QU'EST CE QUE LA GOUVERNANCE ?


« Une nouvelle vision de la gestion des affaires publiques »

Claude-Ernest Kiamba Docteur en Sciences Politiques Directeur du Master Gouvernance et Action publique Faculté de Sciences Sociales et de Gestion Université catholique d'Afrique centrale Institut catholique de Yaoundé

L’universitaire Claude-Ernest Kiamba apporte son éclairage sur ce concept de gouvernance qui malgré la multiplicité d’usages, semble recouvrir le sens  du "bien gouverner".

Peut-on dire que la « gouvernance » est un terme à la mode ou un concept scientifique pertinent ?

Il faut d’ores et déjà dire que la gouvernance est à la fois un terme à la mode et devient presqu’un fond de commerce pour certains individus et bien des agences de développement, puisque tout le monde en parle. Il n’est plus aucun discours aujourd’hui, qu’il soit politique ou non, dans lequel la notion de gouvernance ne soit évoquée. L’on a comme l’impression que le terme de gouvernance, au même titre que celui de la pauvreté, devient galvaudé. Un terme pertinent pour l’analyse, je dis tout de suite oui. La raison en est simple. Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, l’Afrique ne cesse de connaître des mutations substantielles tant au plan politique, qu’à ceux économique, social et culturel. Et ces mutations intéressent les chercheurs dans tous les domaines, car il s’agit de réfléchir, sinon de penser les nouveaux mécanismes de gestion et de contrôle des affaires publiques après l’échec des Programmes d’Ajustement Structurel imposés par les institutions de Bretton Woods aux pays les moins avancés de la planète.

 

Qu’est-ce que la « gouvernance » ?

Le terme de gouvernance revêt  plusieurs significations et se prête à de multiples usages. Il est utilisé dans des disciplines aussi diverses que la science politique, le droit public, le droit des affaires, la science administrative, l’économie institutionnelle et les relations internationales, etc. Ce concept est également associé à des types de politiques publiques et/ou privées et se décline en fonction de différentes échelles territoriales d’intervention : de la gouvernance locale à la gouvernance mondiale, en passant par la gouvernance urbaine, celle des régions (CEMAC, CEDEAO, EU, etc.), des politiques monétaires, de l’emploi, de l’éducation, des entreprises.


La gouvernance est-elle un concept unique ou pluriel (gouvernance économique, gouvernance administrative, gouvernance politique, etc.)?

Dans toute démocratie au monde  qui se respecte, la simple politisation du débat social ne peut suffire à rendre compte de la manière dont les richesses nationales sont orientées, gérées et redistribuées. Faudrait-il encore que les mécanismes de gestion soient sous-tendus par des règles de droit qui assurent, non seulement leur applicabilité, mais également leur légitimité. La mauvaise gouvernance, en Afrique, s’explique par l’affaiblissement de l’autorité de l’État qui n’arrive plus à s’assurer le soutien des populations et qui voit ses capacités de redistribution s’amenuiser du fait des situations de crise (politique, social et économique) qu’il traverse. Le respect de l’État de droit est la condition sine qua none d’un développement durable à visage humain, efficient et harmonieux. Ainsi, aucun développement ne peut être envisageable sans un renforcement de l’autorité de l’État. En fait, il s’agit de faire passer les principes juridiques de la puissance à l’acte, afin de redonner à l’action de l’État toute sa positivité en garantissant les conditions d’une participation efficiente des sociétés civiles à la gestion équitable des affaires publiques. Cependant, ces principes doivent être le reflet des réalités sociales et culturelles africaines, sinon les règles de droit demeureront de simples fantasmagories et ne pourront, en cas de crise, constituer  d’ultimes voies de recours. Le renforcement des capacités institutionnelles, la restauration de l’autorité de l’État doivent déboucher sur la volonté politique de redynamiser les institutions administratives, de diversifier les sources de richesses nationales et d’élever le niveau de vie des populations. La gouvernance, pour peu qu’elle soit légitime et efficace, nécessite de repenser les mécanismes de redistribution équitable des ressources mobilisables en responsabilisant tous les acteurs sociaux. Cette nécessité de responsabiliser les citoyens illustre bien la situation socio-économique de certains Etats dont l’augmentation de la corruption, la dégradation des institutions judiciaires et la montée de la violence interne font de l’insécurité, le lot quotidien des populations. La volonté politique de mettre en place des structures de contrôle et de gestion des affaires publiques au sein des États doit se fonder sur une éthique-responsabilité.

 

A quand peut-on situer l’opérationnalité de ce concept, et pour quelle fin ?

Il serait illusoire de penser à des recettes magiques concernant l’implémentation des dynamiques relatives à l’opérationnalisation de la bonne gouvernance. Tout dépend d’bord de la volonté politique, au sein des Etats africains, de tourner la page macabre d’une gestion scabreuse et peu chevaleresque des affaires communes, qui a marqué jusqu’ici les logiques de construction étatique. L’opérationnalisation est donc sous-tendue par la nécessité d’instaurer de véritables réformes au niveau politique, administratif, économique et social, d’assainir les finances publiques, de lutter effectivement contre les pratiques de corruption, de crime économique, de clientélisme, de néo-patrimonisalisation des Etats, d’instaurer une véritable culture juridique qui implique que les décideurs, à tous les niveaux, doivent rendre des comptes de la manière dont ils gèrent les affaires communes. La finalité ici étant, non seulement de permettre aux populations d’avoir accès aux ressources nationales, locales à travers une logique de redistribution égalitaire et équitable, mais également de sortir de la simple dynamique de la formation de l’Etat au profit de celle de la construction des véritables Etats de droit.

 

Quelle relation est-il possible d’établir entre gouvernement et gouvernance ?

Bien qu’elle soit difficile à établir de prime à bord, l’on peut dire qu’il existe une différence entre le gouvernement et la gouvernance. L’État a perdu le monopole de la régulation des réalités sociales et politiques dans les processus de globalisation. Il se trouve remis en cause, non seulement par l’émergence de droits transnationaux aux niveaux global ou régional, mais également par la reconnaissance d’une autre catégorie de droits locaux liés à des dynamiques de décentralisation. Il amorce inéluctablement un virage vers la gouvernance qui implique la mise en œuvre d’une gestion efficace de la société, au détriment du simple gouvernement appréhendé comme étant plus hiérarchique, très politique, et qui désigne la sphère d’acquisition des positions de pouvoir, ses acteurs, le champ politique. La gouvernance implique une nouvelle vision de la gestion des affaires publiques après le constant alarmant de l’augmentation de la pauvreté, de l’impunité aux plans économique et politique et de la criminalisation des Etats. Elle se donne à lire comme étant l’ensemble des mécanismes et des moyens par lesquels les individus et les institutions publiques et privées gèrent leurs affaires communes. C’est un processus continu de coopération et d’accommodements entre différents acteurs aux intérêts contradictoires, mobilisant aussi bien des ressources diverses que des stratégies multiples. Si le concept de gouvernance est préférable par rapport à celui de gouvernement, c’est qu’elle intègre une diversité d’acteurs dans son champ d’action et donc plus démocratique, dans le sens d’une démocratie directe et non pas seulement d’une démocratie représentative où les électeurs ne participent que périodiquement à l’élection de ceux qui ensuite les dirigeront. Il se dégage ici, non pas seulement l’idée d’une participation efficace des populations à la gestion des affaires communes, mais également celle de leur contrôle efficient.

 

Quelle est la pertinence de la précision « bonne gouvernance » contenue dans certains discours nationaux ou internationaux ?

La bonne gouvernance permet de réaliser les objectifs principaux d'une société libre et prospère, à savoir la justice sociale et la transparence dans le cadre de la gestion des affaires publiques. Il est indispensable que les pratiques de bonne gouvernance se fondent sur le consentement et la participation pleine et durable de tous les citoyens. Les exigences de bonne gouvernance et de démocratie ne devraient pas se limiter à de simples déclarations de principes, car pour les bailleurs de fonds la bonne gouvernance et la démocratie constituent des conditionnalités, sans lesquelles aucune aide au développement ne saurait être possible. Face aux critiques adressées contre la rigueur destructrice des Programmes d’Ajustement Structurels, la Banque mondiale a lancé, dans le rapport Berg en 1989, le nouveau credo à l’aune duquel les bailleurs de fonds entendaient désormais jauger les performances des États bénéficiaires de leur assistance. Lorsque furent enclenchés dans les années 1990, un peu partout en Afrique les processus de démocratisation, ces mêmes bailleurs avaient pensé qu’il ne pourrait avoir de développement durable, sans une réelle volonté politique de mise en œuvre des réformes institutionnelles et d’assainissement des économies. La bonne gouvernance et la démocratisation devenaient ainsi les déterminants majeurs de la construction des États. Elle fait référence à une dimension éthique, voire même morale de la gestion des affaires publiques au-delà des limites liées à son opérationnalisation dans des environnements socio-culturels autres que ceux des agences d’octroi d’aide au développement.

 

Est-il possible de faire une esquisse d’évaluation de la gouvernance camerounaise ?

Sans fausse modestie, et sans verser dans une évaluation anachronique, il n’est pas inopportun d’essayer de faire le bilan de la gouvernance au Cameroun au regard des mutations qui s’opèrent à tous les niveaux (politique, économique, social, etc.). D’entrée de jeu, il faut ici rappeler qu’il n’est pas facile, aussi bien pour le Cameroun que pour certains Etats africains, d’opérer le passage d’une gestion monopolistique des réalités sociales à une gestion participative, sans une réelle volonté politique des acteurs décisionnaires d’inscrire la construction de l’Etat dans la durabilité. Quand bien même beaucoup reste à faire dans l’instauration d’une véritable culture de la bonne gouvernance, voire la gestion par objectifs des affaires communes à tous les niveaux, il ne demeure pas moins vrai que les choses bougent au regard de mutations qui s’opèrent dans la manière de gouverner de certains dirigeants. Désormais,  Il est requis que les gestionnaires des affaires publiques doivent rendre des comptes aux citoyens à travers la mise en place des structures de répression des délits (la CONAC, l’Opération Epervier, des Cellules anti-corruption dans les administrations, etc.). L’actualité socio-politique quotidienne concernant la re-moralisation au sein des institutions aussi bien publiques que privées, dans ce pays témoigne de cette nécessité d’assainir l’environnement politique et socio-économique au profit d’un développement durable. Seulement, la mise en place des nouveaux mécanismes de gestion et de contrôle des recettes publiques ne suffit pas à rendre efficient le combat pour un développement durable et humain dans ce pays ; faudrait-il encore que le droit soit appliqué de manière égale et équitable à tous les niveaux. C’est dire qu’il faut, non seulement judiciariser  les choses pour qu’advienne le développement, mais également tout judiciariser en accordant aux instances judiciaires assez de moyens, et surtout la liberté d’exercer pour le bien-être de tous. En un mot, dans ce domaine, la route est encore longue et il faut rester éveiller.

 

Comment peut-on justifier les maux (corruption, trafic d’influence, etc.) qui subsistent toujours dans la société camerounaise, malgré la présence très remarquée de plusieurs institutions en charge de la problématique de la gouvernance ?

Comme je viens de le signifier précédemment, le combat pour la prospérité n’est pas mécanique et automatique ; il s’inscrit dans la longue durée. C’est le fruit d’un effort constant et permanent, car tout changement demande une conversion, une reconversion véritable des mentalités, de nos manières de voir, de sentir et d’agir à tous les niveaux de la société. Le développement ne se décrète pas ; il est un processus continu où les citoyens longtemps habitués à un certain nombre de pratiques qui frisent parfois l’immoralité (le favoritisme, le clientélisme, le manque de transparence dans la gestion des affaires communes, l’impunité économique, etc.) prennent petit à petit conscience de ce que la vraie lutte au sein de nos Etats est celle qui consiste en l’amélioration des conditions de vie des populations. Les institutions et toute batterie de mesure sont mises en place pour lutter contre les pratiques dont vous parlez, mais il faut du temps pour leur appropriation par les citoyens à tous les niveaux. On ne peut éduquer les adultes dans ce sens ; il faut simplement les instruire sur les enjeux actuels de développement de l’Etat, car les habitudes ont la peau dure.


Est-il possible d’effectuer une analyse comparative entre d’une part, la gouvernance ouest africaine et la gouvernance centre africaine, et d’autre part, la gouvernance africaine et la gouvernance asiatique ?

Sans succomber non seulement à l’attrait du « généralisme » qui empêche de contextualiser les réalités, mais également du réductionnisme qui constitue un frein pour la comparaison, je dirai simplement que les pays d’Afrique amorcent désormais le combat non plus pour la survie mais pour la vie véritable à des degrés divers. S’il paraît plus aisé de constater des avancées en matière de gouvernance dans les pays comme le Botswana, le Ghana, le Mali, le Sénégal (etc.), il semble encore difficile de dire que l’Afrique centrale excelle en la matière. Il subsiste encore beaucoup de pesanteurs dues, certainement, aux cultures des peuples de cette partie du monde. Peut-être que l’ombre de la forêt équatoriale empêche les dirigeants à voir le plus loin possible pour ce qui est de la gestion efficiente des ressources naturelles au profit des populations. L’on est parfois surpris voire même choqué de constater que cette partie du monde qui regorge d’énormes ressources du sous-sol soit aussi celle qui brille par un sous-développement avéré, nonobstant, quelques transformations (politiques, économiques, sociales, etc.) qui s’opèrent çà et là quotidiennement. L’instabilité politique au sein de la majorité des Etats d’Afrique constitue un frein au développement au regard de la situation dans les autres Etats d’Afrique de l’Ouest ou de l’Asie. Beaucoup d’Etats constituent des entités chaotiques ingouvernables, et dont le développement durable a été renvoyé sine die.

 

Selon vous, quelle est la solution à une « bonne gouvernance » véritable en Afrique et au Cameroun en particulier ?

La solution pour une bonne gouvernance passe par une réelle volonté politique de tenir compte de l’opinion de la majorité, de la nécessité d’instaurer une véritable démocratie, de réformer l’Etat et d’assainir l’environnement social, économique et culturel, basées sur une éthique-responsabilité, car les décideurs doivent rendre compte de la manière dont ils gèrent nos sociétés et les hommes.

 

Propos recueillis par Emilienne N. Soué

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