AUDIENCE SOLENNELLE A LA COUR SUPREME : Le premier président fixe le cap

Le 22 février dernier, la magistrature camerounaise entamait  son année judiciaire 2017. C’était à la faveur d’une audience solennelle, fort courue, présidée par le premier président de la Haute Juridiction.  Une occasion pour M. Daniel Sone Mekobe de tirer la sonnette d’alarme contre la justice privée dans ses expressions multiformes, mais aussi  de retoquer le corps judiciaire rendu responsable de ces dérives devenues intolérables dans un Etat de droit.

 C’était devant un « important aéropage » que   le  procureur général près la Haute juridiction, Luc Ndjodo, a rendu ses réquisitions, avant que le premier président Daniel Sone Mekobe ne prononce son discours. Parmi les personnalités, l’on a pu noter la présence de Mme la Sénatrice, Géneviève Tjoues, représentante personnelle du président de Sénat, le président de l’Assemblée Nationale, le Premier ministre chef du Gouvernement, le vice-Premier ministre, ministre délégué chargé des relations avec les Assemblées, le ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, le ministre d’Etat, ministre du Tourisme et des Loisirs, les membres du Gouvernent, le Corps judiciaire  représenté par les procureurs, chefs des Cours d’appel, le président du Tribunal Criminel Spécial, les chefs des tribunaux administratifs régionaux, les représentants des auxilaires de justice, etc.; signe que  la rentrée solennelle de la  Cour Suprême équivaut également  à la rentrée judiciaire 2017 au Cameroun. Parmi les invités aussi, le gouverneur de la Région du Centre, le délégué du Gouvernement près de la Communauté urbaine de Yaoundé, ainsi que les corps diplomatiques.

Deux temps forts vont articuler cette audience solennelle de rentrée. D’abord les réquisitions du procureur général  autour du  thème «  la Protection de la liberté d’aller et de venir  par l’Autorité publique » et  le discours  du premier président de la Cour Suprême axé sur la « Résurgence de la justice privée et l’Etat de droit au Cameroun ».

 «  NUL NE PEUT SE FAIRE JUSTICE  A SOI-MEME  »

 S’agissant de la justice privée, le premier président, après avoir apporté des précisions terminologiques, passe en revue les différentes expressions de cette justice dont la résurgence est indubitable. Ainsi, pour définir cette la justice, il est obligé de remonter aux temps anciens où la force était l’un des moyens privilégiés pour imposer son droit ou sa raison comme le dit si bien la Fontaine  dans sa fable  le Loup et l’Agneau «  la raison du plus fort est la meilleur »; il cite la justice  populaire  dominée par l’instinct grégaire, à l’égard des présumés voleurs ou  criminels qui sont ainsi livrés à la vindicte populaire, la séquestration d’employeurs par leurs employés dans les entreprises au nom des conflits sociaux. Viennent ensuite les voies de fait des bailleurs d’ immeubles vis-à-vis des locataires insolvables; la violation du droit à l’éducation des enfants du fait de quelques revendications du corps enseignant, une référence à la crise anglophone, avec l’arrêt des cours dans les régions du Nord-Ouest et du  Sud-Ouest; des carnages dans le cadre des querelles foncières; l’expulsion des veuves et des enfants par la belle-famille, aussitôt le défunt inhumé  et lynchage médiatique etc.; tous des actes de barbarie au nom d’une justice que les auteurs veulent faire régner : « La justice privée a –t-elle sa raison d’être dans un Etat de droit ? A-t-elle sa raison d’être au Cameroun ? », S’indigne  le magistrat de haut rang. Le premier président ne se contente pas seulement  de dénoncer ces pratiques indignes d’un Etat de droit. Mieux, il convoque l’arsenal juridique disponible  tels les instruments internationaux, régionaux et nationaux : « …La justice privée est une dérive intolérable dans un Etat de Droit comme le Cameroun. L’Etat de droit est organisé et dispose des structures appropriées pour régler tous les différends qui apparaissent dans notre société. Le Cameroun est régi par une galaxie de règles, de source nationale (lois, décrets, arrêtés) de sources régionale (CEMAC, OHADA, Common Law, Chartes africaines et conventions  des Nationales) pour encadrer la vie dans la République ».  Tout en précisant l’organisation de la Justice au Cameroun issue de la loi 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun telle que modifiée par la loi N°2011/027 du 24 décembre  qui fixe les conditions d’exerce de ladite justice en  territoire camerounais, évidement sous l’onction du  président du Conseil Supérieur de la Magistrature  qui n’a pas manqué de le souligner lors de son discours de fin d’année : « Le Cameroun est un pays démocratique, un Etat de droit. Les problèmes doivent y être réglés dans le cadre de la loi ».

UNE JUSTICE JUGEE INEFFICACE

Toutefois, le magistrat Sone Mekobe  stigmatise le corps judiciaire dans son ensemble. Car accusé  d’avoir failli à sa mission : « La justice dans sa globalité ne rassure pas le citoyen, elle n’accomplit pas sa mission avec efficacité  ». En écoutant les auteurs de la justice privée, il ressort un chapelet de griefs incitatifs à leur décharge: les officiers de police judiciaires qui ne rassurent pas dans la conduite des enquêtes, la cupidité de certains avocats, l’inhumanité des huissiers lors des exécutions des décisions  justice, les notaires à l’origine de nombreux litiges fonciers, et des expertises souvent tronquées : « Pour le corps judiciaire, la réapparition de la justice privée est un clignotant qui nous interpelle et nous invite à faire notre autocritique et à envisager une nouvelle orientation de nos actions ». Il est donc question pour la magistrature et tout le corps judiciaire de garantir le droit à la justice, pour arrêter le ras-le bol qui s’exprime au travers de la loi du Talion : « Œil pour œil, dent pour dent  ».

S’agissant du thème autour duquel le Procureur général a rendu ses réquisitions, à savoir « La  protection de la liberté d’aller et venir par l’autorité publique », l’assistance été édifiée à suffisance sur  la nécessité de concilier les droits humains et la préservation de l’ordre public.

PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME AVEC L’IMPERATIF  DE PRESERVER L’ORDRE PUBLIC

C’est sous le prisme des droits de l’homme que les autorités administratives et judiciaires doivent préserver l’ordre public. C’est ce qui ressort de la communication du Procureur Général près la Cour Suprême. Pour son argumentaire, le magistrat de haut rang s’est adossé sur les instruments internationaux, relativement à la  liberté d’aller et venir qui fait partie des droits fondamentaux, notamment  les règles minima pour le traitement des détenus adoptées par le premier Congrès des Nations Unies pour  la prévention du Crime et le traitement des délinquants  tenu à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977. Ces règles prescrivent  la protection générale des Droits de l’homme et contiennent des mesures spécifiques aux droits à la libre circulation. Au plan panafricain,l’on peut citer l’Acte constitutif de l’Union africaine adoptée le 11 juillet 2000 à Lomé au Togo  par les chefs d’Etat de l’OUA, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée à Nairobi du 24 au 28 juin 1981 lors de la 18e La charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant adoptée à la 26e conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'OUA en juillet 1990;Le Protocole de Maputo adopté le 11 juillet 2003;  L'Accord multilatéral de coopération régionale de lutte contre la traite des personnes en particulier des femmes et des enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre. Au plan interne, la Cameroun a internalisé la plupart de ces instruments que l’on retrouve dans les textes législatifs et réglementaires  telles la Loi n°90-47 du 19 décembre 1990 relative à l'état d'urgence, la loi n°90/054 du 19 décembre 1990 relatif au maintien de l’ordre, la loi n°97/009 du 10 janvier 1997  relatif à la torture qui a donné naissance à l’article 132 bis du code pénal intitulé torture; la loi 2004/016 du 22 juillet 2004 portant création, organisation et fonctionnement de la commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés (CNDHL) ; la loi 2005/007 du  27 juillet 2005 portant code de procédure pénale ; la loi 2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant les règles de procédures applicables dans les tribunaux militaires. D’ailleurs la liberté d’aller et venir est consacrée par le Constitution  à son préambule : « tout homme a le Droit de se fixer en tout lieu, et de se déplacer librement sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité  publics ». La liberté ainsi consacrée s’adosse sur le principe selon lequel, nul  ne peut être poursuivi, arrêté ou détenue que dans les cas et  formes  prévues par la loi ; principe contenues dans l’ensemble des règles minima sus évoquées. Ces règles prescrivent  la protection générale des droits de l’homme et contiennent des mesures spécifiques aux droits à la libre circulation.

L’occasion d’une leçon inaugurale sur la garde à vue, la détention provisoire, la mise en liberté, la libération sous caution telles qu’encadrée par la procédure pénale, sans omettre de préciser que «  La détention provisoire a pour but de préserver l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens ». Et d’assurer la « des preuves et ainsi que la présentation en  justice  de l’inculpé et n’est pas une entorse à la présomption d’innocence, au contraire, participe  de l’efficacité de la justice ».

Pour le procureur général près la Cour Suprême, M. Luc Ndjodo, il est important de trouver le juste milieu afin que ni les droits de l’homme ni l’ordre public n’en pâtissent.

Rappelons que c’est pour la troisième année consécutive que le président de la Cour Suprême Daniel Sone Mekobe  et le procureur près ladite Cour présidaient les cérémonies de reprise des activités judicaires depuis leur nomination le 18 décembre 2014. Et ce, conformément à l’article 33 de la loi.

  Nadine Eyikè

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