«La loi de 1994 ne protège pas les hommes»

Honorable Nkodo Dang Roger

Exploitant forestier, et député à l’Assemblée nationale du Cameroun, Roger Nkodo Dang revient sur les contours de la loi de 1994 dont il est l’un des concepteurs.

Honorable, veuillez-nous présenter la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche au Cameroun

Cette loi, dans ses divers aspects juridiques, a apporté beaucoup d’innovations en matière de répression des infractions forestières et de la gestion durable des forêts. C‘est un cadre juridique bien établi qui réglemente la gestion forestière et de la faune et de la pêche.  Elle englobe ces différents aspects.  Cette loi comporte deux grandes parties.

De manière générale,  la première partie porte sur la gestion des ressources forestières et fauniques.  Cette partie définit les différents modes d’attribution. Elle les classe en ce qu’on a qualifié de titres forestiers.  Parmi lesquels on peut citer les permis de coupe de bois, les ventes de coupes, les UFA (Unité forestière d’aménagement).

La vente des coupes  sont des titres de petites superficies n’excédant pas 2500 hectares.  Les UFA quant à eux sont des titres de grandes superficies dont les attributions ne devraient pas dépasser les 200 000 hectares.

Dans la deuxième partie, il est question de la répression des infractions  forestières. Elle définit les infractions, les peines, les amendes encourues à payer en cas de non respect de la règlementation forestière.  Ainsi on a les amendes, les suspensions, les peines de privation de liberté.  Après la promulgation de ladite loi , il y a eu le décret d’application du 23 août 1995.

Tous les autres textes règlementaires qui ont suivis sont de nature à gérer durablement  la forêt.  Les deux grands textes en vigueur au Cameroun  sont la loi de 1994 et son décret d’application.  A cela, se sont  ajoutés des arrêtés.

Qu’est-ce que cette loi a apporté comme innovation dans le domaine de l’exploitation forestière ?

Il est bien vrai que la loi de 1994 avait seulement abrogé certaines dispositions de la loi de 1981 qui était déjà en vigueur. Mais il faut reconnaître qu’elle est allée plus loin. C’est une loi révolutionnaire par rapport à la loi de 1981 qui était beaucoup plus complaisante et beaucoup plus souple. Car, à cette époque, les gens ne s’intéressaient pas à l’exploitation forestière. Et il n’y a pas de contraintes.

Comme innovation aussi, elle a permis que la forêt soit divisée, elle a introduit la notion d’attribution des titres sur appel d’offre par des commissions reconnues par la loi : commission d’attribution des forêts qui sont constituées conformément à la loi.  Pour les permis, les UFA, il y a une commission interministérielle (elle est nationale, logée au Minfof).

Comment cette loi a-t-elle été appréhendée par le public ?

Le problème du public ici, ce n’est pas au niveau de la loi.  A une époque, on s’est battu pour essayer de vulgariser la loi parce que le grand public semblait ne pas la connaître. Je crois savoir que ce qui a intéressé le public, c’est des innovations qu’il y a eu dans la loi, dont la plus grande est l’arrêt des exportations des bois en grumes en 1999 et qui continue à faire couler beaucoup de salive, parce que les Camerounais continuent à se demander pourquoi tant de grumiers sur nos routes. Mais il faut avouer que l’arrêt des exportations concernait les essences traditionnelles : les Sapeli et 26 autres  essences.

Cependant, toutes les essences de promotion pouvaient continuer à sortir en grumes. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le bois continu à sortir en grumes. A cela aussi, il faut ajouter les bois des pays frontaliers dont Douala est le port de sortie. Notamment le bois congolais et le bois centrafricain.

Il faut faire un distinguo entre les bois CEMAC qui circulent  et les bois camerounais. Effectivement, il y a eu l’arrêt d’exportation des bois ; l’article  71 de la loi avait été appliqué en 1999. Au moment de la grande crise  financière  qui a sévi il y a un an, on a autorisé l’exportation de certaines essences en grume. Il y a eu beaucoup d’apports pour les populations riveraines. Désormais, les recettes financières étaient divisées à hauteur de 50% entre l’Etat, les communes riveraines et les communautés riveraines. L’Etat 50%, les communes 40% et les communautés riveraines 10%.  L’Etat perçoit les 100%, par le biais du ministère des Finances  (Minfi), puis reverse aux communes. Chaque année, le Minfi organise les remises de chèques aux  communautés riveraines.  Les forestiers sont contraints de payer cette somme sous peine de ne pas exercer leur activité.

Quelles sont les solutions pour  arrêter l’exploitation illégale et anarchique du bois qui cause des ravages tant sur le plan économique que sur le plan écologique ?

Disons que le bois ne fait pas l’objet d’une exploitation anarchique.  L’exploitation forestière se fait conformément à la règlementation, mais il y a des manquements  qui sont réprimandés par le ministère en charge des forêts.  Il faut reconnaître qu’un secteur comme la forêt nécessite des moyens pour être contrôlé. Le ministère des forêts dispose-t-il des moyens adéquats pour contrôler nos 22 millions d’hectares? Je ne le pense pas. Les agents ont des instruments archaïques, ils ne contrôlent pas la forêt comme cela se doit. Donc, il faut des moyens techniques, matériels et humains pour une gestion et une couverture rationnelle des 22 millions d’hectares. Or, le Minfof ne dispose pas d’assez de moyens. Malgré cela,  le ministère essaie de tout faire pour que la réglementation soit respectée. Ce n’est donc pas une exploitation anarchique parce qu’il y a le diamètre minimum d’exploitation à respecter.  Il y a aussi des limites, même si les gens les violent et qu’ils coupent en dessous des diamètres autorisés.

L’informel n’est donc qu’une petite goutte dans l’océan…

Disons que l’informel joue un grand rôle. Tous les bois que vous voyez dans les parcs à bois de Messa, c’est de l’informel. Toutes les maisons que nous construisons, c’est avec du bois issu de l’informel. Quand vous allez au village, les gens construisent leur maison avec les plantes d’avenir, les perches etc. Quand j’ai besoin de construire ma maison, je coupe au moins 300 à 500 pieds et cela sans contrôle. Et à cela s’ajoute notre agriculture. C’est là que se trouve des sources énormes d’une exploitation illégale, parce que notre agriculture se fait sur  brûlis.

Quelles sont les solutions pour arrêter cette hémorragie ?

Sur le plan économique, il faut faire un audit du secteur informel. Parce qu’on peut peut-être avoir les recettes de l’exploitation classique. Mais en ce qui concerne celles de l’informel, c’est très difficile. Et sur le plan écologique, c’est là où il y a beaucoup de problèmes car lorsque vous faites l’étude d’impact dans une exploitation classique et dans une exploitation agricole, l’écologie, l’environnement est plus attaqué dans une exploitation agricole. Parce que dans l’exploitation classique, vous prélevez les essences dont vous avez la commande, qui ont le diamètre normal d’exploitation. Par contre, dans l’exploitation agricole, vous coupez tout. Lorsqu’il faut parler de la forêt, il faut reconnaître qu’on a deux types de forêts à savoir la forêt à écologie fragile de la partie septentrionale où il y a une exploitation forestière illégale qui se développe du fait de la recherche du bois de chauffage par les populations et la forêt de type tropical, celle du Sud, plus prisée par les exploitants forestiers.

La convention de Washington est–elle la solution à la préservation de nos essences?

Pour ce qui est de la Convention CITES, il faut qu’en protégeant les espèces en voie d’extinction, qu’on prenne toutes les mesures pour protéger les hommes. La CITES doit aussi s’intéresser au devenir des hommes. On a des peuples autochtones qui ne vivent que de chasse et de cueillette, qui ne vivent que de forêt. C’est de là que nous tirons l’essentiel  de notre vie, la médecine, la nourriture... Il faut qu’en protégeant les animaux, qu’on trouve des moyens. Aujourd’hui, nous sommes dans l’impasse. J’ai soulevé le problème de l’invasion des éléphants chez moi, aucune ONG n’a réagi. Mais si on avait tué un éléphant, toutes les ONG se seraient déportées dans ma circonscription pour aller faire des investigations. C’est quand même stupide. WWF est ici, les dirigeants de WWF sont des gens qui vivent dans une opulence insolente, qui roulent dans de grosses voitures, qui mangent des boîtes de conserve. Mais moi au village, si je peux manger le singe, pourquoi vous voulez m’en empêcher si ça rentre dans mes habitudes alimentaires.

Propos recueillis par E. N. S.

& Marius Nguimbous

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