Pour une meilleure justice camerounaise : Ce que propose Me Charles Tchoungang

Le livre de l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun, Charles Tchoungang  publié en 2015 chez du Schabel  sous  le titre « De l’impossible justice au Cameroun » a certes des allures de réquisitoire. Mais, il a tout de même le don de proposer des solutions qu’on gagnerait à étudier…

« Ce sera ma part de vérité pour rétablir les faits », ces mots de Me Tchoungang, auteur  de « De l’impossible justice au Cameroun » de par leur ton incisif sont typiques de ceux que l’on rencontre dans ces essais qui dénoncent et ne font que cela de la page de garde à la table de matière. Certes, c’est un essayiste qui profite de sa publication pour revenir sur les « anomalies » du système juridico-judiciaire camerounais, mais à le lire de près, il y a bien partie à tirer.  « A ma prise de fonction, l’entrée au Barreau était bloquée depuis sept ans »…Telle est certainement l’anomalie de départ qui fonde et forge la vision des choses de l’auteur. Un blocage qui, regrette-t-il, a été entretenu par des avocats influents auprès de la Chancellerie et qui voulaient garder toute la clientèle pour eux au détriment d’une jeune concurrence. Les mots pèsent lourds autant qu’ils viennent d’un ex-bâtonnier. Dans la foulée, l’auteur pousse sa liberté de plume autant que possible et dénonce encore  l’ « Etat de droit virtuel » dans lequel le Cameroun s’est installé en ne concrétisant point la transition constitutionnelle entre 1972 et 1996.  Mais parfois, comme en page 62, l’auteur semble faillir à la clarté à laquelle son style habitue le lecteur dès l’entame de la lecture. On a peine à le suivre et  à savoir s’il appelle le Cameroun à renoncer à faire présider le Conseil Supérieur de Magistrature par le président de la République. Mais cette incomplétude est certainement l’une des rares que le lecteur rencontre dans cet essai qui permet à l’ancien bâtonnier de dérouler le chapelet d’« anomalies » qu’il a pris le soin de recenser. Mais  comme je l’ai dit plus haut « De l’impossible justice … » n’est pas qu’une interminable dénonciation. Heureusement.  Derrière chaque dénonciation, il se cache une proposition. Il faut le souligner. Aussi.

 

Il y a la dénonciation des lenteurs judiciaires : « certains magistrats qui vont à l’audience avec cent à deux cents dossiers pour une journée d’audience » ou encore « ces affaires mises au rôle alors qu’elles ne sont pas en état de recevoir un jugement ». Mais, il y a aussitôt cette proposition : « Il serait indispensable de créer un juge de mise en état »  ou encore « une augmentation en nombre des magistrats, informatisation de l’ensemble du système judiciaire ».

Dénonciation de l’inexistence d’une politique de prévention de la délinquance. « Notre système pénal est caractérisé par une absence de réflexion sur les causes de la délinquance. Surveiller et punir, affirmait Foucault ».

Sur le sort des victimes dans notre système judiciaire, le livre enseigne que « notre système judiciaire pèche par une absence inacceptable de mesures d’accompagnement psychologique, psychiatrique, médical et sociale des victimes ». Recommandation sur ce point : «  il urge que la réforme prenne en compte une exigence d’humanité ». Et cela devrait passer par la création d’unités spéciales chargées de la protection et du suivi des victimes.

Le  livre dénonce également le problème de l’accès des justiciables aux décisions de justice qui tranchent pourtant leurs droits. L’auteur fait état d’une décision de justice rendue par un juge de la Cour d’appel du Littoral et qui n’a jamais pu être disponible 5 années plus tard.

Par ailleurs, la fonction de  juge de l’exécution des décisions de justice est  « attribuer  faute de mieux » au juge de référé qui est le président du tribunal de Première instance. Cette situation qui a eu le don d’énerver les juges des Cours d’appel à fait en sorte que le ministre de la Justice a pris une loi qui a créé plusieurs juges au lieu d’un seul.  Résultat : « il est temps que l’on mettent un terme à cette imperfection ».

L’auteur se félicite plus loin de l’indépendance croissante des juges de la Cour Suprême notamment en matière de contentieux post-électoral et d’élections présidentielles. Mais cela n’empêche qu’il recommande la mise sur pied rapide du Conseil constitutionnel.

Sur l’Opération Epervier, l’essayiste revêt sa cape de dénonciateur : « [elle] aura été un échec et le Tribunal Criminel Spécial, plus qu’une faute politique : La fin de l’Etat de droit » écrit-il.  Pour étayer, l’auteur revient sur les affaires Titus Edzoa et  Thierry Atangana qu’il explique d’un mot presqu’enjoué.

Au demeurant …

Aimé Césaire, Frantz Fanon, Nelson Mandela, Rudolph Douala Manga Bell … mais encore Maurice Kamto, Me Gorgi Ndinka (premier bâtonnier) ou encore Me Yondo Black Mandengue. Les références « De l’impossible justice au Cameroun » sont aussi proches de l’émulation que de l’histoire lointaine et proche. Jamais bâtonnier depuis 1972, année de création du barreau national, n’avait pris le courage de mettre sur papier les difficultés et les travers de la profession d’avocat ou plus globalement de la marche de la justice au Cameroun. Cela est désormais chose faite. 223 pages, une couverture verte, une carte du Cameroun sur laquelle se superpose deux mains représentées jusqu’à hauteur des poignets, ceux-ci sont noués d’une corde et semble appeler en offrande un masque africain aux yeux bandés. La sémiotique de ces images au centre de la première de couverture renvoie une certaine idée de sinistre. Elle ne partage rien avec les symboles classiques de la justice. On a d’emblée le sentiment d’une symbolique de l’injustice plutôt que de la justice. Ensuite, un autre fait « épistolaire» ne manque pas de sauter aux yeux déjà « impatients » du lecteur : le nom des co-préfaciers. De fait, ce n’est pas moins que deux anciens bâtonniers de l’ordre des avocats du Cameroun, qui s’y sont mis pour mettre le lecteur de « L’impossible justice au Cameroun » en appétit. Deux illustres Muna. Bernard Acho et Akere Tabeng. En fins connaisseurs du sujet traité par l’auteur, et comme on peut s’y attendre, les deux anciens bâtonniers recommandent le livre comme un « vade-mecum pour toute personne désireuse de comprendre le chemin parcouru par barreau (…) », mais encore comme  le moyen idoine pour « saisir les particularités qui restent d’actualité dans nos systèmes judiciaire et juridique ».

Du reste, le livre de Me Charles Tchoungang se veut être un donner-à-penser pour les législateurs et les politiques du Cameroun. Il faut même dire que le livre de Me Tchoungang se veut être une thérapie. Un petit séisme donc une sismothérapie c'est-à-dire une thérapie par la secousse, sans trop vouloir exagérer. L’un des arguments de fond qui milite pour la prise en estime de ce livre - qui est  aussi nouveau qu’inattendu - tient dans le fait que son auteur, de par sa stature, est pour ainsi dire une voix autorisée. On lui reconnaît plus de 30 années d’expérience dans les prétoires du pays de l’opération « Epervier ».  Comme pour asseoir le sérieux de son œuvre, le mardi 2 février 2016 à Douala, l’ancien bâtonnier  de l’Ordre des avocats du Cameroun lors de la cérémonie de présentation et de dédicace a fait venir des avocats de Côte d’Ivoire, de Centrafrique et même de France, rien que ça. Pour ne rien gâcher de la solennité qui enveloppe sa démarche, l’auteur a non seulement fait venir ses confrères du Cameroun, mais aussi des hommes politiques de tous les bords, des hauts commis de la République, des hommes de rang à l’Hôtel Sawa de Douala.

« De l’impossible justice au Cameroun », explique l’auteur devant la foule d’invités et de curieux, veut avant tout livrer aux avocats du barreau du Cameroun l’histoire de leur corps.  L’homme ne va pas se refuser de saisir l’occasion de souligner que cette œuvre qui lui a « coûté beaucoup de nuits blanches » est avant tout  le « produit d’un esprit formaté par la culture et les juridictions universitaires françaises ». La couleur est aussi tôt annoncée « que ce soit sur les plans civil, commercial, administratif ou pénal, la fonction judiciaire s’est transformé en un instrument de règlements de comptes. Il est question via ce livre de construire un Barreau respecté » rapporte nos confrères.  Lire un maître Tchoungang en croisade contre « les abus des droits humains, les disfonctionnements du système judiciaire et juridique au Cameroun, des anomalies dans les prisons du Cameroun et l’exercice difficile du métier d’avocat » ne devrait finalement et certainement pas surprendre grand monde.

Autant le dire, le livre de Me Tchoungang est donc une dénonciation pour ainsi dire. « Le peuple de ce pays avait besoin que l’on rappelle ces lieux communs de nos souffrances quotidiennes, pour que soit rallumée la flamme du combat pour nos droits et libertés oubliés, parce que confisqués par le Léviathan », écrit l’auteur.

Dans les 13 chapitres qui meublent l’ouvrage, il transparait comme un long procès contre la justice camerounaise mais davantage contre (ou ne dit-on pas pour) la profession d’avocat. L’auteur veut écrire pour le combat. Précisément « pour raviver les flammes » des héritiers d’un confrère africain, un certain Nelson Mandela. Rien que ça ! Le pari est pour ainsi lourdement fixé, il fallait donc plus que de la motivation, l’auteur dit lui-même carburer à « la colère », il dit d’ailleurs écrire avec un « cœur en feu ».

 

 Willy Zogo

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Éditorial N°36

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