Les jeunes de Touboro en danger
Pour avoir écrit au Président de la République pour dénoncer les exactions dont ils sont victimes, 13 jeunes ont été arrêtés et incarcérés dans une case du lamida de Rey-Bouba, dans le département du Mayo-Rey, Région du Nord.
Ces jeunes gens font partie du « collectif des jeunes indignés de l’arrondissement de Touboro » ayant produit un document intitulé la "Déclaration commune de Touboro" ; un dossier de six pages destiné au chef de l’Etat Paul Biya, avec pour objet, la “dénonciation des actes esclavagistes et autres pratiques inhumaines du Lamido sur les populations de Touboro, sous le regard complice, passif, inerte et laxiste des autorités administratives locales”.
Le 31 décembre 2011, en réaction à la Déclaration du 29 décembre 2011 signée par 1.190 jeunes de l’arrondissement, le lamido fait arrêter les jeunes gens, 13 au total. Ils seront séquestrés dans une case du Lamidah. Au bout de 10 jours, Ils vont être libérés après avoir juré sur le Coran, sous l’effet de la torture, de ne plus jamais recommencer.Ces jeunes n’avaient t-ils pas droit à la protection, au regard de l’arrestation arbitraire et la torture dont ils ont été victimes ? Peut-être que les autorités censées les protéger n’ont jamais entendu parler des différentes conventions internationales ratifiées par le Cameroun ? Lesquelles ont été internalisées dans nos différents instruments y relatifs.
Notamment la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, le Pacte internationale relatif aux droits civils et politiques qui traite des arrestations arbitraires et la torture aux Articles 9 et 7 « 1. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi », et « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».
LA DÉNONCIATION
"Le collectif des jeunes indignés de Touboro", s’insurgent dans leur mémorandum, contre la non application des lois, dans le département du Mayo-Rey, devenu pour ainsi dire, une zone de non droit abandonnée à une milice constituée des «dogaris», hommes de main du lamido.« Le Cameroun n’est-il plus un Etat unitaire ou un Etat de droit ? Ou cette partie de la République est-elle devenue une propriété privée de ce monarque ? Ou bien ne sommes-nous pas des Camerounais comme les autres, raisons pour lesquelles les lois votées ou prises à Yaoundé ne peuvent pas s’appliquer à nous et dans notre terroir ? », écrivent-ils au président Biya. En substance, la non application de l’arrêté N°128/CAB/PM signé le 4 juillet 2007 portant homologation de la désignation d’Aboubakary Abdoulaye comme chef de 1er degré de l’arrondissement de Rey-Bouba . « Le privilège du préalable et l’autorité de la chose décidée dont bénéficient les actes réglementaires sont battus en brèche dans le Mayo-Rey » ; à en croire le collectif, cela est dû aux « manœuvres dilatoires orchestrées par le Lamido et ses complices ».
Le collectif demande que l’arrêté soit appliqué dans toutes ses dispositions avec comme conséquence, le retrait des milices Dogaris, étant donné que ce texte circonscrit le pouvoir du chef de 1er degré dans l’arrondissement de Rey-Bouba, alors même qu’il continue à contrôler tout le département.
Les jeunes dénoncent également l’instrumentalisation et la confiscation du parti RDPC par cet autocrate dans le Mayo Rey, empêchant ainsi les militants, les jeunes et les intellectuels de prendre part aux activités politiques de leur parti le RDPC. Pourtant, l’article 25 du Pacte suscité édicte que «tout citoyen a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire des représentants librement choisis ». Ce qui n’est pas le cas à dans le département du Mayo Rey.
Il est également fait état d’extorsions, rackets et arnaques perpétrés par les hommes de main du lamido lors des marchés périodiques ; à cet effet, le chef de 1er degré de l’arrondissement de Rey Bouba lève un impôt illégal de 500 FCFA sur chaque sac de maïs et autres produits céréaliers. Ce qui est un crime économique financier, puisque cette pratique est une entrave à la production agricole et même un crime contre la personne. Les crimes contre la personne sont habituellement exécutés au moyen de la force ou de la menace dans le cas des extorsions et des rackets, bien que parfois, la tromperie suffise, en ce qui concerne les arnaques.
L’extorsion de 500 FCFA par sac de maïs ou autres produits céréaliers relève d’une pratique moyenâgeuse du système féodal français. Il était légitime dans l’Ancien Régime, que les paysans serfs doivent des taxes et des corvées au Seigneur qui a le droit de lever certaines taxes sur les populations de son fief. Mais, la Révolution de 1789 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme n’ont t-elles pas aboli ce système d’esclavage ? Le pacte sur les droits civils et politique de 1966 en son article 8 ne peut être plus clair : «1. Nul ne sera tenu en esclavage; l'esclavage et la traite des esclaves, sous toutes leurs formes, sont interdits ». Cette pratique a poussé plusieurs jeunes à l’exil vers d’autres arrondissements, régions et même d’autres pays (Tchad, RCA).
VIOLATION FLAGRANTE DE TOUS LES DROITS HUMAINS
D’ailleurs comment peuvent-ils rester si leurs droits fondamentaux suivants sont bafoués ? D’abord leur droit à l’éducation tel que disposent l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), « Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite » ,l’article 13 du Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation...Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre… », et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, article 17 « Toute personne a droit à l’éducation ». «Nous dénonçons également le maintien délibéré des populations dans l’analphabétisme, l’ignorance, le sous-développement afin que celles-ci ne puissent s’autodéterminer, décrient-ils. Il manque d’ailleurs des infrastructures scolaires et éducatives».
Ensuite leurs droits à la santé au regard du déficit criard de centres de santé et d’hôpitaux. « La création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie », (article 12 du pacte suscité), droits à un environnement sain : « L'amélioration de tous les aspects de l'hygiène du milieu et de l'hygiène industrielle » ; Résolution 45/94 sur la nécessité d’assurer un environnement salubre pour le bien-être de chacun, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le14 décembre 1990. « Pas de voiries urbaines, pas de points d’eau », relèvent les jeunes de Touboro qui vivent dans les conditions d’insalubrité déplorables. Les populations de Touboro ont aussi droit à l’eau ; c’est un droit dérivé de l’article 11 du Pacte susmentionné. « Le lamido n’accepte aucun projet susceptible d’apporter le bien-être et l’épanouissement aux populations locales », et pourtant,« Le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence » tel que disposé par l’article 25 DUDH est suffisamment clair.
Il est indéniable que, au regard de la relation des faits qui précède, que les populations du département de Mayo Rey, arrondissement de Rey Bouba sont en danger. Outre les détournements de deniers et autres malversations financières qui hypothèquent le développement de la localité, la démission des autorités administratives, il y a également les conditions déplorables dans lesquelles vivent ces populations qui n’ont pas accès aux activités génératrices de revenus, un secteur également confisqué par le lamido et ses comparses. Puisse le pouvoir central restaurer la légalité républicaine dans cette localité sinistrée.
Emilienne N.Soué