« Plusieurs catégories de régimes fonciers ont existé au Cameroun »

Dr Jules GOUDEM

Chargé de Cours, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Yaoundé II.

« Plusieurs catégories de régimes fonciers ont existé au Cameroun »

L’enseignant de droit privé, le docteur  Jules GOUDEM, nous entretient sur l’évolution de la législation foncière au Cameroun. Une leçon d’histoire qui revisite  les périodes précoloniale, coloniale et postcoloniale

Quels sont les régimes fonciers qui ont existé au Cameroun jusqu’à ce jour ?

Plusieurs catégories de régimes fonciers ont existé au Cameroun.

Sur le plan de l’opposition binaire des concepts en foncier africain, le Cameroun, comme les autres ex-colonies d’Afrique francophone, a connu deux systèmes fonciers antagonistes : le système foncier ancestral et celui de droit écrit dit moderne. Il en a ainsi été sous les colonisations française et anglaise au Cameroun. Avec l’avènement de la République fédérale du Cameroun, il y a eu transposition, à cette république, des systèmes analogues existant au Cameroun britannique. Cette République s’est alors retrouvée avec un double système foncier de droit coutumier et un double système  foncier «moderne».

Sur le plan des superstructures coloniales en la matière, on distingue naturellement le système foncier colonial allemand (1884-1916) de ceux également coloniaux français (1916-1959) et anglais (1916-1961) (ces périodes sont déterminées approximativement). Ces systèmes ainsi que ceux coutumiers ont été unifiés au profit du système foncier civiliste (à la française)  parce que ce dernier a absorbé les autres.

Si l’on examine profondément l’approche française, on constate qu’il y avait trois systèmes fonciers : les systèmes de la transcription, de la constatation et de l’immatriculation. Le système de la transcription a été institué au Cameroun par l’arrêté du 15 septembre 1921. Cette transcription résultait, en matière immobilière,  de l’insertion, au biblorhapte de la conservation de la propriété foncière, de l’analyse des actes translatifs des droits réels immobiliers, sous le numéro d’ordre de l’enregistrement préalable de ces actes.  Elle fut supprimée en 1959. Avant sa suppression, elle fut combinée avec le système de la constatation organisé au Cameroun par le décret du 21 juillet 1932.

Ce décret permettait d’établir la preuve des droits fonciers sur les terres détenues par les communautés coutumières ou par leurs membres, au cours d’une procédure plus allégée que celle de l’immatriculation. La procédure de constatation était sanctionnée par un livret délivré au demandeur en constatation. Une copie de ce livret était remise au conservateur de la propriété foncière pour transcription. Cette procédure a été abrogée à son tour par une loi du 7 juillet 1966.

 

En ce qui concerne le système de l’immatriculation, il a été définitivement créé au Cameroun par un autre décret du 21 juillet 1932. Il s’est rapproché du système d’enregistrement au Grunbush appliqué de 1884 à 1914 par les Allemands.  Il a été réformé en 1959, 1963, 1974 et 2005. Le décret de 2005 modifiant et complétant le décret n° 76-165 du 27 avril 1976 est très accessible. Il convient de vous y renvoyer.

 

Merci, Docteur pour le renvoi. Mais ce n’est que partie remise, car nous y reviendrons plus loin.  Pour le moment, je voudrais savoir quelle est la nature juridique des droits fonciers coutumiers ?

Il ne nous semble pas possible de débattre profondément ce sujet ici. Ce problème est assez récent parce qu’il n’a été bien posé que par le courant foncier moderne qui se veut scientifique.  Selon les tenants du courant classique, les droits fonciers coutumiers sont des tenures, aussi appelées possessions. Ils ne sont pas des droits de propriété parce qu’il leur manque l’élément fondamental de celle-ci. Cet élément est l’abusus, c’est-à-dire le droit de disposition. Les autres éléments sont l’usus (droit d’utiliser la terre) et le fructus (droit d’en percevoir les fruits). Parce que l’abusus manque aux droits fonciers coutumiers, ils sont inaliénables, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas susceptibles de vente. Or, une chose non susceptible de vente n’est pas un bien,  ce n’est pas une propriété dans la logique civiliste. Bien d’auteurs ont été tourmentés par cette nature juridique. M. SONIUS, conseille « d’abandonner la notion de propriété dans le sens occidentalo-européen et de considérer que la propriété ici est l’agrégat des droits propres des groupes et de leurs membres» (H. W. J. SONIUS, Introduction to aspect of customary land law in Africa, as compared with some Indonesian aspect, Lei den University Press, 1963, p. 26).

Le Docteur Isidore Léopold MIENDJIEM (in Le droit des occupants et exploitants du domaine national, Thèse pour le doctorat d’Etat en droit privé, Université de Yaoundé II, mars 2007,  pp. 108 et 110), Mme Catherine ARAUJO BONJEAN et M. Gérard CHAMBAS  (in « La taxe foncière rurale », in Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité, KARTHALA, Paris, 1998, p. 362) soutiennent qu’ils sont des « quasi-propriétés ». Notre réflexion est encore en cours.

 

Comment ces droits fonciers des détenteurs coutumiers ont-ils évolué ?

De quels droits fonciers coutumiers s’agit-il ?

S’il s’agit des droits fonciers coutumiers précoloniaux, force est de remarquer qu’ils ne sont plus purs depuis les colonisations.  Ils ont dans une moindre mesure subi, avant la colonisation occidentale, l’influence de la colonisation arabe à travers l’influence du droit musulman dans les zones islamisées du pays telles que le Nord-Cameroun. Cette influence s’est exercée sur la quasi-totalité du pays avec la colonisation et le Cameroun postcolonial. Elle s’appréhende mieux sur le plan de la circulation de la terre. Son inaliénabilité s’est progressivement atténuée face à la nécessité de vendre ou de louer une parcelle de la terre pour payer des impôts excessifs.  En outre, l’introduction des cultures de rente telles que le caféier et le cacaoyer a brisé le communautarisme foncier coutumier au profit de l’appropriation individuelle de la terre. Cette évolution est plus linéaire que celles des droits fonciers coutumiers issus de la réglementation étatique, même si de nos jours, la réhabilitation de ce communautarisme est de plus en plus conseillée sur les résidus des terres communautaires par des acteurs surtout internationaux.

S’il s’agit alors de cette dernière catégorie de droits fonciers, son évolution a été en « dents de scie » (Alexandre-Dieudonné TJOUEN, Droits domaniaux et techniques foncières en droit camerounais (Etude d’une réforme législative), ECONOMICA, Paris 1982, p. 28). Baptisée propriété dans le Traité germano-douala du 12 juillet 1884, cette nature juridique a commencé à être au moins caduque dans les textes subséquents, en l’occurrence dans le décret du 15 juillet 1896 ; cette évolution régressive a abouti à la négation implicite de ces droits à travers l’expropriation, sans indemnisation, de certaines terres de la communauté douala.

La Société des Nations (SDN) a réhabilité les droits fonciers coutumiers dans les Accords de tutelle mais sans les ériger au rang de la propriété de droit écrit, après que les mandataires français et anglais aient maintenu et même renforcé l’institution de « terres vacantes et sans maître » constituée de terres incultes. Malgré la vigilance de la SDN, ses prescriptions n’étaient pas rigoureusement respectées par les mandataires. Les élus locaux et les leaders d’opinion de l’époque s’étaient livrés à des joutes politiques relatives à la terre (André TIENTCHEU NDJIAKO, Droits réels et domaine national au Cameroun, PUA, Yaoundé, 2004, pp. 19 et ss.).  Leur combat politique avait abouti à la suppression des fameuses terres vacantes et sans maître par :

– le décret n° 55-581 du 20 mai 1955 portant réorganisation foncière et domaniale au

Cameroun et au Togo (Cameroun français) ;

– la Land and native rights ordinance de 1956 (Cameroun anglais).

Alors que la situation a été stable dans la zone anglophone du pays jusqu’en 1974, les mutations se sont accélérées en la matière dans sa zone francophone après l’indépendance. En l’occurrence les terres vacantes et sans maître ont été réhabilitées dans le décret-loi de 1963 sous l’appellation du « patrimoine collectif national ».  La notion avait évolué et avait abouti à celle de « terres libres de toute occupation effective ».  Dans ces systèmes, les terres coutumières ou « terres occupées ou exploitées » par les populations se sont en réalité réduites comme une peau de chagrin et ce, au profit de la seconde catégorie.

La réforme de 1974 semble avoir achevé l’évolution en nationalisant de façon assez originale toutes les terres jadis coutumières et encore non immatriculées. Dans ce nouveau et actuel système foncier, ces terres se regroupent en deux dépendances d’un domaine appelé « domaine national » très proche de l’ex-patrimoine collectif national. Sa première dépendance est constituée de terres non immatriculées, n’appartenant pas au domaine public, occupées ou exploitées avant le 5 août 1974 et de celles objets de certains actes non transformés en titres fonciers dans les délais légaux tels que les livrets fonciers sus-cités. Sa seconde dépendance est constituée de terres non mises en valeur avant ce délai.  Il s’agit des forêts, des savanes, des montagnes...

Dans ce système, les droits fonciers coutumiers subsistent dans la mesure où la réforme a permis aux occupants ou exploitants des terres de la première dépendance du domaine national de continuer à en jouir et de les faire immatriculer à leur nom. Mais ils sont d’avantage affaiblis par rapport à leurs niveaux des années 55, 59 et 63, surtout dans la zone anglophone du pays.

 

Au Cameroun, la loi s’oppose à la coutume, la propriété à la tenure ou possession foncière coutumière. Peut-on  concilier les deux approches qui en ressortent ?

Si l’opposition entre la loi et la coutume a été franche en certaines matières,  tel le droit pénal qui fut banni en 1946, elle n’a été, à notre sens, qu’assez sournoise dans le domaine foncier. Ceci ressort bien de l’historique ci-avant dans la mesure où grosso modo, les pouvoirs publics sont partis de l’affirmation de la propriété foncière coutumière en 1884 à sa réduction à sa plus simple expression appelée possession. Ils ont été contraints à cette ruse parce que la négation ferme des droits fonciers coutumiers devait avoir des répercussions  d’autant plus destructrices que le seul problème des terres faisait apparaître deux fonctions essentielles des collectivités coutumières à savoir, leur cohésion, la préservation de leur ordre intérieur et l’assurance de leur sécurité extérieure.

Cet important rôle de la terre a amené les législateurs coloniaux, postcoloniaux et contemporains, ainsi que les juristes de tous bords à s’évertuer à trouver les vrais caractères des droits fonciers africains dans la logique du courant foncier classique ou pour les concilier dans celle du courant foncier moderne.  N’ayant pu trouver la nature juridique ou à tout le moins les vrais caractères de ces droits, les tenants classiques ont vite baptisé ces droits « tenures » et les ont ensuite assimilés, non sans paradoxe, aux droits civilistes ou anglo-saxons qu’ignorent l’approche coutumière de la terre, pas pour en tirer les conséquences rationnelles, mais pour les affaiblir conformément à la logique de l’assimilation.

Dès lors, on comprend facilement qu’à cause de cette assimilation qui a eu un but politico-économique, les Etats coloniaux et post-coloniaux n’ont pas suffisamment pris en compte les réalités foncières africaines.  Toutes ces puissances publiques, à force d’assurer  au nom du développement et même de l’unité nationale , la primauté du droit foncier importé de l’Occident sur les droits coutumiers, ont fragilisé ces derniers.  Cette attitude les a amenées à se soucier très peu de la justesse des concepts utilisés, au regard des exigences de la conception africaine de la terre. A cause de la non prise en compte de ces réalités, les détenteurs fonciers coutumiers ne se sont retrouvés  que très peu dans la législation foncière et domaniale et ont vollens nollens développé une résistance parfois farouche face à l’accaparement de leurs terres par une kyrielle d’acteurs du fait de l’Etat, si ce n’est par lui.

Il s’ensuit que, pour concilier les approches foncières coutumière et civilistes ou étatique, il faut intégrer directement les populations dans  l’élaboration des lois. Le législateur de 1974 semble l’avoir compris dans la mesure où la prise des textes de la réforme foncière et domaniale de cette date avait été précédée par des conférences et des enquêtes. Mais il semble que ces enquêtes n’ont pas été suffisamment prises en considération, en faveur des populations, dans l’élaboration de ces textes.

 

En 2005, le décret de n° 2005/481 a opéré une réforme foncière. Ce décret introduit un certain nombre d’innovations. L’une des plus importantes est la déconcentration de la gestion foncière. La déconcentration consacre ainsi le rapprochement de l’administration foncière des usagers. Peut-on à ce titre dire que le Cameroun s’oriente vers la décentralisation de la gestion foncière, étant donné le contexte ?

Il y a déconcentration lorsqu’au sein d’une personne morale de droit public telle que l’Etat ou la région, le pouvoir de décision détenu par les autorités les plus élevées est confié à des autorités moins élevées dans la hiérarchie interne de cette personne morale. Dans cette perspective, la déconcentration de la gestion foncière renvoie, dans le cadre du domaine national, à l’administration des procédures aboutissant à la mobilisation des terres par titrisation ou bail par les entités juridiques de base de l’Etat. En ce qui concerne la décentralisation de la gestion foncière, elle consiste à rendre les régions, les départements ou les communes indépendants de l’administration centrale en leur conférant plus de pouvoirs en matière du contrôle et de l’administration de la ressource terre. Il ressort de la comparaison de ces deux définitions que leur différence tient du degré de l’autonomie dont jouissent les entités juridiques dans la gestion du foncier.

Dès lors on peut affirmer que l’un des systèmes peut glisser vers l’autre en fonction du degré de la démocratie et de la sensibilité des problèmes fonciers dans l’Etat. A partir du moment où le Cameroun a commencé à déconcentrer la gestion foncière, on peut espérer qu’il poussera plus loin son approche et aboutira à sa décentralisation. Celle-ci est d’ailleurs de plus en plus conseillée sur le plan international.

Propos recueillis par E.N.S

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