Pr. Jean-Louis Atangana Amougou: "On doit construire notre démocratie à notre propre image..."

" On doit construire notre démocratie à notre propre image, en tenant compte de notre contexte, en tenant compte de notre culture "

A la faveur de la journée internationale de la démocratie, le Pr. Jean-Louis Atangana Amougou, Agrégé des Facultés de Droit, Directeur Adjoint et  chargé des Etudes à l'Institut des Relations internationales du Cameroun (IRC) rappelle les principes qui fondent un Etat démocratique.

 

La communauté internationale a célébré le 15 septembre dernier la journée internationale de la démocratie. Quel était l'opportunité d'une telle journée ?

Je pense que l'idée qui était derrière l'organisation de Nations-unies et  de la communauté internationale de mettre en place une journée de la Démocratie, c'est surtout d'abord,  un moyen de faire comprendre à la communauté toute entière que la démocratie n'est pas une fin. La démocratie, c'est un objectif,  c'est un idéal à atteindre. Et comme la perfection et l'idéal ne font pas partie de ce monde, il vaut mieux  très souvent rappeler aux uns et aux autres l'impératif qu'il y a pour les uns et les autres à tendre, vers cet idéal de la démocratie. Il me semble que c'est l'objectif de cette journée ; cela permet aux uns et aux autres de faire le bilan.  De voir s'il y a des choses à améliorer, parce que de toutes les façons, il y a toujours des choses à améliorer et peut-être aussi de célébrer les acquis.  C'est cette prise de conscience et ce renouvellement de prise de conscience qui a motivé la communauté internationale pour inspirer une telle journée.

La démocratie peut-elle encore être définie comme le gouvernement du peuple par le peuple, la notion a -telle évolué et quelles sont les composantes d'un Etat démocratique ?

La démocratie demeurera toujours le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Sauf que, c'est une formule, qui a besoin d'être implémentée dans la pratique. Si on s'arrête à la formule, on n'est pas avancé dans la compréhension de la démocratie. La démocratie c'est d'abord un certain nombre de principes, c'est aussi une pratique ; sinon c'est  la synthèse des principes et de la pratique  qui formera le couple que l'on peut appeler démocratie. Ces principes sont généralement basés autour de deux principales valeurs  que sont l'égalité et la liberté. Toute démocratie doit être fondée  sur l'égalité des citoyens. On n'a jamais vu une démocratie qui ait dérogé à cette règle. A contrario, on sait que, dès lors  qu'il y a discrimination,  on va s'éloigner de la démocratie. On va plutôt vers une autre forme de gouvernement qui n'est pas une démocratie. Première chose, l'égalité des citoyens. Deuxième principe,  la liberté. On n a jamais vu une démocratie qui ait fait l'impasse sur la liberté. La liberté suppose la liberté individuelle, puis un certain nombre d'autres droits et libertés. Cela peut être la propriété individuelle, la sphère de la vie privée, la liberté d'expression, la liberté politique qui implique la liberté de la participation politique ;  c'est l'une des clés de la démocratie ; il faut que le peuple participe à sa gestion ; c'est pour cela qu'on parle du gouvernement du peuple par le peuple. Il y a comme cela un certain nombre de principes qu'il faut respecter pour qu'on soit inscrit dans le cercle de ce qu'on peut appeler les Etats démocratiques. Une fois qu'on a  posé ces principes, et qu'on ne les met pas en œuvre dans la pratique, on va demeurer dans quelque chose de très formel. C'est pour cela que j'ai l'habitude de dire qu'on peut tout à fait avoir un régime très démocratique, mais être dans un système qui n'est pas du tout démocratique. Le régime étant l'ensemble de ces règles au niveau juridique, qui sont généralement posées dans une constitution qui est la norme suprême d'un Etat. Mais, une fois qu'on a posé ces règles dans la norme, il faut maintenant les traduire dans la pratique. Et là, on passe au système politique et le système politique a donc besoin, lui, d'être ancré dans les principes qui ont été posés par la règle. Ce n'est que dès lors qu'on a allié ces deux-là qu'on est dans la démocratie.

Quel est l'organisation du pouvoir politique dans une démocratie ?

Dans un système démocratique,  il est clair que selon la théorie et même selon la pratique, la pratique n'a fait que confirmer une théorie qui avait été élaborée par un certain nombre de grands auteurs que l'on connaît aujourd'hui comme des auteurs classiques à savoir Aristote, John Locke, Montesquieu etc. Tous ces auteurs nous ont appris qu'un système démocratique doit être basé sur la séparation des pouvoirs.  La première règle d'organisation du pouvoir, c'est une séparation des pouvoirs. Evidemment, on n'a jamais assisté  à une organisation qui ait une séparation stricte,  de manière cloisonnale  des pouvoirs ; mais il faut une certaine séparation des pouvoirs ; même s'il ya collaboration, ces pouvoirs doivent être séparés. Pourquoi cela, parce qu'on a constaté que dans tous les Etats et tous les systèmes où il y a une confusion de pouvoirs, où il y a confiscation des pouvoirs entre les mains d'une même personne ou au sein d'un groupe, on s'éloigne de la démocratie, on va plutôt vers la dictature. Donc la première chose à faire c'est d'essayer de séparer les pouvoirs sans toutefois introduire une cloison entre ces différents pouvoirs. Il doit y avoir un pouvoir exécutif autonome, un pouvoir législatif autonome et un pouvoir judiciaire autonome et indépendant. Pouvoir législatif indépendant pourquoi, parce que c'est le pouvoir législatif qui élabore les lois qui vont régir la vie dans la société. Il  doit se sentir libre. Le pouvoir exécutif doit aussi  se sentir libre parce que c'est lui qui met en exécution ces lois qui ont été élaborées. Il a été évidemment élu de manière démocratique. Et  le pouvoir judiciaire, parce que c'est lui qui doit sanctionner la non ou la mauvaise application des lois qui auront été élaborées. Il faut une justice indépendante lorsqu'on est dans une  démocratie. Quand une justice n'est pas indépendante, on peut s'éloigner de la démocratie. Quand je parle d'indépendance, ce n'est pas seulement vis-à-vis du pouvoir public. Ça peut être aussi vis-à-vis d'un certain nombre de groupes. Une justice  qui est embrigadée par des groupes soit maffieux, soit des groupes qui détiennent de l'argent ou un  pouvoir religieux,  n'est plus une justice indépendante.

Le vent de la démocratie a soufflé depuis 1990 au Cameroun. Quelles sont les avancées et qu'est-ce qui reste à faire pour  qu'on soit arrimé à la communauté des pays démocratiques de type  occidental ?

Je ne sais pas si on doit chercher à s'arrimer aux démocraties de type occidental, parce que, comme disait Montesquieu "Une règle : une société ne doit établir des lois qu'en fonction de  sa propre culture. Parce que la démocratie camerounaise ne sera jamais la démocratie américaine ; parce que ce n'est pas la même histoire, ce n'est pas le même chemin, ce n'est pas le même cheminement, ce ne sont pas les mêmes hommes,  ce ne sont pas les mêmes cultures. On doit construire notre démocratie à notre propre image, en tenant compte de notre contexte, en tenant compte de notre culture. Maintenant, s'il fallait faire un bilan, j'ai du mal à faire le bilan d'une démocratie qui a à peine une  dizaine d'années. Quand on fait le bilan d'une démocratie comme la démocratie française, c'est déjà plus d'un demi-siècle. C'est 1958, si on prend la Ve République. Si on va en Angleterre, c'est déjà un certain nombre de siècles. Les Etats-Unis, c'est quand même une démocratie qui date de 1773. On a eu le temps de l'évaluer, de corriger les erreurs et je peux vous assurer que jusqu'aujourd'hui, on continue de corriger les erreurs de la démocratie américaine. Aucune démocratie n'est à l'abri d'une dérive. On a bien vu par exemple, la démocratie américaine considérée comme la première du monde qui a eu du mal à gérer une élection. Rappelez-vous les élections présidentielles entre Georges Bush et Al Gore. Ils ont eu du mal à les gérer,  mais leur expérience a fait  qu'ils ont pu s'en sortir grâce à leur assise historique. En Afrique, on aurait eu le même cas de figure, on serait tombé dans une guerre. Dès lors qu'il y a une élection présidentielle qui se passe mal en Afrique, on est toujours au bord de la guerre. On a eu le même cas de figure dans la démocratie américaine, ils ont eu à gérer cela, notamment parce qu'ils ont un substrat historique qui leur permet de gérer  aujourd'hui un certain nombre de choses.

Pour ce qui concerne le Cameroun, on peut dire que, sur le plan juridique, on a fait énormément des progrès.  Notre Constitution, telle qu'elle a été modifiée en 1996, a fait un véritable bond dans le processus de démocratisation. Une fois qu'on a dit cela, comme je le disais  précédemment, la Constitution c'est le régime.  On met en place un régime, ensuite il faut passer au système. Il me semble que c'est ce qu'on essaie de faire ; quelquefois, avec des grands bonds en avant, quelquefois avec hésitation. Sur le plan des libertés, Il est indéniable aujourd'hui que le Cameroun a fait  énormément  des progrès en matière des libertés  de la  presse, des libertés d'association, des libertés politiques. Il y a une certaine liberté qui pose problème, la liberté de manifestation. La loi est  pourtant claire. Pour manifester, c'est la loi de 1990 ; tout le monde la connaît ; maintenant il faut que ceux qui sont chargés de mettre en application ces lois respectent ces lois. Visiblement, les autorités ont un peu  du mal à suivre le respect de la liberté de manifestation. Il s'agit de quoi ? Il s'agit  pour un citoyen ou un groupe de citoyens qui veulent manifester, de déposer une demande de manifestation auprès des autorités préfectorales ou sous-préfectorales, et de déterminer leur itinéraire, le but de leur manifestation.  Les autorités doivent simplement s'assurer que c'est un objectif qui respecte les principes démocratiques,  un objectif n'est pas hors du cadre démocratique et que l'itinéraire ne risque pas de  troubler l'ordre public. Une fois que les autorités ont vérifié ces deux paramètres, elles doivent délivrer l'autorisation de manifestation.  Mais visiblement,  cela n'est pas le cas. Cela signifie peut-être que les autorités ont encore un peu du mal à intégrer que la liberté de manifestation fait partie des pores de la démocratie. Pores au sens de quelque chose qui fait respirer la démocratie. Il faut que les autorités s'habituent à voir les gens manifester ; cela relève de la démocratie ; c'est même un signe de la vitalité d'une démocratie ; ne pas prendre cela pour une tentative de révolution, une tentative de déstabilisation de l'Etat. Une démocratie c'est aussi un Etat qui est capable d'assurer ces  manifestations quotidiennes. Dans certains Etats, il y a des manifestations tous les jours, mais, l'Etat continue de fonctionner ; à condition que ces manifestations ne paralysent pas totalement l'Etat. Pour cela, je pense que l'Etat possède suffisamment des moyens de  dissuasion. Donc, pour me résumer, beaucoup de progrès, mais il y en a encore à faire. Mais cela, c'est le propre d'une démocratie, notamment d'une jeune démocratie qui est encore à  l'échelle humaine à l'âge de son enfance. Notre démocratie est encore au stade de l'enfance. Peut-être qu'allant vers l'adolescence, elle va se bonifier, elle va se densifier, elle va atteindre rapidement la maturité. Peut-être que nous autres pays africains nous pourrons profiter de l'expérience des anciennes démocraties pour ne pas attendre deux siècles pour devenir une véritable démocratie. Profitons des enseignements des anciennes démocraties pour aller un peu plus rapidement que celles-là.

Propos recueillis par Emilienne N. Soué

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