«Exploiter mais exploiter de façon durable, sans compromettre l’avenir»

Dr. Bernard FOAHOM

Le coordinateur forêt, sols et environnement à l’Institut de recherche agronomique et de Développement, le Dr Bernard Foahom explique le rôle de la recherche dans la préservation du patrimoine national forestier.

 

Qu’est-ce la protection du patrimoine forestier?

L’on commence par définir le patrimoine forestier comme étant un bien corporel ou incorporel avec les créances qui l’accompagnent et qui appartiennent à une personne physique ou morale. Et dans ce cas de figure,  il s’agit de personne morale puisqu’on parle de patrimoine national, de forêt patrimoine national. Et qui dit patrimoine dit en quelque sorte héritage. C’est-à-dire que c’est quelque chose que le Cameroun a hérité de ses ascendants qui ont pris la peine de veiller à ce que les générations suivantes  jouissent de ce patrimoine. Et quand on parle de préservation de ce patrimoine, cela s’inscrit en droite ligne de cette préoccupation. Et lorsqu’on ajoute à cela par exemple les enjeux de l’heure liés au fait que les fonctions de la forêt sont tridimensionnelles : pendant longtemps, la forêt a été considérée comme source d’approvisionnement du bois, forêt comme source d’approvisionnement  des autres produits forestiers et qui sont utiles aux populations locales d’où  la dimension sociale  de ces fonctions; et puis  les fonctions écologiques aujourd’hui, avec les changements climatiques, la préservation de la biodiversité. Quand on intègre tout cela, il devient logiquement indispensable d’envisager la protection, indépendamment du fait que ce soit un patrimoine, de quelque chose que nous avons hérité, il faut donner la possibilité aux générations futures de jouir de ces ressources dont regorgent nos forêts.

 

Quelle est la politique menée par le gouvernement pour cette préservation  et Comment l’IRAD participe t-il pleinement à cette préservation ?

La  nouvelle politique forestière mise en place avec la loi de 1994 et son  décret d’application a pour principal objectif la gestion durable des ressources forestières. Et qui dit gestion durable, dit gestion en intégrant les différentes dimensions des fonctions de la forêt. C’est-à-dire les dimensions écologiques, économiques et sociales, puis d’autres dimensions non négligeables telles que les dimensions spirituelle et culturelle.  Les populations qui vivent au contact de la forêt ont d’autres intérêts qui ne sont pas pris en compte dans les directives qu’on met en place pour assurer cette gestion. Il y a par exemple, des arbres qui jouissent d’une valeur spirituelle et immatérielle (des arbres tabous comme le Bubinga, le Fromager etc.)  et qu’il faut intégrer lorsqu’on envisage la gestion durable de la forêt, sans oublier certains conflits qui naissent parfois autour de certaines ressources. Je vais prendre un exemple très simple : Le Moabi dont les graines sont utilisées par les populations du Sud pour produire l’huile de karité est convoité par  l’exploitant forestier pour son bois. De la même manière, le Fraké qui est le principal support des ruches des abeilles qui produisent le miel est consommé par les Pygmées. Il y a des risques à détruire cette essence naturelle, car cela  compromet la survie d’une partie de la population. Le gouvernement, dans son effort de gestion durable, a mis en place un certain nombre de dispositifs. Le problème se pose plutôt au niveau de leur application rigoureuse. Sinon sur le plan politique, les engagements sont très clairs et  des initiatives sont prises dans le sens d’assurer cette gestion durable des ressources du patrimoine forestier national.

 

Quelle est la mission de l’Irad  dans la politique de protection  du patrimoine forestier ?

L’Irad est une structure de recherches qui a pour vocation de produire des connaissances pour appuyer les organismes, les développeurs. Une connaissance est valable lorsqu’elle débouche sur une application précise pour résoudre un problème. Sans ces connaissances, il serait difficile par rapport aux engagements pris par le Cameroun, d’atteindre cet objectif fixé par le gouvernement, c’est-à-dire assurer cette gestion durable. Je prends un exemple, vous ne pouvez pas envisager de gérer une ressource durablement que vous ne connaissez pas. C’est un peu comme en médecine. Vous ne pouvez pas envisager de soigner une maladie sans la connaître ni connaître comment  elle se manifeste. Il faut connaître la maladie, la caractériser. C’est valable pour ce que nous faisons ici. Pour envisager la gestion durable de ces ressources, il faut les connaître. Nous appuyons le gouvernement dans la connaissance de ces ressources et dans le comportement de la forêt pour savoir comment elle réagit lorsqu’elle est perturbée. J’ai parlé tout à l’heure de ressources renouvelables, il faut savoir comment elles se renouvellent. Et c’est ce que nous essayons de faire. Nous avons géré de nombreuses connaissances, de nombreuses informations scientifiquement éprouvées que nous mettons à la disposition de toutes les parties prenantes du secteur, à savoir des administrations comme les ministère de la Forêt, de la Faune et des Pêches et celui de l’Environnement et de la Protection de la Nature qui doivent intégrer ces connaissances dans leurs dispositifs de gestion. Il y a aussi les populations rurales qui vivent au contact de ces forêts qui bénéficient de l’assistance technique de l’Irad sur la manière de récolter tel ou tel produit en forêt.  Prenons le cas du Nyete que les anglophones appellent Eru,  nous appelons de ce côté Okok qui, pour le moment n’est produit que par la forêt.  La récolte n’est pas toujours de nature à assurer la gestion durable de cette ressource parce qu’on arrache parfois complètement le plant ou encore on prélève les feuilles n’importe comment. Nous avons estimé qu’il fallait essayer de maitriser la culture, ce que nous appellons la domestication, et voir comment intégrer ces produits dans le système de production agricole de telle sorte que le paysan puisse les planter dans son champ.  Si cette exploitation non maîtrisée continue, cette plante va disparaître en  forêt. Alors  il faut pouvoir  la produire. Il y a également le Prunis Africana qui est la seule plante qui contient un principe actif permettant de soigner le cancer de la prostate qui, de part son endémisme est fortement menacée de disparition. C’est ainsi que la CITES, qui est la convention qui régit le commerce international des espèces menacées de disparition, a décidé de l’inscrire à l’annexe 2 (l’annexe où on peut envisager l’exploitation, mais de façon à ne pas compromettre l’avenir de ce produit). Il y a des opérateurs économiques qui s’intéressent au Prunis, des petites entreprises qui vivent de cela. Arrêter l’exploitation de ce produit, ce n’est pas dans leurs intérêts. Il faut qu’on voie comment on peut continuer d’exploiter sans compromettre la survie.  C’est notre mission. Au niveau du sol, il s’agit de voir comment est-ce qu’on peut assurer la permanence,  du moins à un niveau acceptable, la fertilité du sol ; comment peut-on exploiter la terre sans l’épuiser complètement. Et cela passe nécessairement par une connaissance profonde de ces  ressources en  terre et surtout ce que nous appelons l’évaluation des terres et qui consiste justement à dire telle culture peut marcher dans telle zone ou bien quel type de couvert végétal peut être propice pour quel type ou d’affectation de terre.

 

La vocation de l’Irad est donc plus écologique…

Tout à fait. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de cultiver et de retourner la terre, il faut intégrer tout cela. Quand on parle de protection de l’environnement ou de la forêt, on ne peut pas envisager la protection de l’environnement au détriment du développement et vice versa. C’est-à-dire qu’il faut intégrer les deux. Toutes les conventions issues de Rio visent cette recherche permanente de compromis entre le développement et l’environnement. Je vous ai parlé de ceux qui sont allés à Rio pour promouvoir le boycott des bois tropicaux. Quand bien même ils auront boycotté les bois tropicaux, ils oublient que les populations vont continuer à défricher, faire les champs, à pratiquer l’agriculture itinérante sur brûlis. C’était un coup d’épée dans l’eau. Vous savez comment se passe l’exploitation de nos ressources.  Ce n’est pas parce qu’on ne va plus acheter le bois tropical que la forêt va rester debout. D’autant plus que l’exploitation forestière n’est qu’une forme de dégradation parmi tant d’autres. Si on trouve un gisement de pétrole dans une zone, on ne va pas laisser l’exploitation minière. Lorsqu’il fallait construire le pipeline Tchad-Cameroun dans un but économique, ce n’est pas parce que cela devait défricher une partie de la forêt qu’on devait  y mettre une croix.  Il faut toujours trouver un compromis. Et même comme le pipeline débouche à Kribi, on redoute la pollution de la plage mais il faut tout simplement mettre en place un dispositif qui permet d’éviter autant que possible tous ces dégâts.

 

Qu’est ce que l’Irad préconise pour la réussite du programme au regard des changements climatiques ?

Malgré les efforts que le gouvernement fait, ne serait-ce qu’à travers la gestion durable de ces ressources (parce que la forêt joue son rôle dans la séquestration des carbones) la pollution continue en Europe.  Des statistiques chiffrent le taux d’émission du carbone par français autour de 900 kg pour un an.  Une tendance à la hausse.  Malgré les efforts concertés de la communauté internationale à l’instar du sommet de Copenhague, la conférence de la COP15, les hommes continuent d’avoir des comportements irresponsables et destructeurs. L’IRAD contribue à l’amélioration de la  couverture végétale. C’est davantage l’adaptation aux effets du changement climatique qui va se traduire par l’aggravation de la rigueur du climat dans la partie septentrionale du Cameroun et par la disparition de certaines ressources et qui ont un certain intérêt aussi bien  pour l’économie nationale que pour les populations. Et l’IRAD, à son niveau, essaie de voir dans le cadre de l’adaptation, comment améliorer la capacité de production des systèmes au moyen des ressources de base qui résistent mieux à ces effets, à cette rigueur du climat. Dans le cas du mais, une variété qu’on appelle précoce, c’est-à-dire qui peut bénéficier d’un nombre de jours réduits de pluie parce que le changement climatique aura un effet sur l’indice de pluviométrie. Comment les populations peuvent s’adapter à ces changements ? En essayant d’intégrer dans leur système de production les produits forestiers non ligneux parce que la forêt aura été fragilisée, sa capacité de production aura été fragilisée.

 

Les APV paraphés entre le Cameroun et l’Union européenne

L’APV s’inscrit dans le cadre du processus FLEGT qui est un dispositif mis en place pour veiller à l’application des textes, à la gouvernance. C’est un accord de partenariat entre le Cameroun et l’Union européenne qui consiste à faire la promotion du bois camerounais en Europe. Ce marché européen  étant devenu très rigoureux par rapport à ce problème de gestion durable. C’est-à-dire la légalité du produit qui entre dans le marché. Cet accord permet de faciliter l’accès des produits camerounais sous réserve que certaines dispositions soient présentes. L’APV vise à promouvoir l’application des textes c’est-à-dire que l’exploitation soit faite conformément aux cadres réglementaires  soit la forme parce qu’il y a plusieurs catégories d’accès aux ressources. C’est-à-dire que l’exploitation soit, indépendamment du type de forêt. La loi prévoit ce qu’on appelle forêt permanente et non permanente. Donc le bois issu des forêts non permanentes, c’est-à-dire forêt communautaire, permis de coupe dans le domaine national, que tout ce bois, sous réserve du respect de la réglementation puisse accéder au marché. Et c’est en cela que l’APV diffère de la certification qui s’applique aux plans d’aménagement des forêts de production. L’APV va au-delà de cela, il vient renforcer le dispositif du gouvernement camerounais allant dans le sens de la gestion durable de ces ressources et l’APV met en place un dispositif de survie.

 

Propos recueillis par Emilienne N. Soué

Articles liés

COOPERATION CHINE-OAPI

Litige et contentieux

OAPI et Formation

Effectivité, concrétisation de l'OAPI

Africa

Visitor Counter

Cameroon 74,3% Cameroon
fr-FR 7,8% fr-FR
United States 3,5% United States

Total:

107

Pays
03195068
Aujourd'hui: 46
Cette semaine: 101
Ce mois: 958
Mois dernier: 2.029
Total: 3.195.068