Dans deux livres aussi scientifiques que pratiques, le docteur Raymond Ebalé dissèque les Accords de Partenariat Economique entre l’Union européenne et les ACP, en braquant le grand bout de la lorgnette sur les cas de l’Afrique Centrale et surtout du Cameroun. Un raté selon l’auteur…
Le premier livre s’intitule « Comprendre les APE ente l’Union européenne et les pays ACP » et le second porte le titre « Les APE entre l’Union européenne et les pays ACP. Etude de cas de l’Afrique centrale et du Cameroun ». Au plan de la chronologie et du volume, ces deux nouveaux livres sont un tout qui se complète. Le premier est une mise en bouche pour mieux goûter au second. Les deux sont parus respectivement en 2015 et 2016 aux éditions L’Harmattan Paris.
L’Harmattan, maison d’édition coutumière du docteur et essayiste Raymond Ebalé n’a pas dérogé à ce qu’il convient de nommer tradition. La nouvelle production du spécialiste de l’histoire économique a été rangée dans la catégorie « Etudes africaines » et rubriqué dans la « Série Economies africaines ». Mais la question qui mérite d’être posée est de savoir que bien encore apporter Raymond Ebalé à l’analyse des contours et détours de la signature de l’Accord de Cotonou en juin 2000, au travers de laquelle « les relations commerciales entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) entrèrent dans une phase nouvelle marquée notamment par la fin des préférences non réciproques offertes par l’Europe dans le cadre des Conventions de Lomé » tel que cela se donne à lire sur l’un des pages de papier glacé de sa nouvelle création intellectuelle ?
Alors que le démantèlement tarifaire s’entamait le 4 août 2016 dans le cadre de l’Accord de partenariat économique (APE) entre le Cameroun et l’Union européenne, que pouvait-il faire de mieux si ce n’était d’inviter le public une semaine plus tard à l’espace L’Harmattan de Yaoundé pour lui présenter ses deux nouveaux ouvrages sur les Accord de partenariat économique. Qu’y fallait-il en attendre ?
« Par ces deux œuvres il sera désormais possible au public de tout niveau intellectuel de saisir ce que sont réellement les APE et surtout comprendre pourquoi et comment le Cameroun s’est engagé dans cet accord controversé avec les conséquences qui vont désormais en découler pour les populations » notait l’auteur.
Les livres, sera-t-il ajouté, ambitionnent de combler ce vide intellectuel et historique en apportant un éclairage libre et documenté sur ce phénomène d’actualité. « Cotonou a introduit, dans ses principales innovations, un nouveau cadre commercial libéral et inégalitaire, connu comme les Accords de partenariat économique (APE). En négociation depuis septembre 2002 entre l’UE et six groupes régionaux ACP, les APE apparaissent, de par leur nature, comme le sujet le plus controversé de toute l’histoire de ce partenariat depuis son établissement à la fin des années 1950. La controverse est d’autant plus vive qu’une grande partie de l’opinion d’ici et d’ailleurs reste totalement ignorante des tenants et aboutissants des APE et de leur processus de négociation ».
LE FAUX PAS CAMEROUNAIS
« La négociation de l’APE au Cameroun : autopsie d’un raté consacré par la signature et la ratification d’un Accord d’étape », tel est le titre de l’un des chapitres charnières des deux nouveaux essais du Dr Ebalé. Il y revient sur la signature officielle par le Cameroun d’un accord d’étape avec l’Union Européenne le 15 janvier 2009 « dans une discrétion gouvernementale à nulle autre pareil, … faute pour les autres pays de la sous région de le rejoindre en vue d’un accord régional ». L’opacité du gouvernement dans le traitement du dossier APE est ainsi le premier avatar que l’auteur dénonce. Aussi c’est avec froideur, sous le prisme à la fois d’un observateur très averti, d’un chercheur dans son élément et enfin d’un acteur du processus qu’il annonce l’examen de la question. L’organisation du Cameroun en vue des négociations, les raisons de son engagement avec l’UE dans un accord d’étape et enfin l’évaluation critique de tout le processus tel qu’il s’est déroulé dans ce pays sont autant de grilles d’analyse qu’utilise le président de l’association pour la sensibilisation sur les Accords ACP-UE. Lui qui n’hésite pas à reprendre et à faire sienne en épitaphe, la pensée du politologue, Stéphane Akoa selon qui, les portes closes et l’opacité sont les armes qui confortent le pouvoir des fonctionnaires et se déclinent aisément sur les modes de refus de la transparence, de captation de l’information, de rejet sectaire de la contradiction. Aussi, la négociation du Cameroun ne laissera fuiter que quelques gouttes d’information. A titre d’exemple, la société civile et le public donc, ne sauront pas davantage sur les attentes du Cameroun dans ce commerce des APE même si les officiels ont clamé que l’objectif principal des négociations des APE était d’accroître l’offre marchande, de la rendre compétitive et de très bonne qualité, en vue de soutenir la croissance économique. Termes très vagues donc au demeurant.
Le Cameroun se serait ainsi fait grugé dans ces APE car les raisons « inavouées » de la signature pressée par l’UE s’entendent selon l’auteur de ce que la Commission européenne prétendait que les APE visent au développement et à l’éradication de la pauvreté, alors qu’il s’agissait en fait plutôt d’ouvrir les marchés aux grandes entreprises européennes, de sécuriser leur accès aux matières premières et limiter la possibilité pour les pays d’Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) de réguler leurs économies dans l’intérêt de leur population et de leur écologie. Les gouvernements, y compris celui du Cameroun, ont ainsi été forcés à signer les APE comme certains d’entre eux l’ont depuis reconnu à maintes reprises… On apprend en outre que, le souci de préserver et de protéger les puissants intérêts bananiers détenus pour l’essentiel par les Européens, notamment les Français et des lobbies nationaux dans le département du Mungo dans la région du Littoral a joué un rôle crucial dans la signature de l’APE d’étape par le Cameroun. L’Association des producteurs de bananes du Cameroun (ASSOBACAM) regroupant la PHP – Plantation du Haut Pendja (contrôlée par les capitaux européens) ; CDC – Cameroon Developpment Corporation (capitaux étatiques) ; SPM – Société des Plantations de Mbanga (contrôlée par les capitaux européens) et BOH Plantations (privé, capitaux camerounais, créé en 2010) est principalement mis à l’index. Selon le Dr. Ebalé, la banane était sinon le seul du moins le principal produit directement menacé par le maintien des droits de douane à l’entrée de l’UE. Pourquoi, le Cameroun est-il considéré comme ayant échoué dans les APE? L’essayiste Ebalé explique cela par l’impréparation et l’extrême centralisation du dossier APE sans compter la faillite du Parlement et des ressources humaines…
L’on peut au demeurant lui faire confiance. L’on ne sait plus que trop bien que Raymond Ebalé, universitaire, enseignant d’histoire économique et chargé de cours au département d’histoire de l’Université de Yaoundé I, a fait sien un champ de recherche qui couvre les relations entre l’UE et les pays ACP en général et celles entre l’UE, l’Afrique centrale et le Cameroun en particulier. C’est de main d’expert donc qu’il s’insinue dans ce sujet d’étude qui n’est plus réellement théorique mais pratique. L’essayiste mieux que bien d’autres est observateur et observé, lui qui est président de l’Association pour la Sensibilisation sur les Accords ACP-UE (ASAC), cette organisation de la société civile basée à Yaoundé, qu’il suit depuis leur début, de l’intérieur comme de l’extérieur, les négociations des APE.
Willy Zogo
Comprendre les APE ente l’Union européenne et les pays ACP
Harmattan Paris
Prix : 10 000 Fcfa
Pages : 172
Les APE entre l’Union européenne et les pays ACP.
Etude de cas de l’Afrique centrale et du Cameroun
Harmattan Paris
Pages : 414
Prix : 20 000 Fcfa