«Les entreprises auront de plus en plus besoin des juristes pour la sécurité juridique de leurs activités»
Spécialiste en Droit des Marchés Publics et des Partenariats Public Privé, M. Alphonse Marie Onambele donne son éclairage sur le métier de juriste conseil en entreprise, en se fondant sur ses attributions d’ingénierie contractuelle au sein du CARPA, structure qui fait office de conseil de l’Etat dans la mise en œuvre des projets struturants.
En quoi consiste votre travail au quotidien dans votre entreprise ?
Je suis le juriste de mon entreprise qui, bien que fonctionnant sous le modèle d’entreprise avec une forte exigence de résultat, n’en est pas une en réalité car, statutairement, on est une structure publique et on se rapproche plus d’un Établissement Public Administratif. Nous sommes le conseil du Gouvernement dans la mise en œuvre des projets de Partenariat Public Privé (PPP) notamment en ce qui concerne le domaine des grands projets d’infrastructures publiques. Donc, mon travail ici au quotidien a trait à l’ingénierie contractuelle du point de vue juridique; car, il faut dire que ces montages complexes appellent des compétences multidisciplinaires. Vous aurez besoin des juristes, des financiers, des économistes, des ingénieurs, etc… moi j’apporte donc la compétence juridique essentiellement. Après, il reste que je suis également interpelé pour toutes autres questions juridiques d’ordre général qui peut se poser dans la maison et qui et n’ont pas fondamentalement trait aux PPP.
Quel est le parcours académique pour pouvoir accéder à cette profession ?
Alors, moi je suis un juriste publiciste et plus précisément, j’ai fait du droit public des affaires. Je suis diplômé en Droit des Marchés Publics et des Partenariats Public Privé de l’Université de Poitiers en France. J’ai pour cela un Master 2 professionnel dans ce domaine, anciennement appelé DESS. Il faut garder à l’esprit la spécificité de cette nouvelle branche du droit. Mais de manière générale, un bon juriste d’entreprise qu’il soit privatiste ou publiciste doit aujourd’hui  avoir au moins un BAC+5, c'est-à -dire un master 2. Car on s’oriente vers la sophistication de plus en plus accrue des instruments et mécanismes juridiques. Alors, certaines universités occidentales vous offrent cette filière spécifique de DJCE entendez Diplôme de Juriste Conseil d’Entreprise, qui est plus affinée et plus spécialisée que la simple maîtrise en droit des affaires comme c’est le cas actuellement au Cameroun.
Quelles difficultés rencontrez-vous dans l’exercice de votre profession ?
Difficulté spécifiques, je ne sais pas s’il y en a vraiment…c’est je crois, comme toutes les professions, quelque chose qui demande de la rigueur et de l’abnégation. Alors peut-être faut -il rappeler qu’un bon juriste, c’est quelqu’un qui est toujours à l’éveil…On apprend tous les jours puisque le droit est mouvant. Les lois changent et il y en a de nouvelles auxquelles vous devez immédiatement vous adapter dans la mesure où elles impactent nécessairement l’activité de votre entreprise ou du moins de votre secteur d’activité. Sous d’autres cieux, les professionnels du droit se plaignent du phénomène de l’inflation législative…c'est-à -dire le trop plein de lois qui apparaissent chaque jour…Le juriste d’entreprise c’est donc aussi et surtout, un spécialiste de la veille juridique, car il faut être up to date. Vous imaginez-vous conseiller votre entreprise sur le fondement d’une loi abrogée ou du moins modifiée à votre insu…les conséquences seront énormes et parfois désastreuses….
Est-ce une fonction qui permet de bien gagner sa vie ?
Dans un système normal, lorsqu’on est recruté dans une boîte (publique ou privée) avec un niveau BAC+5, on doit nécessairement être bien rémunéré et donc bien gagner sa vie. C’est vrai que tout dépend maintenant de là où on place le curseur pour dire qu’on gagne bien sa vie. En ce qui me concerne, je ne me plains pas.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui voudraient suivre vos pas ?
Merci de cette opportunité que vous m’offrez de leur dire un mot là -dessus. Vous savez, l’imagerie populaire dans un pays comme le nôtre où on a beaucoup de chômage voudrait que l’on voit en des facultés de droits, des moules à chômeurs. Je voudrais dire aux jeunes que ça n’est que conjoncturel et ça ne devrait pas être le cas. Le droit c’est l’une des filières académiques les plus affables en termes de débouchés. Avec des études de droit, on a plusieurs débouchés qui vont bien au-delà du concours de l’ENAM comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui au Cameroun. Ce concours est éminemment prestigieux, mais je dois honnêtement vous dire que je n’envie aucunement un produit de l’ENAM…Donc aux jeunes, je dis qu’il faut être ambitieux. Cependant, le bon juriste ce n’est pas celui qui ne se préoccupe que de la validation des UV quelle qu’en soit la manière; sinon, à la sortie vous serez simplement diplômé et rien d’autre…vous trouverez même un emploi, mais très vite vous le perdrez car, vous n’en serez pas à la hauteur. Donc il faut bien faire ses études de droit. Bien faire ses études de droit, c’est développer un sens élevé de responsabilité et de rigueur dans l’analyse… Ensuite, ça passe aussi par une bonne orientation. Il faut bien s’orientez par rapport à ses ambitions. Aujourd’hui, on a plusieurs spécialisations dans le droit, il ne faut plus se contenter d’être généraliste….
Avec le développement économique et la consolidation de l’État de droit, on aura de plus en plus besoin des juristes à toutes les échelles de la société camerounaise. Les entreprises auront de plus en plus besoin des juristes pour la sécurité juridique de leurs activités ou pour leur développement…mêmes les particuliers auront besoin des avocats par exemple…Donc aux jeunes étudiants, et futurs étudiants, je rappelle la maxime latine selon laquelle UBI SOCIETAS IBI JUS (là où il y a une société, il y a un droit…en d’autres termes, le droit est omniprésent voire indispensable dans toute société) par conséquent, la fonction de juriste a toujours de l’avenir devant elle…
Quelle différence particulière faites-vous entre le juriste d’entreprise et le juriste d’administration ?
La différence, si tant est il qu’il y en ait une, est que l’un a un profil de privatiste (droit privé) et l’autre de publiciste (droit public). Mais là c’était hier. Aujourd’hui, la frontière entre les deux branches n’est plus aussi étanche qu’hier. Il existe une influence et un enrichissement mutuel et permanent entre ces deux branches de droit liées notamment au développement des activités économiques et je dirai, à la nouvelle stature de l’administration qui de plus en plus, se retrouve elle-même en situation d’acteur économique. Les personnes publiques s’étant émancipées de leurs activités purement régaliennes pour s’investir dans des activités économiques, non plus comme simple régulateurs mais comme acteurs de premier plan, vous comprenez qu’elles seront soumises à l’influence du droit commun avec quelques spécificités certes, liées notamment à l’intérêt général qu’elles sont censées défendre ou poursuivre. C’est ce qui justifie par ailleurs le développement de la branche de droit public des affaires dont je vous ai parlée plus haut. De même, les entreprises privées aussi consomment de plus en plus du droit public…pensez par exemple à l’activité des marchés publics ou des contrats de partenariat public privé…les entreprises privées en sont des acteurs de premier ordre ; or, ces activités relèvent d’abord du droit public dans la mesure où ce sont des contrats publics. Par conséquent, si une entreprise veut y réussir, elle doit aussi s’entourer des juristes publicistes.
In fine, je dirais qu’il faut plutôt parler de juriste conseil ; et là , on peut l’être aussi bien en entreprise que dans une administration, en s’adaptant simplement aux spécificités de l’une et l’autre structure. Leurs missions tournent essentiellement autour du conseil juridique, de la rédaction des actes importants de leur structure comme des contrats, de la défense des intérêts et parfois de servir de courroie de transmission entre la structure et ses avocats en matière du contentieux.
Propos recueillis par Emmanuel N. Tchock