Au service de la loi ou du pouvoir ?

"Le Ministère public dans le contentieux administratif au Cameroun: contribution à l'étude des organes de la juridiction administrative camerounaise"

Tel est le titre de la thèse de doctorat Ph.D en droit public, soutenue à l’Université de Yaoundé II-Soa, le 27 octobre 2010 par Monsieur Henri-Martin-Martial Ntah à Matsah, sous la direction du Pr. Magloire Ondoa.

La relative indifférence de la doctrine publiciste à l’étude du ministère public, fait incontestablement du Dr. Ntah à Matsah, un pionnier dans ce domaine traditionnellement  toiletté par les privatistes.

En effet, il n'est pas rare que dans sa jurisprudence, le juge administratif fasse référence aux conclusions d’ordre public du Ministère public. Ce qui amène tout de même l’auteur à se demander si le Ministère Public est réellement un organe de la juridiction administrative : question centrale autour de laquelle tourne son analyse.

Dans ses développements, l’auteur démontre que même si  le ministère public est subordonné à la Chancellerie (première partie), il demeure effectivement un organe de la juridiction administrative, dans la mesure où il participe à l’exercice de la fonction administrative contentieuse (deuxième partie).

Devoir de soumission

Dès lors, dans la posture qui est désormais la sienne, l’auteur fait ressortir l'application et les spécificités qui se dégagent de la procédure consultative entre le juge administratif et le Ministère public, tout en démontrant la nature organique de ce dernier. C’est ainsi que Dr. NTAH démontre notamment que l'intégration organique du ministère public au Ministère de la justice constitue la preuve de la soumission statutaire de cet organe de la juridiction administrative à la chancellerie. C'est une sorte d'inféodation qui a des bases constitutionnelles. La soumission hiérarchique du Ministère public au Ministère de la justice (soumission statutaire des magistrats du parquet au pouvoir exécutif) se justifie d'ailleurs par un "pouvoir d'instruction", prérogatives dont sont dépositaires les autorités hiérarchiques en charge de la gestion du parquet. Cela leur confère aussi le "droit" ou la possibilité de sanctionner tout manquement d'un magistrat au statut.

Le Ministère public participe effectivement à la fonction administrative contentieuse; il reste l'une des composantes nécessaires à l'élaboration des décisions de justice.  Cette démarche a fait dire à certains examinateurs, que le candidat a relevé à juste titre « de fines analyses qui introduisent dans l'intimité du procès et constituent, sans doute, des linéaments d'une sociologie de l'élaboration de la décision administrative contentieuse ». Aussi, intervient-il de manière obligatoire et facultative.

 

Dr. Ntah pense à ce propos que de manière obligatoire, le Ministère public intervient par exemple dans les matières relatives à l'urgence, aux actes grossièrement illégaux de l'administration et à l'exécution des décisions de justice.

De manière facultative, le Ministère public intervient par exemple dans les matières relatives à la fixation des audiences et aux mesures d'instruction.

Pour plus de précision, le Dr. Ntah pense que la loi demande souvent au juge administratif de statuer après les conclusions du Ministère public. Dans ce cas, deux moyens juridiques permettent de matérialiser cette intervention: d'une part, la communication du dossier d'instance, d'autre part, la formulation de l'avis par le Ministère public.

Notons qu'il n'a pas omis de mettre en exergue la finalité de l'intervention du Ministère public en matière administrative. L'auteur voit donc le Ministère public en "défenseur de la légalité" qui contribue effectivement au respect de la loi, expression de la volonté générale. Consulté par le juge avant l'application de la loi, les orientations du Ministère public, faites par voie de conclusions, doivent être susceptibles d'amener le juge de l'administration à décider dans le sens de la loi. Il est vrai que cela ne se réalise pas sans embûches comme pense l'auteur. « Des obstacles résultant le plus souvent du juge qui veut faire valoir son indépendance » selon les termes du Pr. Jean Gatsi. Tandis que l’un de ses éminent collègue observait qu'il « se pose à certain moment le problème de la loi écran. Problème que le juge administratif est parvenu à résoudre à travers la technique de l'écran transparent »

Mais le Ministère public est aussi et surtout un défenseur des intérêts généraux de la société et de l'Etat (administration) pendant le déroulement de l'action administrative contentieuse. Pour ce faire, à l'audience, il concourt à l'interprétation et à l'appréciation par le juge des lois et règlements en vigueur. Il est d'ailleurs doté d'une multitude de prérogatives qui lui attribuent une place de choix au prétoire, lors du déroulement de la fonction administrative contentieuse.

L’exécutif tout-puissant

Plus grave, comme le note l'auteur, le pouvoir exécutif reste un obstacle majeur au déploiement du Ministère public dans le contentieux administratif au Cameroun. Cela se traduit par la prise en compte légale du Ministre de la justice, garde des sceaux, qui dispose de la compétence de donner des ordres et  des instructions aux magistrats du parquet qui lui sont hiérarchiquement ou administrativement soumis. L'auteur pense à la suite du Pr. Maurice Kamto que cela « constitue une entrave à la liberté de juger, remettant en cause à l'occasion la bonne administration de la justice ». Pareillement, c'est le président de la République qui est, au sens de la constitution,  garant de l'indépendance de la magistrature, c'est-à-dire que c'est à lui qu'incombe la charge de protéger les droits et libertés fondamentaux. Mais le caractère assez ascendant de ses pouvoirs sur la magistrature, notamment sur celle dite "debout", influence et fragilise la mécanique du parquet, qui le plus souvent vise la satisfaction de la volonté du Chef de l'Etat par Ministre de la justice interposé, et à reléguer au second rang la volonté générale exprimée dans la loi.

Le Dr. Ntah pense en fin de compte que le Ministère public camerounais est encore, non pas au service de la loi, mais également au service du pouvoir exécutif. Pour lui, il est peut-être temps de renforcer son pouvoir à l'égard de celui-ci, en lui conférant un statut sinon identique à celui du rapporteur public nouvellement institué en France, du moins proche de lui.

De ce qui précède, il apparaît que le travail du Dr. Ntah à Matsah Henri-Martin-Martial soulève des problèmes qui engagent l'essence même de la juridiction administrative.

Emilienne N. Soué

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