Regard : Défis sociologiques liés au Genre dans l’administration de la communauté au Cameroun

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On distingue la notion d’égalité ‘‘devant la loi’’ de celle d’égalité ‘‘dans la loi’’. L’égalité devant la loi signifie que la loi, nonobstant son contenu, doit être appliquée à tous de manière égale. L’exigence d’égalité dans la loi, en revanche, s’adresse au législateur : elle interdit d’insérer des dispositions discriminatoires dans le contenu de la loi

En l’état actuel du Cameroun, les discriminations faites aux femmes sont si naturelles qu'on ne sait si la normale est qu’elle soit humiliée. La conception la plus classique de la discrimination vise les situations dans lesquelles des individus placés dans une situation comparable se voient accorder, sans motif légitime ou suffisant, un traitement différent en fonction de leur sexe, de leur couleur de peau ou d’un autre motif prohibé.

Dans le contexte camerounais, le thème : ‘‘Égalité de sexes et autonomisation des femmes : gagner le pari, surmonter les obstacles’’, retenu pour la 31ème édition de la Journée Internationale de la Femme, est le bienvenu. Cette commémoration pour l’année 2016 a l’avantage de lier dans la promotion et la protection des droits des femmes, un enjeu double : les droits civils et politiques d’une part et d’autre part, les droits économiques, sociaux et culturels. C’est dire le caractère indivisible de ces types de droits. Mon propos ici vise à analyser la situation patrimoniale de la femme au sein de la famille. Pensez-vous que courant la célébration des mariages collectifs, tenus le 8 mars dernier, projet lancé par le ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille en vue de lutter contre le concubinage qui a pignon sur rue, le contenu du manuel de célébration des mariages, lu par l’Officier d’état civil, est, si on peut le dire, perçu comme une violation des Droits de l’Homme, voire un outil devant servir pour un génocide moral des femmes. A la femme, il lui est demandé de se soumettre vis-à-vis de son conjoint et à ce dernier, de respecter la première. A l’analyse du degré des obligations imparties aux conjoints, entre se Soumettre pour l’un et Respecter pour l’autre, la fosse aux lions sur laquelle on est hissé est énorme pour l’enjamber. En effet, dans une relation bilatérale, la soumission d’une des parties est un acte liberticide alors que de l’autre côté, le respect requis vise à valoriser, mais il n’en ressort point l’élément d’assistance vis-à-vis de son partenaire. Dans la sphère familiale, la règle liée à l’administration des biens de la communauté interroge plus d’une personne qui pourrait être intéressée. Celle-ci peut se faire selon le système soit de l’unité de l’administration soit de la cogestion d’entreprise. Il faut signaler que l’autonomie de la gestion de la communauté instituée par le Code civil (C.Civ) français de 1804 était fondamentalement inégalitaire entre mari et femme.

On distingue la notion d’égalité ‘‘devant la loi’’ de celle d’égalité ‘‘dans la loi’’. L’égalité devant la loi signifie que la loi, nonobstant son contenu, doit être appliquée à tous de manière égale. L’exigence d’égalité dans la loi, en revanche, s’adresse au législateur : elle interdit d’insérer des dispositions discriminatoires dans le contenu de la loi. De même, la règle de l’égale protection de la loi correspond à la notion d’égalité dans la loi. La norme s’adresse cette fois au législateur et lui impose de respecter l’égalité dans la détermination du contenu des lois. Autrement dit, elle interdit les lois discriminatoires, c’est-à-dire les lois qui opèrent des différenciations dénuées de justification objective et raisonnable ou qui, bien qu’apparemment neutre ont un effet discriminatoire sur certaines catégories de personnes. De ce fait, des épouses pourraient être désignées chef de famille si elles présentent des qualifications suffisantes et cela au départ, dès la légalisation du couple.

Depuis longtemps, les femmes ont été éloignées de l’emploi formel, pour être confinées au travail domestique, qui n'apporte malheureusement pas d'élévation sociale véritable. Aujourd'hui, après de longs efforts, les femmes ont finalement obtenu "le choix" de travailler. Ai-je écris le mot "Choix" ? Pas si facile à dire. Pour revenir dans la vie au foyer, il demeure des époux qui refusent toujours, en partie, de partager les tâches ménagères et cette disposition nouvelle, des femmes sur le marché du travail, augmente le taux de chômage. Les lois et les politiciens, plus pragmatiques qu'éthiques, préfèrent alors trouver un moyen de faire retourner les femmes devant leurs fourneaux. C'est ainsi qu'on peut recenser des permissions tel le congé de maternité (3 mois) plus long que le congé de paternité (3 jours).

Par la suite, le Cameroun a hérité de ce Code qui conserve un système d’unité d’administration dans sa législation. La mission d’administrer la communauté est ainsi dévolue au mari qui est à la fois chef de la femme et chef de la communauté. Cependant, son pouvoir peut être contrôlé par son épouse de telle sorte que quelques actes importants nécessitent son consentement préalable, pour produire des effets juridiques isolés.

Malgré l’idéalisation du droit positif camerounais, ce dernier ne peut prétendre à une victoire totale sur les coutumes locales en ce que les pratiques juridiques locales demeurent imprégnées de fondements culturels qui ont encore de beaux jours. Selon la législation nationale, le mari est le chef de la communauté. Pour bénéficier de ce titre, il n’a même pas besoin de faire ses preuves, raison en est que notre société est fort patriarcale. L’administration des biens communs met donc en relief la prépondérance du mari qui demeure le seul administrateur de la communauté. En effet, l’article 1 421 C.Civ lui donne la quasi-totalité des pouvoirs sur les biens communs. Il y est dit que le mari administre seul la communauté, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commis dans sa gestion. Il peut donc disposer de certains biens communs pourvu que cela soit fait sans fraude et sous certaines exceptions. Ainsi, la femme peut remettre en cause à tout moment l’administration du mari responsable de ses fautes pendant la gestion. Il faut néanmoins signaler que les rédacteurs du Code de 1804 avaient soumis certains actes de dispositions entre vifs consenti par le mari à l’exigence du consentement de la femme. Des illustrations se trouvent aux articles 1 422, 1 424 et 1 425 C.Civ. Ainsi, le mari ne peut seul disposer à titre gratuit des biens communs même si consenti dans l’intérêt des enfants communs .De même, un époux qui détruit volontairement un bien commun est coupable du délit de dégradation volontaire des biens communs .En matière de legs, le mari peut disposer librement des biens communs. Cet acte ne produit d’effet qu’à la dissolution du régime matrimonial. Mais le legs ne peut excéder la part du mari dans la communauté conformément à l’article 1 423 C.Civ. Dans cet environnement à forte odeur du principe agnatique, subsiste encore des pouvoirs exceptionnels de la femme dans l’administration de la communauté. Dans ce sens, le Cameroun est régi par deux systèmes juridiques en ce qui concerne le droit des personnes et de la famille. Les Régions anglophones du pays sont régies par la Common Law alors que celles francophones par le Code Civil. Toutefois, dans le but de dire le droit de manière égale sur l’ensemble du territoire, un processus d’harmonisation a été enclenché. Il a emporté une réforme du Code en vue de mettre ses dispositions défavorables aux droits de la femme en adéquation avec les principes directeurs des instruments des Droits de l’Homme.

Progressivement, les mœurs des femmes y compris des filles ont évolué au Cameroun dans le sens de considérer davantage le mari tel leur partenaire.

A l’observation de la vie au quotidien, il est une réalité toute autre que l’on ne pourrait pas nier au Cameroun. Pour éviter des contraintes pratiques qui pourraient nuire à la tranquillité du foyer, la conjointe a parfois des pouvoirs directs sur les biens communs relatifs à l’entretien du ménage, parfois des pouvoirs indirects exercés à travers son contrôle ou sa substitution. De ce fait, elle a un pouvoir de représentation du mari lorsque ce dernier est dans l’impossibilité d’administrer la communauté. Cette représentation peut être soit conventionnelle soit judiciaire. Dans le silence des textes, il faut reconnaître à chacun des époux et par conséquent à la femme le pouvoir d’accomplir tous les actes conservatoires. En qualité de maîtresse de maison, elle a le pouvoir d’engager les dépenses ménagères. Pour ce faire, elle est titulaire d’un mandat tacite du mari encore appelé mandat domestique. Ainsi, les dettes contractées auprès des fournisseurs lieraient le mari qui reste débiteur solidaire. Toutefois pour les dettes jugées excessives de même que pour les achats à crédit, le consentement du mari est exigé, pour engager la responsabilité de la communauté. L’intérêt ici est de protéger la famille contre des dettes exorbitantes, voire inutiles. Par contre, la femme n’a de pleins pouvoirs que dans l’administration de leurs biens propres et de leurs biens réservés. En effet, elle a les mêmes pouvoirs que son mari, pour administrer les biens communs ordinaires.

En cas de contentieux, la vocation à la pension alimentaire allouée à la femme s’est précisée pour les torts du mari en cas de séparation de corps devant les juridictions traditionnelles alors qu’au Tribunal de Grande Instance (TGI), elle était de droit nonobstant la faute de la femme, sauf en cas de torts partagés. Dans la composition du Tribunal, le travail des Assesseurs, garant de l’application effective des coutumes, y a été pour beaucoup. Par la suite, la vocation successorale des enfants et particulièrement des filles est fortement indiquée tant l’enfant, tout comme la femme, est considéré encore comme un bien et ne peut donc hériter du défunt et parfois nonobstant la volonté de ce dernier suivant certaines localités à forte pesanteur traditionnelle défavorable.

Le Juge Camerounais est appelé à appliquer le droit, donc le droit international auquel l’Etat y est partie. Ici, la législation camerounaise se décline dans un cadre normatif international qui concourt à la promotion et à la protection des droits de la femme. Chef de  la Diplomatie, le Président de la République S.E. Paul BIYA est l’unique alternative crédible pour la Protection du Genre au Cameroun. A travers un certain nombre d’instruments juridiques et de mécanismes de règlement des conflits, le Cameroun s’est engagé à aborder les problèmes d’égalité, d’équité et d’autonomisation des femmes sous l’angle du développement humain durable. Pour ce faire, le cadre juridique y relatif est régi sur le plan international par la Convention sur l’Elimination de toutes les Formes de Discriminations à l’Egard des Femmes (CEDEF) ; au plan régional par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et le Protocole à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo), socle des droits de la femme. La CEDEF détaille les mesures que les Etats doivent adopter et mettre en œuvre pour combattre une forme particulière de discrimination, à savoir la discrimination dirigée contre les femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Les Etats sont tenus d’assurer le droit égal des hommes et des femmes en vue de bénéficier des droits dans tous les secteurs de la vie sociale et publique.

Le Cameroun est partie pour l’essentiel des instruments des Droits de l’Homme, lesquels disposent chacun d’un Organisme de surveillance de la mise en œuvre des engagements internationaux pour l’Etat qui l’a ratifié. Tout Comité a la compétence d’examiner les Rapports périodiques des Etats sur les mesures qu’ils ont prises pour donner effet à la Convention concernée et de formuler des Recommandations ou Observations générales visant à éclairer la portée des dispositions de cette Convention. En outre, ces différents Comités se sont vus reconnaître, à certaines conditions, la compétence d’examiner des communications dénonçant la violation d’un droit énoncé dans la Convention concernée, pour autant que l’Etat mis en cause ait accepté cette compétence.

En outre, des règles ou décisions ayant une telle incidence ne constituent pas une discrimination si elles sont fondées sur des motifs objectifs et raisonnables. Le Comité pour les droits sociaux, économiques et culturels, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ont également intégré la notion de discrimination indirecte. En particulier dans leurs Observations finales sur les Rapports périodiques des Etats, ils appellent régulièrement ceux-ci à interdire la discrimination indirecte dans leur législation et à prendre des mesures pour la combattre.

De manière comparable, les Etats doivent prendre des mesures pour combattre les stéréotypes et les préjugés concernant les épouses handicapées et mieux faire connaître leurs contributions, notamment en menant des campagnes de sensibilisation auprès du public. Les mesures temporaires spéciales ne sont pas considérées comme des actes de discrimination lorsqu’elles ont pour objectif d’accélérer la réalisation d’une égalité de fait entre hommes et femmes, et à condition qu’elles n’aboutissent pas au maintien de normes inégales ou distinctes et qu’elles soient abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité ont été atteints. La norme de non-discrimination fait l’objet d’une application horizontale : elle s’applique aux rapports entre personnes.

Dans ce cadre, les constatations du Comité des Droits de l’Homme dans l’affaire Müller et Engelhard c. Namibie (28 juin 2002) concernent un cas de discrimination directe à raison du sexe. Dans les faits, la loi accorde expressément un traitement différent aux hommes mariés par rapport aux femmes mariées en ce qui concerne les conditions à remplir pour adopter le patronyme de son conjoint. Le Comité a jugé que cette différence de traitement entre hommes et femmes ne repose pas sur des motifs raisonnables. Mais le Comité a également reconnu qu’une mesure qui n’opère pas de différence de traitement entre les individus peut se révéler discriminatoire dans ses effets lorsqu’en pratique, elle défavorise une catégorie d’individus protégés contre les discriminations.

Par ailleurs, les violences domestiques portent non seulement atteinte à l’intégrité physique et morale des femmes mais en outre, contribuent à les enfermer dans des rôles subordonnés et à maintenir leur faible niveau de participation politique, d’éducation, de qualification et d’emploi. Le Comité établit ainsi un lien entre la violence et la discrimination privée, d’une part, et les inégalités dans les sphères sociales et publiques, d’autre part. Le fait que ces actes soient commis dans la sphère familiale ne peut constituer un obstacle à l’application de la règle d’interdiction de la discrimination.

En définitive, l’administration de la communauté est dominée par le mari qui règne en Seigneur, mais pas en saigneur des droits de la femme au Cameroun. La femme qui fournit un travail considérable et participe activement à l’acquisition de ces biens n’a que des pouvoirs très réduits. Pourtant, le Genre n'est pas un gros mot engendrant de gros maux. Être une femme, c'est avant tout être humain et, demander un traitement équitable n’en est pas moins vil, même à l’endroit d’un être viril. Avec la poursuite du Programme de renforcement permanent des capacités des femmes, notamment des exécutifs municipaux, la problématique de l’approche Genre est mieux contrôlée au Cameroun au motif de l’appropriation progressive de notre loi fondamentale qui affirme l’égalité en droits et en devoirs de tous les Camerounais notamment sans distinction de sexe. Dans la réalité, il est incontestable qu’en l’état actuel de notre législation, la parité dans le ménage n’est qu’un principe constitutionnel au contenu biaisé, mais il convient de retenir, pour s’en féliciter, les progrès déjà accomplis dans ce domaine. Pour finir, il ne reste plus qu’à renforcer les effectifs dans les écoles des maris au Genre.

Pierre Amougou

Expert international en droits de l’homme

Marius Nguimbous
Marius Nguimbous

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