Enfants, nous avions coutume de toujours jurer pour prouver notre sincérité sur une affirmation. D’habitude, notre serment était au nom soit de Dieu, soit d’un être à une estime sans faille dans la société. Aussi la main levée, nous prononcions sans ambages ces quelques mots : « Si je mens Dieu me coupe la tête », « Au nom de Dieu », « Au nom de mon père ou de ma mère », « Je jure sur la tombe de… », « Je le jure », la liste est loin d’être exhaustive.
Comparativement à ce tableau, bien de métiers dans la vie pratique imposent de prêter préalablement serment avant l’entrée en fonction. C’est le cas par exemple des médecins, de certains hommes d’église, de certains hommes politiques et des auxiliaires de justice (Avocats, Huissiers de justice, Notaires, Greffiers, Magistrats etc.). Engagement apparemment anodin mais fort révélateur, le serment ne se présente pas sous une forme unique. Il diffère aussi bien qu’il s’agit de tel corps ou tel autre mais garde la même symbolique. Que nous révèle un tel rituel ? La question reste posée.
A cette interrogation, Mathieu Tankeu, Magistrat de 3e grade, actuellement Procureur de la République près des tribunaux de première et grande instance de Guider et du Mayo Louti, propose quelques esquisses de réponses dans un essai de 149 pages publié aux éditions Clé et intitulé : Les fondements divins du serment, le cas du magistrat. Dans une démarche reposée sur cinq points, il prend le risque de faire le tour de la question.
D’entrée de jeu, il essaie de ressortir les enjeux et contours de la notion de serment. Après une brève définition du concept, il fait un distinguo entre les différents types de serment à savoir le serment religieux, le serment politique, le serment matrimonial ou conjugal, le serment professionnel (Médecin, Avocat, Huissier, Notaire, Greffier, Magistrat…) et la déposition sous serment. Il ferme cette page en débouchant sur les effets du serment, référence faite ici aux conséquences liées au respect de cette pratique aussi bien qu’à celles liées à sa violation.
Par la suite, son attention se focalise sur l’origine même du serment. Pourquoi un tel rituel ? Pour le comprendre, il commence par dresser un tableau comparatif entre le juge dans le contexte ancien (Rôme et Grèce antique) avant de dégager la symbolique même de la justice dans la mythologie grecque. Toute cette démarche concourt à ressortir les qualités du juge tout autant que l’attitude à observer pour exercer au même titre que ses droits et devoirs.
La troisième articulation de cette démarche fait jaillir le caractère sacré de l’administration de la justice. L’auteur part d’un rappel historique et aboutit à la sacralisation de la justice camerounaise fruit de la colonisation. Dans ce sens, cette fonction ne peut réellement être exercée qu’après engagement public et solennel de servir en digne et juste magistrat, signe de délégation des pouvoir au concerné. De qui tient-on ce pouvoir, au regard de la difficulté à juger ses semblables ?
Cette interrogation plonge le lecteur dans l’avant dernier axe de la démarche de M. Tankeu. Cet arrêt met un accent particulier sur l’éthique et la déontologie du magistrat camerounais. Celui-ci révèle non seulement l’absence d’un code éthique et déontologique du magistrat camerounais mais aussi les insuffisances et tares de l’article 5 du statut de la magistrature sur lequel se fonde le magistrat camerounais. D’où la difficulté et complexité à bien exercer.
Et c’est cette remarque qui pousse l’auteur de l’ouvrage à mettre aux prises le magistrat et les exigences de la Bible dans la dernière partie. D’après les Saintes Ecritures, quelle est la place du magistrat dans la grande assemblée des enfants de Dieu ? Le tour de cette question est fait après examen de l’environnement de ce dernier et de la possible compatibilité de son métier avec une authentique vie chrétienne, suggère M. Tankeu.
L’analyse du document sus présenté offre une nouvelle manière de penser voire un réexamen de la pratique du serment. Pour son auteur, ce rituel, fort révélateur, montre toute la complexité à exercer tout métier y assujetti, cas du magistrat. Appeler à juger ses semblables et rendre justice, ce dernier se doit de faire montre de beaucoup d’ascèses dans l’optique de faire une bonne administration. Raison pour laquelle il s’engage devant Dieu d’abord et surtout, et devant les hommes. Il jure ainsi de servir honnêtement le peuple et de rendre justice avec impartialité conformément aux lois et normes en vigueur sans a priori, sans états d’âme et de se comporter en tout, partout et toujours en digne et loyal magistrat. Mais de quel Dieu est-il fait allusion ici, s’insurge l’auteur dans la mesure où à aucun moment de la formation des magistrats, il n’est fait référence à Dieu. De même, au moment du rituel aucun ministre du culte n’est présent dans le prétoire. Le serment est prêté devant les seuls juges de la cour suprême qui sont eux aussi des hommes ordinaires comme tous les autres. Pourquoi ne pas introduire les aumôneries confessionnelles dans les grandes écoles de formation en particulier à l’ENAM pour mieux accompagner les futurs fonctionnaires dans leur formation à travers les cours de catéchèse. Cet avènement les conduirait à coup sûr à plus de transcendances et les sortirait de la contingence afin de devenir de vrais serviteurs. Peut-être aurions nous enfin des juges dignes de ce nom connaissant toutes les critiques dont ils font l’objet en ce moment même : gabegie, corruption, fanatisme, partis pris, complaisance.
Vivien Yene Nga