Magistrature: Ethique et déontologie

Quelle magistrature pour quelle justice ?

Comment améliorer l’administration de la Justice au Cameroun ? C’est le socle de la réflexion menée par le Procureur Général près la Cour Suprême du Cameroun, Martin Rissouck à Moulong autour des thèmes ″Justice et Célérité″ et ″ Justice et efficacité″, à l’occasion d’un débat à l’ENAM pour les cinquante ans de cette Institution. A en croire ce grand homme de loi, Magistrat Hors-hiérarchie, l’absence de ces valeurs ajoutées équivaut à un déni de justice.

 

Véritable institution dans notre pays, la justice est actuellement le pouvoir judiciaire et l’ensemble des tribunaux et des magistrats qui rendent des décisions. Comme l’a si bien déclaré le chef de l’Etat, Paul Biya le 1er décembre 2009 ; « La justice est la plus haute instance de  régulation sociale, et la poutre maitresse de la démocratie dans un Etat de droit ». Rendre justice est une noble mission, mais aussi une lourde responsabilité, c’est l’éthique et la déontologie qui doivent servir de guide, et la République qui confie le soin aux magistrats de veiller au respect des lois, ne peut tolérer des défaillances.

 

 

JUSTICE ET CELERITE

Le mot célérité revient assez souvent dans le langage de tous les jours, s’agissant des procédures judiciaires. L’exigence de célérité procédurale amène les justiciables à espérer que leurs procès seront réglés rapidement pour la mise en œuvre par le législateur des principes qui  favorisent et aménagent le déroulement des procédures. Mais les lenteurs judiciaires difficiles à combattre et tant décriées par les Camerounais, sont de nature à multiplier le dysfonctionnement de la justice. L’aménagement du déroulement rapide des procédures, de délai en matière civile et commerciale, du droit substantiel, a règlementé les procédures d’urgences tels que le référé régi par les articles 182 et suivant du code de procédure civile et commerciale. L’Acte Uniforme N°6 a aussi aménagé des procédures simplifiées de recouvrement et de restitution, notamment les procédures d’injonction de payer et la procédure en restitution d’un bien meuble corporel. L’astreinte qui par définition est une condamnation à une somme d’argent, à raison de tant par jours,  semaines ou mois de retard, peut être infligée par le juge de fond ou le juge de référé contre un débiteur récalcitrant, en vue de l’amener à exécuter en nature son obligation.

En principe provisoire, c’est-à-dire sujette à révision, l’astreinte peut être définitive si le tribunal en a expressément décidé. En matière pénale, l’article 222 al.1 du code de procédure pénale prévoit une durée pour le mandat de détention préventive et provisoire ; elle ne peut excéder 6 mois. Toutefois, elle peut être prorogée par ordonnance motivée, au plus pour 12 mois en cas de crime ou de 06 mois en cas de délit. L’article 388 du code de procédure pénale fait obligation à la juridiction de vider le délibéré sous les 15 jours après la clôture des débats.

L’article 275 du code de procédure pénale fait également obligation à la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel, de statuer dans les 30 jours de la réception de la requête d’appel. Enfin, obligation est faite au juge de rédiger à l’avance, le jugement avant son prononcé.

En matière d’exécution des décisions judiciaires, le législateur communautaire à aménagé des délais brefs pour les recours en matière d’exécution ; 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance de l’injonction de payer (Article10 de l’Acte Uniforme de l’OHADA  N°6); 1 mois à compter de la multiplication de l’acte de saisie pour contester une mesure d’exécution forcée, saisie d’exécution (Article 170 de l’Acte Uniforme OHADA  N°6), la loi du 19 avril 2007, impartit au juge du contentieux, de statuer dans les 30 jours de saisie.

 

LE DYSFONCTIONNEMENT POSE PAR LES LENTEURS JUDICIAIRES

La justice au Cameroun donne lieu à beaucoup de critiques, notamment en ce qui concerne les lenteurs, aussi peut-on légitimement soutenir que résorber les lenteurs  judiciaires, revient à améliorer l’administration de la justice. Les actions devraient donc être menées en synergie, en vue d’atteindre une justice plus rapide. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’une justice lente équivaut à un déni de justice comme le disent les anglo-saxons : « justice delay,…justice deny…». Nous allons donc préciser les causes de l’action judiciaire  pour trouver l’équation d’une justice rapide, rendue dans les délais acceptables.

 

LES CAUSES DES LENTEURS INHERENTES AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE

Le code de procédure pénale inspiré du droit anglo-saxon ou de la common law, fait régulièrement appel à des notions nouvelles en matière d’audience. Le juge doit faire l’examination…c’est-à-dire l’interrogatoire d’un témoin par la  partie qui l’a précité, la cross-examination, c’est-à-dire l’interrogatoire d’un témoin par une partie autre que celle qui l’a précité,  la reexamination, c’est-à-dire l’interrogatoire après la cross-examination d’un témoin de la partie qui la précité. Il y’a lieu de relever que le juge doit se prononcer d’abord sur la culpabilité ensuite sur la peine, ce qui  entraine des renvois. Les autres causes de lenteurs sont dues à l’existence de voies de recours en toutes matières : oppositions, appels, pourvois ; au respect de droit de la défense qui nécessite la communication des mémoires, des échanges de conclusions et des délais pour répliquer ; au respect du principe de contradictoire ; aux techniques d’endiguement de procédures utilisées par les avocats qui sont : utilisation abusive de pièces à preuves ; problème de computation de délais, la multiplication des conseils entrainant des demandes de renvois ou de rapatriement de délibérés. Le recours excessif aux demandes de suivies et de défense à exécution et à l’utilisation de voies de recours fantaisistes pour créer le dilatoire.

• Les causes imputables ou professionnelles de la justice

Les magistrats sont en partie responsables des renvois par voie abusive et de la non relation  du jugement qu’ils rendent. On reproche aux greffiers de ne pas saisir à temps le factum et  de manquer de diligence dans la mise en état du dossier s’il ne concourt pas à la perte de pièces dudit dossier. Les avocats quant à eux sont à l’origine de la multiplication des incidents de procédure et de renvois injustifiés. Les huissiers ne sont pas en reste, leurs exploits  souvent mal rédigés et exposent ceux-ci à l’annulation ou à la nullité de procédure. Quant aux enquêtes de police, on y décèle des insuffisances souvent regrettables ; on reproche également des brutalités de toutes sortes et des gardes à vue abusives à ces officiers. Les inspecteurs ne sont pas toujours diligents et certains de leurs rapports, qui ne reflètent pas toujours la réalité des faits sont tronqués et conduisent à des erreurs.

L’existence de la corruption en milieu judiciaire est aussi un facteur de lenteur.

Pour tout dire l’exigence de la célérité de la justice commande que le service judiciaire soit doté de moyens à la hauteur des enjeux qu’ils rencontrent, notamment un personnel en nombre suffisant et compétent, magistrats et greffiers, personnels d’appui spécialisés, pour faire face au flux important des affaires, actuellement pendantes dans une juridiction. Il faut souligner pour s’en féliciter, que pour faire face à ces défis, l’Etat a adopté une politique de recrutement de personnel sur trois (03) ans, notamment 450 auditeurs  de justice en renfort aux effectifs prévus qui viendront booster le travail dans l’exécution, une fois sortis de l’ENAM. De même, 300 greffiers, 600 greffiers-adjoints et 300 secrétaires seront recrutés dans la même période. Si  les principes qui favorisent et aménagent le doublement rapide de procédure sont mises en œuvre et si les lenteurs tant décriées par les Camerounais sont combattues, alors on pourrait avoir une justice efficace.

 

JUSTICE ET EFFICACITE

 

Selon le Petit Larousse, l’efficacité est la qualité d’une chose alors que l’adjectif efficace veut dire ce qui produit l’effet attendu. D’après un article de Wikepédia,  l’efficacité est donc la capacité d’arriver à ce but.  Parler de l’efficacité de la justice nous a amenés à faire l’état des lieux en  mettant l’accent sur les statistiques de l’activité civile et pénale des juridictions camerounaises. Les résultats ont porté notamment sur les volumes d’activités et les délais de jugements ;  nombres d’affaires nouvelles, nombres d’affaires classées sans suite, nombre d’affaires poursuivies, nombres d’affaires jugées, stocks d’affaires en cours de traitement, durée moyenne de traitement. Ces statistiques nous ont permis d’anticiper les différentes anomalies de fonctionnement et d’envisager les solutions à proposer. Peut-on prétendre que les moyens mis au service de la justice camerounaise permettent à celle-ci d’atteindre ces buts ? Quels sont ces moyens et quelle en est leur efficience ?

• Des moyens mis en œuvre

Pour améliorer l’efficacité de la justice et arriver à l’application de la loi, l’Etat doit mettre en œuvre différents moyens. Il s’agit : des moyens matériels et financiers et des moyens humains.

* Des moyens matériels et financiers

C’est à travers ceux-ci que l’Etat manifeste sa volonté pour que la justice mène à bien ses missions. Ces moyens sont un budget conséquent, des infrastructures nombreuses et adaptées à la modernisation de celle-ci. A ce niveau, on observe dans notre pays que le budget augmente au fil des années. S’agissant des locaux  , bien que beaucoup ait été fait - construction de nouveaux tribunaux - beaucoup reste à faire. Il faut néanmoins relever la modernisation de quelques tribunaux et Cours d’appel qui fonctionnent avec des ordinateurs, se sont arrimés au réseau Internet.

* Des moyens humains

L’ENAM qui fête son cinquantenaire forme des magistrats compétents.

L’évolution de la magistrature camerounaise se gradue comme suit :

- En 1960, le Cameroun comptait 189 magistrats ;

- En 1970, 242 magistrats ;

- En 1980, 370 magistrats ;

- En 1990, 400 magistrats ;

- En 2000, 572 magistrats ;

- En 2009, 925 magistrats tous grades confondus dont 203 femmes.

L’Etat a mis également en place un corps des auxiliaires  de justice comprenant des administrateurs divers, des greffiers, des avocats, des huissiers et des notaires. Il y’a lieu cependant de continuer à investir dans les infrastructures et les ressources humaines en quantité et qualité. Les moyens mis en œuvre peuvent-ils être qualifiés d’efficients ?

• L’efficience des moyens mis en œuvre

L’examen de la carte judiciaire actuelle appelle quelques observations. La loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire prévoit un tribunal de 1ère Instance par arrondissement et un tribunal de grande instance par département.  Or, à ce jour nous n’avons que 23 tribunaux de première  instance, 12 tribunaux de grande instance autonomes, 44 tribunaux de 1ère instance jumelés aux tribunaux de grande instance, alors qu’il y’a 58 départements et environ 300 arrondissements au Cameroun. Il y’a lieu de constater un décalage évident entre la  carte judiciaire telle que prévue par la loi précitée  et la réalité. Par ailleurs, les grandes métropoles  que sont Yaoundé et Douala qui jugent plus de la moitié du contentieux ne disposent pas de magistrats spécialisés dans certaines branches du Droit, notamment le Droit des Affaires.  Les décisions diverses. Le fonctionnement de nos juridictions ne fait pas modèle. Le dysfonctionnement de l’institution judiciaire déteint  sur le rendu des décisions. L’insuffisance du personnel en qualité et en quantité, l’insuffisance des infrastructures signalées plus haut, ne permettent pas de rendre une bonne justice évidente et exempte de reproches. Bien que la plupart de nos décisions de justice soient acceptées par la majorité de la population, il convient de relever cependant, qu’un bon nombre de citoyens n’arrivent pas à exercer les voies de recours par ignorance et faute de moyens. Quant à l’exécution des décisions de justice, la chaîne est quelque peu grippée. En dehors des magistrats, les autres auteurs chargés de l’exécution des décisions de justice, ne s’illustrent pas par leur engouement au travail : huissiers, greffiers, policiers etc. Il est vrai que la balance de charge d’huissiers et leur répartition illégale sur l’ensemble du territoire n’est pas faite pour arranger les choses. En somme, les critères pour déterminer l’efficacité de la justice ne sont pas tous remplis; des efforts restent à faire à tous les niveaux, pour que la justice devienne performante, que le citoyen trouve sa justice et que celle-ci réponde à ses nombreuses attentes.

Toutefois, la recherche de la célérité et de l’efficacité de la justice n’est pas propre au Cameroun; tout au contraire, même les pays les plus avancés connaissent les mêmes problèmes ; l’Union Européenne en à fait une obsession, d’où l’observance stricte des délais raisonnables de procédure. On relèvera que l’Italie a été condamnée pour non-respect des délais de procédure. Cependant, les moyens mis en œuvre par l’Etat ainsi que la motivation du personnel judiciaire peuvent faire espérer que dans quelques années, la magistrature camerounaise comprendra des magistrats compétents, sérieux, honnêtes, rendant une justice crédible.

Synthèse de Emilienne N. Soué

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