Tribunal : Refus de libérer malgré les injonctions judiciaires

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Après plusieurs somations de libérer un immeuble occupé illégalement par deux présumés ayants droit, Dame Sandrine N., véritable héritière, a dû les assigner à comparaître devant le juge des référés qui a ordonné leur expulsion.

C’est donc par  l’ordonnance N° 139 du 27 mars 2019 au cours d’une audience  publique de référé d’heure à heure  que le juge du Tribunal de Première Instance de Douala-Bonanjo  a ordonné l’expulsion de deux occupants illégaux que nous nommons X et Y, d’un immeuble appartenant à une héritière au quartier Akwa.

LES FAITS

Les faits remontent au jugement N°46/CIV du 22 janvier 2016 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Douala (Littoral), par lequel Dame Sandrine N. devient unique héritière et administratrice des biens de sa défunte mère, décédée courant 2006. Il faut préciser que la mère de la sus mentionnée  a laissé un immeuble urbain bâti doté d’un titre foncier  et  acquis par succession de son défunt père. Ledit immeuble est occupé depuis des lustres, et sans bourse déliée, par les sieurs X et Y présumés ayants droit de la défunte. Lesquels contestent d’ailleurs le jugement du Tribunal de Grande Instance du Wouri. A preuve, les présumés ayants droit font une requête aux fins de tierce opposition au jugement d’hérédité N°46/CIV du 22 janvier 2016, afin de pouvoir entrer dans l’héritage de la De cujus. Dame Sandrine N. quant à elle  a voulu entrer en possession de cet immeuble bâti d’une superficie de près de 1000 m2 dont elle est par dévolution successorale propriétaire, pour  y effectuer des travaux de réfection pour le destiner à un usage plus commode. En dépit des relances amiables à eux adressées et des mises en demeure de libérer à eux servies par exploits d’huissier, les deux présumés ayants droit ont continué à se maintenir dans les lieux. Dame Sandrine N. s’est donc heurtée à la résistance des sus nommés qui ont de leur côté entrepris des démarches dilatoires. Pour ce faire, ils ont cru devoir justifier leur qualité d’ayants droit de la défunte sans en apporter la preuve. Il y avait donc urgence à ce que cette occupation illégale connaisse un terme afin que les travaux de rénovation envisagés de cette propriété puissent être menés dans les délais fixés pour que la requérante en prenne possession. Après trois sommations de libérer aux dates ci-après, 14 juin, 17 et 18 octobre 2018, et lasse de leur résistance, Sandrine N. fera le 15 novembre 2018 une première requête aux fins  d’être autorisée à assigner à bref délai les nommés X et Y par devant le juge du Tribunal de première Instance de Bonanjo-Douala, à l’effet d’entendre ordonner leur expulsion de l’immeuble dont elle est la propriétaire légalement reconnue. Le 29 novembre 2018, le juge fera droit à cette requête par l’ordonnance autorisant cette dernière à faire assigner sieurs X et Y à comparaitre devant cette juridiction statuant en matière de référé le 05 décembre 2018. La requête de Sandrine N. est suivie d’une assignation en référé d’heure en heure qui ordonne l’expulsion des sieurs X et Y, et sous astreinte de 200 000 FCFA par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir.

DES RENVOIS SUCCESSFFS AVANT LA SENTENCE

L’affaire, régulièrement inscrite au rôle a été appelée pour la première fois le 5 décembre 2018 à 12 heures. Les deux parties ont été entendues en leur demandes et répliques. La cause sera renvoyée au 7 décembre 2018 à 11 heures pour production de pièces. Ce jour-là, le juge a rendu une ordonnance avant-dire-droit pour le transport judiciaire le vendredi 14 décembre 2018 à l’immeuble litigieux situé à Akwa, pour y constater la matérialité des faits de la cause et pour y auditionner des témoins. La cause sera renvoyée au 17 décembre 2018 à 11 heures  pour l’exécution de l’ordonnance avant-dire droit, pour la comparution des défendeurs et pour leurs conclusions en réponse. Un troisième renvoi pour le 21 décembre 2018 est prononcé pour exécution avant-dire-droit le 19 décembre 2018, puis au 27 décembre pour les conclusions des défendeurs. Les conclusions déposées par le représentant de Dame Sandrine N. auprès du Juge du TPI demandait en l’espèce que le juge ordonne l’expulsion des sieurs X et Y de l’immeuble appartenant à la demanderesse comme l’ayant acquis par dévolution successorale de sa défunte mère, suivant jugement N°46/CIV rendu le 22 janvier 2016 par le TGI du Wouri ; que le juge prononce une astreinte de 200 000 FCFA par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir avec un caractère comminatoire. La cause sera renvoyée au 28 décembre 2018 à 11 heures aux mêmes fins. A cette audience les défendeurs, par le biais de leur conseil, ont produit des conclusions contradictoires pour contester la qualité de la demanderesse  qu’ils disent être allée obtenir le jugement susmentionné aucun témoin n’ayant comparu et les pièces produites ayant été fabriquées pour les besoins de la cause ; ils ont également mentionné que  la Carte nationale d’identité de dame Sandrine N. dressée le 25 septembre 2007 porte pour nom de mère plutôt un autre nom  que celui de la défunte dont elle prétend être la fille ; ils ont demandé au juge de constater qu’une plainte  a été déposée au Parquet de céans  et une enquête a été ouverte contre Dame Sandrine N. pour les manœuvres qui lui ont permis d’obtenir le jugement d’hérédité querellé ; ils ont enfin souligné que la demanderesse est représentée à la présente cause par un mandataire qui ne prouve qu’il est son conjoint, ascendant ou descendant, son collatéral privilégié son pupille . 

Pour ces  motifs, les défendeurs demandent au juge de prononcer l’irrecevabilité contre dame Sandrine N. à double titre : pour défaut de qualité et défaut de qualité de son mandataire car seuls les avocats peuvent représenter une partie devant les juridictions où il y a plus de 4 cabinets d’avocats. La cause sera renvoyée le 04 janvier 2019 pour les répliques de Dame Sandrine N. dans lesquelles elle confirme qu’elle jouit de la qualité lui permettant d’ester en cette cause, et que les artifices de la défense sur le défaut de qualité  de sa personne ne sont pas fondées ; et que la Carte nationale d’identité produite en l’espèce par la partie adverse n’est pas la sienne en ce q’une telle pièce a été fabriquée pour les besoins de la cause. Un autre renvoi sera fixé le 09 janvier 2019. Au cours de cette audience, la partie adverse maintient sa charge, et surtout insiste auprès du juge pour qu’il se fonde sur la tierce opposition contre le jugement N°46/CIV du 22 janvier 2016 du Tribunal de grande Instance du Wouri. Toute chose qui remet toutes les parties au même et semblable état qu’avant ledit jugement. Ils ont aussi demandé au juge de statuer  que ce jugement est censé n’avoir pas  été rendu. Le 11 janvier 2019, Dame Sandrine N. produit, par les biais de son conseil, des conclusions contradictoires, et le 18 janvier 2019 c’était une audience pour les débats. Les 28 et 30 janvier 2019, c’est deux autres  audiences aux fins de production des écritures à la demande de Dame Sandrine N. L’audience est renvoyée le 1er février 2019, le juge reçoit des conclusions  dans lesquelles la demanderesse informait le juge qu’elle avait régularisé la qualité de son représentant : un avocat du barreau du Cameroun s’était constitué pour assurer sa défense sur la base d’une lettre datée du 10 janvier 2019. La demanderesse rejetait toutes les arguties développées par les défendeurs comme non fondées. La cause sera une fois de plus renvoyée au 4 février 2019 pour écriture de la part des conseils des sieurs X et Y, puis mise en délibéré pour ordonnance à être rendue le 13 février 2019. Le délibéré a été prorogé au 27 mars 2019. A cette dernière audience le juge a vidé son délibéré conformément à la loi et donné gain de cause à Dame Sandrine N. par l’ordonnance expulsant les sieurs X et Y de l’immeuble sis à  Akwa qu’ils occupent illégalement  depuis des lustres.

PROBLEME JURIDIQUE

Il convient donc d’examiner chacun des points qui ont favorisé la décision du juge en faveur de l’héritière:

La partie adverse a demandé l’irrecevabilité de Dame Sandrine N. pour défaut de qualité de son mandataire. En effet, la loi 90/059 du 19 décembre 2019 portant organisation de la profession d’avocat en son article 2 dispose : « Toute personne peut sans l’assistance d’un avocat, se présenter elle-même devant toute juridiction à l’exception de la Cour Suprême pour postuler et plaider soit pour elle-même, son conjoint, soit pour ses ascendants, ses collatéraux privilégiés, soit pour un pupille … ». Or le mandataire de Dame Sandrine N. n’a pas rapporté la preuve du lien de filiation avec Dame Sandrine N.. Pour corriger ce vice de procédure, Dame Sandrine N. a comparu en personne et a constitué par la suite un avocat au barreau du Cameroun. Le juge a donc rejeté cette exception d’irrecevabilité comme non fondée.

Face aux accusations soulevées par la partie adverse, savoir la défenderesse n’a pas qualité, n’étant pas la fille de la De cujus, qu’une carte d’identité fait état de ce que sa véritable mère serait une autre dame que la défunte. Le juge a estimé qu’une grosse du jugement produit, il ressort que dame Sandrine N. est héritière de sa défunte mère;  que le juge du TGI au regard des pièces produites n’a pas eu de difficulté à la désigner comme telle; que la photocopie de la CNI versée au dossier de procédure en l’absence de l’originale ne saurait remettre en doute la filiation de la demanderesse ; qu’en présence d’une décision passée en force de chose jugée et en l’absence de la preuve irréfragable, il convient de juger que dame Sandrine N. a qualité de rejeter cette fin de non-recevoir comme non fondée.

Le juge s’est appuyé sur l’article 221 du code de procédure civile et commerciale qui dispose : « Les jugements passés en force de la chose jugée, portant condamnation à délaisser la possession d’un héritage seront exécutés contre les parties condamnées, nonobstant la tierce opposition et sans y préjudicier ; Dans les autres cas les juges pourront suivant les circonstances suspendre l’exécution du jugement ». Or à en croire le juge, la tierce opposition est une voie de recours extraordinaire qui n’a pas d’effet suspensif et cela est raisonnable dans la mesure où un effet suspensif permet à la partie récalcitrante de multiplier les tierces oppositions de complaisance. Toutefois, le juge a affirmé qu’il est possible de suspendre l’exécution du jugement frappé de tierce opposition, même s’il s’agit d’une décision exécutoire de droit. Le juge a précisé que la faculté de suspendre la tierce opposition ressort du seul pouvoir du juge saisi et ne devrait pas pouvoir être exercée par une autre juridiction. Par conséquent, la tierce opposition n’a pas d’effet suspensif conformément à l’article 604 du code de procédure civile et commerciale.  Et le jugement N°46/CIV rendu le 22 janvier 2016 par le Tribunal de Grande Instance du Wouri ayant déclaré Dame Sandrine N. unique héritière  et administratrice des biens de feue sa défunte mère est devenu définitif  et a vocation à s’exécuter, aucune décision n’ayant été prise par le juge saisi.

Etant donné que les sieurs X et Y occupent l’immeuble de Dame Sandrine N. sans qualité aucune, qu’ils ont résisté aux sommations de libérer les lieux, que cette attitude est une voie de fait qui créé l’urgence et fonde le juge des référés à ordonner leur expulsion tant de corps que de biens. Toutefois, sans astreinte, le juge n’ayant pas voulu les accabler davantage, car, la partie qui succombe au procès en supporte les dépens.

Marius Nguimbous

 

LEXIQUE DU DROIT

Défendeur : Celui contre lequel une demande en justice est formée.

Demandeur, deresse : Celui qui a pris l’initiative d’un procès.                                                                                                                                                                       

De Cujus : Abréviation usuelle d’une expression latine, is de cujus successione agitur (celui de la succession duquel il s’agit), qui sert à désigner la personne décédée dont la succession est ouverte.

Assignation : Acte d’huissier par lequel le demandeur fait inviter son adversaire, le défenseur, à comparaître devant la juridiction appelée à trancher le litige qui les oppose, soit dans u délai déterminé (assignation ordinaire à quinzaine), soit (en vertu d’une autorisation spéciale du président de la juridiction) à jour et heure fixes ou même, en cas d’extrême urgence, d’heure à heure. Assignation désigne aussi le fait d’assigner (Pour un justiciable, inviter son adversaire, par acte huissier de justice, à comparaître devant une juridiction.)

Avant-dire-droit : Expression consacrée et abrégée (pour «  avant de dire le droit »,  « avant de faire – le cas échéant – droit à la demande » , qui dans une décision annonce  que celle-ci ne tranche pas la contestation principale, mais qu’elle prend, avant la solution de cette contestation, une mesure destinée à la préparer ou à l’attendre pendant l’instance (en quoi elle a cependant un caractère juridictionnel).

Tierce opposition : voie extraordinaire de recours permettant, en principe, à toute personne qui n’a été ni partie ni représentée à une instance (tiers) d’attaquer pendant trente ans, s’il lui est préjudiciable, le jugement rendu  en dehors d’elle, pour demander au juge de rejuger, en ce qui la concerne, les points qu’elle critique et, sur ces points, de rétracter ou de réformer le jugement relativement à elle (l’ouverture de ce recours étant cependant restreinte dans le cas où le jugement a été notifié à un tiers. Ce dernier n’ayant alors, en matière contentieuse, que deux mois à compter de la notification pour former tierce opposition et perdant en matière gracieuse le droit de le faire, voyant s’ouvrir à lui la seule voie – d’ailleurs mixte  de l’appel (mi- rétractation mi- réformation) particulière à cette matière. La tierce opposition peut être incidente à une contestation dont est saisie une juridiction qui peut, sous certaines conditions, être tranchée par cette dernière ( voie de réformation). La tierce opposition  est principale lorsqu’elle est formée à titre principale devant la juridiction même dont émane le jugement attaqué (voie de retractation).

Force de la chose jugée : Efficacité particulière qu’a (ou obtient) une décision de justice lorsque, n’étant pas (ou plus) susceptible d’une voie de recours suspensive, elle est (ou devient) exécutoire. Ne pas confondre avec autorité de la chose jugée.

Référé d’heure à heure : celui qui a lieu à une heure indiquée par le juge, même les jours fériés ou chômés, soit à l’audience soit encore au domicile du juge (portes ouvertes), dans les cas où ce dernier permet au demandeur, en raison de la célérité de l’affaire, d’assigner dans de telles circonstances. 

Marius Nguimbous
Marius Nguimbous

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