à la constatation de l’échec de celle-ci). b- Tentative de conciliation : Essai destiné à provoquer une conciliation qui a lieu soit avant l’instance, soit à tout moment de la procédure, à l’initiative du juge.

Mainlevée : 1- Disparition d’un obstacle de droit à l’accomplissement d’un acte, à l’exercice d’un droit et, plus précisément, levée – pour un retour à la normale- d’un obstacle qui avait créé, dans un intérêt légitime, une situation de blocage ou de protection que les circonstances ne justifient pas. Ex. Mainlevée d’une saisie, etc. ayant pour résultat de faire cesser les effets de la saisie. Par métonymie, action de supprimer ou acte qui supprime  (ou sur le fondement duquel est supprimé) cet obstacle. La main levée peut être administrative (ordonnée par l’autorité), amiable (volontaire), automatique (de plein droit), judiciaire (celle qui est ordonnée à par une décision de justice). La mainlevée est l’antidote d’un empêchement, d’un obstacle, d’une opposition.

La saisie :
Mise d’un bien sous main de justice destinée, dans l’intérêt public ou dans l’intérêt privé légitime, à empêcher celui qui a ce bien entre les mains d’en faire un usage contraire à cet intérêt (le déplacer, en disposer, le détruire, causer un dommage) ; 2- Voie de droit sur le patrimoine ; moyen d’action offert par la loi au créancier sur les biens du débiteur afin d’assurer la conservation et, le cas échéant, la réalisation de son gage .

Saisie conservatoire : Terme générique englobant l’ensemble des saisies dont l’unique objet et l’unique effet sont de frapper d’indisponibilité le bien saisi, afin d’empêcher le débiteur de soustraire ce bien au gage de soin créancier (et de faire pression sur lui afin qu’il s’exécute). Elle permet, en cas d’urgence à tout créancier, en matière civile commerciale, sans commandement préalable, mais sur autorisation du juge, de rendre indisponible les meubles corporels de son débiteurs, ou même ces créances.

Saisie attribution : La saisie attribution concerne uniquement des créances sur des sommes d'argent.
Une décision de justice doit avoir reconnu la créance. Le créancier doit donc détenir un titre exécutoire (acte notarié, jugement, accord de conciliation) et passer par un huissier pour dresser l'acte de saisie qui sera signifié à la banque détentrice du compte du débiteur. Ce dernier doit en être informé par acte d'huissier dans un délai de 8 jours suivant la signification de l'acte de saisie au tiers saisi (la banque, en général). A défaut, la procédure n'est pas valable. De plus, si la saisie concerne un compte joint, chaque titulaire doit être prévenu.

Ordonnance de référé :
Décision provisoire (qui n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée mais ne peut être modifiée ou rapportée qu’en cas de circonstances nouvelles) rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge (ex. président du tribunal, premier président de la cour d’appel, qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires (ex. ordonnance prescrivant la saisie d’un journal).                                                                                              

Articles liés

Arrangement à l’amiable

Point Du Droit

Le testament de la discorde

Un enjeu de la loi forestière de 1994

Africa

Visitor Counter

Cameroon 74,2% Cameroon
fr-FR 7,8% fr-FR
United States 3,5% United States

Total:

108

Pays
03195256
Aujourd'hui: 50
Cette semaine: 289
Ce mois: 1.146
Mois dernier: 2.029
Total: 3.195.256