Le rapport de l'homme à la terre a été et reste vital

Pr. Pierre TITI NWEL

Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines Université de Yaoundé I, Faculté de Sciences Sociales et de Gestion Université Catholique d’Afrique Centrale.

La terre étant une source de revenus, l’anthropologue Pierre Titi NWEL estime que l’homme entretient avec elle divers  rapports : la terre est un moyen de domination ; elle est un moyen de libération ; elle représente la dernière demeure de l’homme.

 

Quel est le rapport entre les gens et la terre ?

La terre est le moyen de production le plus ancien, le plus primitif et le plus fondamental de l’humanité. Même dans la perspective rousseauiste d’une vie á l’état de nature avant l’émergence de la société, l’homme tirait sa subsistance de la surface de la terre (en y comprenant les fleuves et les océans). Aujourd’hui, citadins et ruraux du monde se nourrissent du travail de la terre : dans les pays du Sud, c’est la plus grande portion de la population qui vit et fait vivre tout le monde des produits de la terre, ce que fait, dans le Nord, grâce à la terre, une minorité d’agriculteurs mécaniquement très équipés. En somme, le rapport de l’homme à la terre a été et reste vital.

Mais la terre est aussi un moyen de domination de l’homme par l’homme. C’est le cas dans les groupes sociaux gouvernés par des souverains, maîtres et possesseurs de toutes les terres, qui se font obéir à l’œil, parce qu’ils détiennent entre leurs mains le nerf de la vie. La terre est, par ailleurs, un moyen de libération : le pouvoir politique diffus et apparemment inexistant dans certains ensembles sociaux (jadis appelés « sociétés acéphales »), tient au fait que non seulement les familles, mais les individus, possédant en propre leurs terres et des portions de rivières qui arrosent le village, sont des « seigneurs » et se comportent comme tels vis-à-vis de toute autorité.

La terre est enfin pour tout le monde la dernière demeure. Elle représente en outre pour les détenteurs coutumiers des terres, l’unique lieu de vie paisible et durable : chacun y bâtit sa maison, on se fait enterrer sur son propre terrain, à l’instar de ses ancêtres.

 

Quel est le rapport à la terre au-delà du droit ?

Ce rapport est fonction de chaque forme de société. Les peuples nomades, qu’ils soient éleveurs ou chasseurs, vivent de la terre sans être attachés à aucun espace géographique. Parmi les sociétés sédentaires, il y en a où la terre est une propriété collective et d’autres où chaque mètre carré de brousse et de forêt appartient à un clan, à une famille, voire à un individu. Pour ces gens, la terre est une richesse qui les fait vivre et qu’ils sont fiers de léguer en héritage à leurs descendants.

 

Est-ce que la terre est toujours un facteur d’identité quand elle est morcelée ?

S’approprier une chose n’est pas s’identifier à elle. Je suis différent de ma chemise, de ma voiture et de mon terrain. Les gens sont attachés à la terre parce qu’ils y tirent des produits de vente et de consommation courante. Ils peuvent louer et vendre des parcelles de leurs terres pour satisfaire leurs besoins. La terre est un objet, différent du sujet qu’est l’être humain. Mais, serait-on en droit de se demander, pourquoi les montagnards mofu de la région de l’Extrême-Nord proclament-ils être les ndu ma ngwa hay (les hommes des rochers) ? N’est-ce là une manière de s’identifier à leur environnement physique ?  En le disant, les Mofu clament leur autochtonie, tout comme le font les Basa’a des régions du Centre et du Littoral dont les ancêtres sont sortis de Ngog lituba (le rocher percé) : ils

disent qu’ils sont de là, qu’ils vivent sur leurs terres, qu’ils ne sont pas venus d’ailleurs.

Dans ce contexte, le morcèlement de la terre n’est pas chose nouvelle là où, dans la coutume, elle est propriété collective ou individuelle. De tout temps, les hommes ont eu à diviser leurs terres pour en attribuer des parcelles à d’autres (enfants, apparentés, amis, etc.). Toutefois, un bout de terrain cédé à une personne n’appartient plus à son ancien propriétaire. Celui-ci n’y est plus attaché.

 

Le titre foncier étant le véhicule de toute une façon de vivre, de toute une façon de concevoir le rapport aux choses, le rapport aux autres, est-ce que ce rapport que nous ne pouvons éviter a été bien approprié pour être acclimaté à nos façons de vivre ?

Parmi les conditions requises pour l’obtention d’un titre foncier, la clause qui exige une mise en valeur préalable du terrain à titrer, au regard de « nos façons de vivre », rend l’opération difficilement appropriable.

De la pratique de l’agriculture itinérante et du respect de la durée de la jachère, découle nécessairement l’existence d’espaces (parfois vastes) non cultivés. En outre, ce n’est pas dans tous les champs qu’on plante les cultures pérennes qui sont entre autres, des preuves de la mise en valeur du terrain. En région de forêt, les champs de saison sèche (sep) contiennent du plantain, du macabo et du concombre. En petite saison de pluie (hiyon) on plante le maïs et les arachides. Les arbres fruitiers poussent autour des habitations. Le cacao et le palmier à huile sélectionné ont leurs espaces propres.

Des individus malveillants s’appuient sur la clause de la mise en valeur du terrain pour arracher, extorquer des parcelles de terre à des paysans qui les leur ont cédées gratuitement en vue des cultures vivrières : ils s’empressent d’y faire pousser des arbres fruitiers avant d’introduire à leur nom, une demande de titre foncier sur ces parcelles. Ainsi, la clause de la mise en valeur du terrain favorisant le faux et étant contraire aux pratiques culturales locales, on devrait y prêter peu d’attention et s’en tenir à la reconnaissance de la propriété coutumière d’un individu par ses voisins et l’autorité traditionnelle locale, pour lui attribuer un titre foncier. En dehors de certaines contraintes, le titre foncier est une donnée nouvelle dont nos peuples peuvent et doivent s’approprier.

 

Comment le titre foncier est-il perçu par les détenteurs coutumiers ?

Aujourd’hui, les détenteurs coutumiers savent, grosso modo, que toutes les terres appartiennent à l’Etat et que la propriété coutumière est tout juste tolérée. En plus, ils sont constamment traqués, harcelés par des incursions de riverains et des élites dans leurs domaines. Le titre foncier apparaît à cet égard comme une assurance pour leur propriété, une protection de leur héritage ancestral.

Toutefois, l’accès au titre foncier n’est pas à la portée de tout le monde. Outre les barrières dressées par la législation en la matière, le propriétaire terrien coutumier qui voudrait obtenir un titre foncier, doit savoir et pouvoir surmonter les exigences des autorités : une chèvre à donner au chef du village, une prise en charge du transport (aller et retour) de la délégation du sous-préfet, un repas à offrir à cette délégation, aux riverains et aux villageois qui participent à la tenue de palabre, etc.  Pour le détenteur coutumier, le titre foncier est comme une assurance-maladie qui coûte cher : on en perçoit l’utilité sans pouvoir y souscrire.

 

LA FEMME ET LA PROPRIETE FONCIERE :

a) Dans nos traditions, la femme n’a pas droit à l’héritage ;

b) Les lois prescrivent qu’elle doit se voir reconnaître l’accès à la terre, l’accès à la propriété comme élément d’autonomie, élément d’épanouissement.

 

Quel est le compromis entre les deux approches ?

On constate que dans le système de filiation unilinéaire, l’héritage va du frère de la mère au fils de la sœur (le garçon hérite de son oncle maternel) en ce qui concerne la filiation matrilinéaire, et de père en fils, en situation de filiation patrilinéaire. Nulle part, il n’est question de fille et de femme. D’où cette conclusion spontanée : « la femme n’a pas droit à l’héritage ». Depuis qu’il est question de droit de l’homme, de droit de la femme, de droit des handicapés, etc., personne à notre connaissance, n’a réfléchi sur le « droit au droit ». L’occasion nous est donnée d’aborder ce thème, non pas de façon théorique, mais à partir des principes de l’anthropologie sociale.

Les sociétés africaines, hier comme aujourd’hui, sont constituées de groupes de filiation possédant chacun, sauf pour quelques rares exceptions, un espace géographique précis : ethnies, tribus (à l’intérieur desquelles on peut trouver des clans), lignages et familles, où des gens se reconnaissent une origine commune et restent strictement fidèles au principe de l’exogamie dans leurs rapports matrimoniaux. C’est ce qui fait que dans la filiation patrilinéaire, la forme de filiation la plus répandue en Afrique, on exporte des sœurs et on importe des épouses. Ainsi, au nom de quel droit, de quelle logique, la fille qui se marie hors de l’espace familial devrait-elle recevoir en héritage une parcelle de terrain ancestral qu’elle ne peut emporter avec elle ? Devrait-elle venir y habiter avec son mari, un étranger au milieu et à la famille, rompant  ainsi le principe fondamental de virilocalité (le couple habite chez l’homme) ? En cas de décès, se ferait-elle enterrer sur ce terrain, « son terrain », loin de ses enfants qui appartiennent au groupe social de leur père ?

On voit que parler de droit d’héritage dans ce contexte n’a aucun sens ou du moins cela dénote une méconnaissance des principes sur lesquels fonctionne la vie en société. Il faut savoir que la morale traditionnelle interdit à un homme de donner un bout de  terrain ancestral à sa fille : le faire serait l’empêcher d’aller en mariage, ce serait la maudire en fait. Que la fille opte personnellement aujourd’hui pour le célibat, qu’elle divorce et retrouve sa « liberté », ne change pas les données du problème, dans la mesure où ces choix n’ont pas le caractère d’un vœu perpétuel.

Il y a lieu de noter que, même chez son mari, la femme ne possède pas de terrain en propre. La terre appartient à son mari et à leurs garçons. Cela ne l’empêche pas de l’exploiter de toutes les façons, jusqu’à sa mort, pour son bien et celui de toute la famille. Mais elle doit la quitter en cas de divorce. C’est logique.

 

Y a-t-il lieu de faire un compromis entre les exigences sociales héritées de nos pères et celles de la modernité ?

Nous pensons qu’il faut plutôt opérer un discernement entre les données en présence. « La femme n’a pas accès à la terre », « la femme n’a pas droit à l’héritage », sont des universelles affirmatives que la raison commande de moduler. Comme il n’y a pas de terrain que celui offert à l’individu par la coutume, rien n’interdit de façon absolue à la femme célibataire et à la femme divorcée, d’acquérir par don, achat ou héritage une parcelle de terre. Il en est de même de la femme mariée en situation de néolocalité (le couple vit hors du domaine du père du mari), pourvu qu’elle conduise cette opération dans le respect du contrat matrimonial.

Propos recueillis par Emilienne N. Soué

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