Tribunal: La confiance n’exclut pas la méfiance

Le 04 juin 2013, le tribunal de Première instance de Yaoundé Centre administratif statuant en matière correctionnelle, a rendu sa décision dans laquelle elle a condamné le prévenu pour abus de confiance envers son ami, le plaignant, dans une affaire relative à l’achat d’un terrain.


Trois  (03) ans d’emprisonnement pour abus de confiance assortis du paiement d’une amende de 40.000 F CFA, telle est la décision du juge du TPI de Yaoundé Centre administratif, à l’encontre de Sieur Y. Aristide, conformément  aux article 74 et 318 (a) (b) du code pénal et  à ce titre, délivré un mandat d’incarcération.

Les faits
En juillet 2011, le sieur F. Luc qui voulait acheter un terrain, a remis la somme de 3.000.000 de F.CFA à M. Y Aristide, son ami, qui s’était proposé de lui en trouver dans la ville de Yaoundé. Ce dernier a montré à son « client » le terrain de 500 m2 pour lequel il mène des démarches et l’a rassuré sur les négociations en voie d’aboutir. Cependant, un an après, l’achat n’avait toujours pas été effectif. M. F. Luc n’étant toujours pas entré en possession de son terrain et le comportement de son ami, le démarcheur, prêtait à questionnements car, même si celui-ci le rassurerait souvent au téléphone que tout allait bien, il devenait de plus en plus distant et fuyant. Par ailleurs, le sieur F. Luc, après investigation,  a constaté que le terrain que lui avait montré son ami était mis en valeur par d’autres personnes. C’est fort de cette situation qu’il a saisi la police judicaire par une plainte déposée en octobre 2012.
LA PROCEDURE

Les deux parties ont été convoquées pour être entendues par la police judiciaire qui a ensuite décidé de transmettre l’affaire à la justice. Au tribunal, les parties ont été entendues et, des débats, l’on peut retenir que le prévenu avait décidé de plaider non coupable et avait  choisi de faire une déclaration sous serment conformément à l’article 366 du Code pénal selon lequel « (1) Si le tribunal estime que les éléments de preuve suffisants sont réunis pour que le prévenu puisse présenter sa défense, il lui offre trois options : (a) faire sans serment toute déclaration pour sa défense ; (b) ne faire aucune déclaration ; (c) déposer comme témoin… (3) Le président informe en outre le prévenu que les déclarations faites sous serment ont une force plus probante ». Il a nié en bloc les charges qui étaient retenues contre lui. Selon ses allégations, l’argent qu’il avait reçu du plaignant devait effectivement lui permettre d’acheter un terrain, mais aucune indication n’a été donnée sur le terrain et les recherches sont encore en cours.
Cependant, pour le plaignant, appelé à témoigner, les allégations  faites par le mis en cause étaient fausses dans la mesure où un terrain lui avait déjà été montré et il faisait confiance à son ami qui l’a, à maintes reprises, affirmé qu’il était en discussion avec le propriétaire dudit terrain ; selon lui, c’est d’ailleurs l’emplacement du terrain qui l’avait convaincu de donner son accord pour que des négociations soient engagées. De plus, jamais son ami ne lui a dit que les négociations avaient échoué, au contraire. Au terme du témoignage de la victime et de ses témoins, le juge a renvoyé, au 4 juin 2013, l’affaire pour la suite des débats.
Le 04 juin 2013 donc, le président a d’abord donné la parole à la victime. Ce dernier s’est, à cette occasion, constitué partie civile. En tant que tel, il a réclamé des dommages et intérêts à hauteur de 4.200.000 F.CFA distillés comme suit : 3.200.000 F.CFA pour dommage matériel dont 3.000.000 de  F.CFA représentant la somme que la victime a remis au sieur Y. Aristide pour achat d’un terrain et 200.000 F.CFA versés aux avocats-conseils ; puis 1.000.000 de F.CFA pour dommage moral en vertu de la campagne de dénigrement de son image par le prévenu auprès de leurs amis communs et de la famille. Une fois présentée sa demande au titre des dommages et intérêts, le président du tribunal a prononcé la culpabilité du prévenu pour abus de confiance sur la base des articles 74 et 318 (1.b) du Code Pénal , puis a demandé au procureur de la République de faire ses réquisitions.

Les réquisitions du ministère public
Le ministère public a requis la condamnation du prévenu selon les dispositions du code pénal (articles 74 et 318 alinéa 1.b); celle-ci devait prendre en compte les circonstances atténuantes en la qualité de délinquant primaire du prévenu. Sur la demande des dommages et intérêts de la partie civile, il a requis que ce dernier soit reçu dans sa demande au principal, mais que la demande concernant le préjudice moral est exagérée. Le prévenu n’étant pas présent à l’audience, le président du tribunal a déclaré les débats clos et a procédé à la lecture de sa décision.

La décision du juge

Ensuite, le président du tribunal s’est prononcé sur la peine. Il a condamné le prévenu à 3 ans d’emprisonnement pour abus de confiance prévu et réprimé par les article 74 et 318 (a) (b) du code pénal et a à ce titre délivré un mandat d’incarcération. Il a aussi condamné le prévenu au paiement d’une amende de 40.000 F.CFA ; de même, il a octroyé à la partie civile les dommages et intérêts de 3.300.000 F.CFA soit 3.000.000 F.CFA pour le dommage matériel et 300.000 F.CFA pour le dommage moral. Il a enfin condamné le prévenu au paiement des dépens à raison de 142.378 F.CFA et a fixé la contrainte par corps à trois mois en cas de non paiement des  condamnations pécuniaires énoncées.


Ranece Jovial Ndjeudja Petkeu

 

LE PROBLEME JURIDIQUE


L’affaire qui est exposée ci-dessus présente une situation à laquelle nombre de Camerounais font souvent face et ne savent quel comportement adopter. Et pourtant, la justice peut apparaitre comme une voie de recours.  A ce titre, comment le Code pénal camerounais punit-il l’abus de confiance ?
Il est un dicton bien connu dans nos sociétés qui dit que "la confiance n’exclut pas la méfiance". Ce qui veut dire que, quand bien même une personne ferait confiance à une autre, cela n’exclurait pas que la première prenne des précautions ou fasse des vérifications. Le droit  positif s’est saisi de ce problème de confiance puisque le code pénal le punit en son article 318 alinéa 1 (b). Selon cet article, « (1) Est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 Francs, celui qui porte atteinte à la fortune d’autrui : … (b) Par abus de confiance, c’est-à-dire en détournant ou détruisant ou dissipant tout bien susceptible d’être soustrait et qu’il a reçu, à charge de le conserver, de le rendre, de le représenter ou d’en faire un usage déterminé. Toutefois, le présent paragraphe ne s’applique ni au prêt d’argent, ni au prêt de consommation ». Ce qui signifie que, comme dans cette affaire, la personne à qui des sommes sont confiées pour un usage déterminé et qui ne les utilise pas à ces fins, pourrait être poursuivi et reconnu coupable d’abus de confiance.
Cependant, l’on peut noter l’importance, pour que cette infraction soit prouvée, de l’élément intentionnel. C’est ce qui justifie qu’il soit également fait mention, dans les réquisitions du procureur de la République et la décision du juge, de l’article 74 du code pénal qui énonce : « (1) Aucune peine ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’une personne pénalement responsable. (2) Est pénalement responsable, celui qui volontairement commet les faits caractérisant les éléments constitutifs d’une infraction avec l’intention que ces faits aient pour conséquence la réalisation de l’infraction. (3) Sauf lorsque la loi en dispose autrement, la conséquence même voulue d’une omission n’entraine pas de responsabilité pénale. (4) Sauf lorsque la loi en dispose autrement, il ne peut exister de responsabilité pénale que si les conditions de l’alinéa 2 sont remplies. Toutefois, en matière contraventionnelle, la responsabilité pénale existe, alors même que l’acte ou l’omission ne sont pas intentionnels ou que la conséquence n’en a pas été voulue ». Un individu qui utilise involontairement ou non intentionnellement un bien dans un but autre que celui pour lequel ce bien était déterminé au départ ne saurait donc tomber sous le coup de l’article 318 (1.b).
Par ailleurs, le code pénal prévoit la répression des cas d’abus de confiance aggravés. A son article 321, on peut en effet lire « Les peines de l’article 318 sont doublées si l’abus de confiance ou l’escroquerie ont été commis soit : (a) Par un avocat, un commissaire priseur, huissier, agent d’exécution ou par un agent d’affaire ; (b) par un employé au préjudice de son employeur ou réciproquement ; (c) par une personne faisant appel ou ayant fait appel au public ». Ceci dit donc, toute  relation devant être bâtie sur la confiance, il importe pour les uns et les autres de s’assurer que leurs comportements dans le cadre de ces relations n’aillent pas dans le sens de l’abus au risque de tomber sous le coup des articles 318 (1) (b) et 321 du code pénal.

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