M.KENFACK DOUAJNI Gaston Directeur de la Législation au Ministère de la Justice : L’Ohada au service du développement de l’Afrique

Présentation de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) 

Face à la situation économique et sociale inquiétante qui était celle de l'Afrique subsaharienne au crépuscule du 20ème siècle et pour attirer les investissements étrangers et encourager les investissements domestiques, les États Parties au Traité de l'OHADA [Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires] avaient entrepris d'harmoniser, voire d'unifier leurs législations relatives au secteur économique. Cette entreprise était motivée par l'objectif de la restauration de la sécurité juridique et judiciaire dans ce périmètre géo-juridique. Le directeur de la Législation du ministère de la Justice, M. Gaston Kenfack Douajni présente cette organisation communautaire qui est née de la volonté des dirigeants africains francophones en 1993,  ainsi que ses missions, ses instances de gouvernance et ses réalisations les plus notables, à l’instar des Actes Uniformes.  L’Ohada, c’est des « règles du jeu » que constituent les règles de droit pour une activité économique en Afrique.

Bonjour Monsieur le Directeur de la Législation au Ministère de la Justice et  merci de nous accorder cet entretien sur l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Nous venons vers vous sur instruction de Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, parce que vous êtes le responsable en charge de ce dossier au Ministère de la Justice. Monsieur le Directeur, qu’est-ce qui a été à l’origine de la création de l’OHADA, institution qui a donné corps à une vision, jusque-là méconnue, de l’intégration communautaire par le droit ?

Je vous reçois donc au nom de Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, qui est, de par ses attributions gouvernementales, chargé d’assurer la mise en œuvre du droit OHADA au Cameroun. Pour répondre à votre question, il faut dire que, lors  de la réunion des Ministres des Finances des pays de la Zone franc, tenue à Ouagadougou (Burkina Faso) en avril 1991, les opérateurs économiques de cette zone (qui regroupe les pays francophones d’Afrique de l’Ouest - Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo - et d’Afrique Centrale - Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad - ainsi que les Comores et la France) ont exposé auxdits Ministres des Finances, les difficultés qu’ils rencontraient pour investir dans les pays africains de la Zone franc. Ces difficultés étaient liées à l’insécurité juridique et judiciaire qui caractérisait alors l’environnement des affaires dans ces pays. L’insécurité juridique résultait de la vétusté des textes régissant les sociétés commerciales, les voies d’exécution, le droit des entreprises en difficulté et le droit économique en général. En effet, dans les pays considérés, ces textes datant pour la plupart de la période coloniale, étaient appliqués différemment par les juridictions, d’un pays à un autre. Ce qui empêchait toute prévisibilité des décisions judiciaires en matière du contentieux économique, caractérisant ce faisant l’insécurité judiciaire. Ayant pris acte des difficultés ainsi exposées par les opérateurs économiques, les Ministres des Finances ont demandé et obtenu de la France, le financement d’une étude sur la modernisation du droit des affaires en Afrique. Cette étude fut confiée à un directoire présidé par le Magistrat sénégalais Kéba Mbaye. Les résultats de ladite étude furent approuvés par la Conférence des Chefs d’Etats d’Afrique francophone et de France réunis au Gabon en octobre 1992.

Le communiqué final de cette réunion des Chefs d’Etats indiquait qu’ils avaient approuvé le projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique, conçu par les Ministres des Finances de la Zone franc, décidé de sa mise en œuvre immédiate et prescrit aux ministres des Finances et de la Justice des pays intéressés d’en faire une priorité.

L’exécution des instructions des Chefs d’Etats des pays considérés a débouché sur la signature, à Port-Louis (Île Maurice), le 17 octobre 1993, du Traité relatif  à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.

C’était à l’occasion d’une Conférence de ce qui est devenu aujourd’hui l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Ce Traité, qui a été modifié le 17 octobre 2008 à l’occasion du sommet de la francophonie tenu à Québec (Canada), vise à moderniser le droit des affaires dans ses Etats parties.

Née de la volonté politique des Chefs d’Etats membres de l’OHADA, l’OHADA a pour objectif de contribuer au développement desdits Etats, par la stimulation des investissements tant locaux qu’étrangers, à travers la sécurisation juridique et judiciaire des activités économiques et de l’environnement des affaires dans ces Etats.

Quelles sont les instances institutionnelles de l’OHADA et quelles sont leurs missions ?

Au plan institutionnel,  l’OHADA comprend : une Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, un Conseil des Ministres, une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et un Secrétariat Permanent, auquel est rattachée une Ecole Régionale Supérieure de la  Magistrature.

 La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement est l’organe politique suprême de l’OHADA.

Elle est composée des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’OHADA et statue sur toutes questions relatives au Traité OHADA.

La Conférence est présidée par le chef d’Etat ou de gouvernement du pays qui assure la Présidence du Conseil des ministres.

Elle se réunit en tant que de besoin, sur convocation de son Président, à son initiative ou à celle du tiers des Etats parties.

Le Conseil des Ministres est l’organe normatif de l’OHADA.

Il est composé des Ministres chargés de la Justice et des Finances des Etats parties.

Sa présidence est exercée par chaque Etat partie, à tour de rôle et par ordre alphabétique, pour  une durée d’un an.

Le  Secrétariat Permanent est l’organe exécutif de l’OHADA.

Il a son siège à Yaoundé (Cameroun).

Le Secrétariat Permanent assure la coordination générale du fonctionnement des Institutions de l’OHADA et du processus d’harmonisation du droit des affaires.

A cet effet, il prépare les différents projets de textes à soumettre à la censure du Conseil des Ministres, qu’il assiste dans l’accomplissement de ses missions.

Le Secrétaire Permanent représente l’OHADA.

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) est l’organe juridictionnel commun et supranational de l’OHADA.

Basée à Abidjan (Côte d’Ivoire), elle a une triple fonction juridictionnelle, arbitrale et consultative.

Dans sa fonction juridictionnelle, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est la Cour Suprême des Etats membres de l’OHADA en matière du droit des affaires OHADA.

Dans sa fonction arbitrale, elle est un centre d’arbitrage institutionnel.

En cette qualité, elle ne tranche pas elle-même les litiges arbitraux qui lui sont soumis. Elle met plutôt en place les tribunaux arbitraux et administre les procédures arbitrales CCJA conformément à son Règlement d’arbitrage.

Dans sa mission consultative, la CCJA peut être consultée sur toute question relative au droit OHADA par les Etats parties, les juridictions d’instance et d’appel desdits Etats saisies des affaires mettant en cause l’application du droit OHADA et par le Conseil des Ministres.

L’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) est basée à Porto-Novo (Bénin). Elle a pour mission d’assurer la formation et le perfectionnement, en droit des affaires, des magistrats, avocats, huissiers de justice, greffiers, juristes d’entreprise et même des opérateurs économiques ressortissants des pays membres de l’OHADA. L’ERSUMA dispose d’un Centre de documentation et dispense des formations tant à son siège que dans les autres Etats membres, le cas échéant.

Est-ce que les Etats parties ont pu remédier à un certain nombre de non-conformités liées à la présence massive des lois nationales contradictoires et souvent obsolètes ?

Le droit matériel de l’OHADA est porté par les Actes Uniformes adoptés par le Conseil des Ministres.

Au terme de l’article 10 du Traité OHADA, ces Actes Uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure.

Il en résulte que les Actes Uniformes se substituent aux textes nationaux ayant le même objet.

Dans la mesure où certaines dispositions de ces textes nationaux ne sont pas contraires aux actes uniformes, elles complètent ceux-ci.

D’où la nécessite d’un travail de mise en conformité.

Une tâche longue et difficile, qui appelle une grande expertise.

C’est un exercice auquel tous les Etats membres sont appelés à se soumettre.

Quelles sont les réalisations les plus notables de l’OHADA ?

La première réalisation notable de l’OHADA réside dans son existence même.

On peut affirmer qu’il s’agit d’une expérience concluante en termes de sécurité juridique, et il est heureux que les Chefs d’Etats des pays africains de la Zone franc n’aient pas entendu limiter l’harmonisation du droit des affaires aux seuls pays africains de la Zone franc. Ils ont donc ouvert l’OHADA aux autres pays africains membres de l’Union Africaine, voire aux Etats non africains. Comme conséquence, des 8 pays francophones d’Afrique de l’Ouest et 6 pays francophones d’Afrique Centrale ainsi que les Comores, tous membres de  la Zone franc, soit donc 15 pays qui avaient signé le Traité de Port Louis en 1993, l’OHADA comprend aujourd’hui les 17 pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée Conakry, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo. C’est dire que la Guinée Conakry et la République Démocratique du Congo, pays non membres de la Zone franc, ont depuis lors adhéré à l’OHADA. En outre, à ce jour, le Conseil des Ministres de l’OHADA a adopté les 9 Actes Uniformes ci-après :

1- L’Acte Uniforme portant sur le droit commercial général, adopté le 17 avril 1997 et modifié le 15 décembre 2010.

Cet Acte Uniforme réglemente le statut du commerçant, le statut de l’entreprenant, le Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM), le bail à usage commercial devenu bail à usage professionnel, le fonds de commerce, l’intermédiaire de commerce et la vente commerciale.

2- L’Acte Uniforme portant organisation des sûretés, adopté le 17 avril 1997 et modifié le 15 décembre 2010.

Ce texte organise les sûretés et régit le statut de l’agent de sûreté, institution financière ou établissement de crédit agissant en son nom et au profit des autres établissements de crédit regroupés en consortium bancaire pour effectuer des prêts de grande valeur financière.

Cet Acte Uniforme distingue les sûretés personnelles (cautionnement, garantie et contre garantie autonome), les sûretés mobilières (droit de rétention, propriété retenue ou cédée à titre de garantie, gage, nantissement et privilège) et les sûretés réelles immobilières que sont les hypothèques.

3- L’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, adopté le 17 avril 1997 et modifié  le 30 janvier 2014.

Cet Acte Uniforme prévoit les différents types de sociétés commerciales et de groupement d’intérêt économique en vigueur dans l’espace OHADA.

La première partie du texte comprend les règles générales communes aux formes de sociétés commerciales sus-évoquées. On y trouve ainsi des règles relatives à la constitution, au fonctionnement, à la dissolution et à la liquidation des sociétés commerciales.

La seconde partie de l’Acte Uniforme pour sa part, comprend les règles régissant les diverses formes de sociétés commerciales que sont : la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société à responsabilité limitée, la société anonyme, la société par actions simplifiée, la société en participation, la société de fait et le Groupement d’Intérêt Economique.

4- L’Acte Uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, adopté le 10 avril 1998.

Cet Acte Uniforme a été modifié le 10 septembre 2015.

Traitant du droit des entreprises en difficulté dans l’espace OHADA, ce texte consacre deux procédures collectives préventives (médiation et règlement préventif) et deux procédures collectives curatives (le redressement judiciaire et la liquidation des biens).

Il  comporte une définition précise de la cessation des paiements, fixe la durée des procédures collectives et la sanction du non-respect de cette durée, prévoit des procédures collectives simplifiées pour des entreprises de moindre envergure ainsi que des règles relatives aux procédures collectives internationales susceptibles d’avoir une incidence dans l’espace OHADA.

5- L’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, adopté le 10 avril 1998.

Il organise deux procédures judiciaires à mettre en œuvre par un créancier pour contraindre son débiteur à exécuter ses engagements : il s’agit de l’injonction de payer une somme d’argent et de l’injonction de délivrer ou de restituer un bien.

Le texte réglemente également les voies d’exécution que sont : la saisie conservatoire, la saisie vente, la saisie attribution des créances, la saisie et la cession des rémunérations, la saisie appréhension et la saisie revendication des biens meubles corporels, la saisie des droits et valeurs mobilières ainsi que la saisie immobilière.

6- L’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage, adopté le 11 mars 1999.

Ce texte constitue le droit commun de l’arbitrage dans l’espace OHADA.

Il régit ainsi la convention d’arbitrage, la mise en place du Tribunal arbitral, le déroulement de la procédure arbitrale, la sentence arbitrale ainsi que les recours prévus contre celle-ci.

L’arbitrage porté par cet Acte Uniforme cohabite avec celui administré par la CCJA dans sa fonction arbitrale évoquée plus haut.

Il en résulte que l’arbitrage OHADA comprend celui régit par cet Acte Uniforme et l’arbitrage CCJA administré par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.

7- L’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, adopté le 24 mars 2000.

Il comporte un ensemble de règles juridiques relatives à la comptabilité des entreprises.

Il y est annexé un système comptable OHADA comportant le plan des comptes, les règles de tenue de compte, de présentation des états financiers et de l’information financière.

Il régit les comptes personnels des entreprises personnes physiques et morales, de même que les comptes consolidés et les comptes combinés des entreprises.

8- L’Acte Uniforme relatif au contrat de transport des marchandises par route, adopté le 22 mars 2003.

Il s’applique à tout contrat de transport des marchandises par route lorsque le lieu de prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour sa livraison indiqués au contrat sont situés, soit sur le territoire d’un Etat membre de l’OHADA, soit sur le territoire de deux Etats différents dont l’un au moins est membre de l’OHADA.

9- L’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, adopté le 15 décembre 2010 à la demande des coopérateurs de l’espace OHADA qui souhaitaient disposer de règles communautaires en matière coopérative.

Ce texte s’applique aux personnes désirant s’organiser en société coopérative pour exercer une activité.

Il prévoit deux types de sociétés coopératives : la société coopérative simplifiée et la société coopérative avec conseil d’administration.

23 ans après, peut-on parler de sécurité juridique et judiciaire, ce qui  était le mobile fondateur de l’alliance communautaire ?

La sécurité juridique semble acquise avec les Actes Uniformes actuellement en vigueur, d’autant que ces textes, qui demeurent adaptés à l’environnement africain, sont  cependant inspirés d’instruments internationaux et des meilleurs pratiques des affaires dans leurs domaines respectifs.

La sécurité judiciaire, quant à elle, demeure une quête car les juridictions compétentes et autres praticiens du droit OHADA, doivent encore se mettre à l’apprentissage sérieux de ce corpus juridique pour en faire une application effective.

Quelles sont les failles et les limites du système ?

C’est essentiellement le déficit de connaissance et de maîtrise de ce nouveau droit des affaires, y compris par des instances qui doivent normalement s’en approprier, pour en faire une application qui garantisse la sécurité judiciaire des activités économiques.

L’on a également le sentiment que la gouvernance des institutions de l’OHADA devrait être améliorée, par l’observation effective des textes qui régissent la désignation ou la nomination des personnels de l’Organisation.

Quels sont les défis à relever et les moyens pour y parvenir ?

Les défis se résument à ceux que j’ai mis en exergue dans la réponse à votre question précédente.

Les moyens, quant à eux,  consistent dans la volonté des acteurs impliqués dans la gestion de cette Organisation de faire respecter et d’appliquer les textes qui la régissent et qu’elle édite à travers le Conseil des Ministres.

Propos recueillis par E. N. Soué

 

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