Infraction médicale

Dr.  S. ELONG NGONO MEDECIN LEGISTE

« La victime d’une infraction médicale peut s’adresser soit à l’ordre des médecins, soit au ministère de tutelle »

Quelle est la typologie des responsabilités  en cas d’infraction en milieu hospitalier?

On distingue quatre types de responsabilité : la responsabilité pénale, la responsabilité civile, la responsabilité ordinale et la responsabilité morale.

Il y a d’abord la responsabilité pénale : C’est celle qui s’applique à tous les citoyens. Le pénal règle les différends entre le particulier et la société. Il punit pour une faute commise. Le médecin qui  a donc commis une faute prévue par la loi, est directement responsable, quel que soit son mode d’exercice : public, privé laïc ou confessionnel.

En second lieu la responsabilité civile : dans ce type de responsabilité, où «  tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute de qui il est arrivé, à le réparer», les médecins peuvent se trouver globalement dans deux types de situations en fonction de leur exercice :

 Les médecins travaillant  en libéral (cabinets, clinique), à titre personnel  sont directement responsables. Cependant, le médecin qui a souscrit à un contrat d’assurance, peut voir son assureur se substituer à lui et être amené à réparer un dommage qu’il a causé à autrui.

 Les médecins  qui travaillent dans le cadre de l’administration : dans un hôpital, un centre médical. Dans ce cas-là, c’est la responsabilité de la formation sanitaire ou de l’hôpital qui est engagée. L’administration endosse la responsabilité en protégeant le médecin incriminé. Toutefois, cette formation sanitaire peut, par la suite, se retourner contre son médecin, lorsque la faute commise est détachable du service. C’est l’effet récursoire.

En troisième lieu la responsabilité ordinale : elle intervient lorsque le médecin commet une faute professionnelle, enfreint les règles de déontologie  et d’éthique médicales.

L’Ordre national des médecins qui est chargé de faire  respecter l’éthique et les dispositions du  code de déontologie est saisi, soit par la personne qui se sent lésée, soit par le ministre de tutelle. La  chambre de discipline de l’ordre se réunit en juridiction ordinale de première instance ; Elle peut prendre des sanctions contre le médecin fautif.  Le médecin mis en cause, a la possibilité de se faire assister par un confrère ou un avocat devant la chambre  de discipline.

Si le médecin conteste sa sanction, il fait appel de la sentence. On convoque la chambre d’appel, présidée par un magistrat de la Cour Suprême. Les membres de la chambre d’appel n’ont pas eu à connaître de l’affaire en première instance. Tout médecin, comme tout Camerounais d’ailleurs, peut être jugé deux fois.

Et pour finir la responsabilité morale : je vais l’illustrer par cette métaphore d’un aîné « Chaque médecin a un tribunal dans sa conscience ». Ceci pour dire que, chaque médecin a un certain nombre de choses qu’il reconnaît intimement avoir mal faites, qu’il garde dans sa conscience toute sa vie. La responsabilité morale est pervertie parce que tous les intrants dans l’acte médical ne dépendent pas du médecin. Autant il peut se reprocher de n’avoir pas bien fait quand il le fallait, autant il peut souffrir de ce que  la société l’a puni alors que dans son intime conviction, il  avait agit en toute conscience pour l’intérêt du patient.

Prenons le cas d’un chirurgien qui doit opérer un patient, qui ne trouve pas de l’eau stérilisée pour laver les mains. En cas de problème, il ne pourra pas décliner sa responsabilité sous prétexte que c’est la structure hospitalière qui n’avait pas mis  une bonne eau à sa disposition. Son devoir était de s’entourer de toutes les précautions possibles pour bien soigner  le malade. Mais l’eau stérilisée dans un hôpital ne dépend pas du médecin.

Pour résumer, il y a la responsabilité pénale qui engage directement la personne de médecin ; la responsabilité civile qui peut engager directement le médecin à qui peut se substituer l’administration (médecin public) ou la compagnie d’assurance (médecin privé). La responsabilité ordinale qui engage directement  le médecin comme en responsabilité pénale, enfin la responsabilité morale qui est le jugement dans la conscience intime du médecin, c’est la plus sévère.

 

Est-ce que vous avez déjà eu des cas de négligence dans l’exercice de votre métier ?

Parler de  cas de négligence, je ne peux pas dire non, mais je fais beaucoup attention surtout maintenant que je suis médecin–légiste. Il m’est arrivé d’avoir des insuffisances dans le suivi des prescriptions. C’est-à-dire, avoir prescrit un médicament et ne pas surveiller  sa prise.

 

Y a-t-il eu des conséquences ?

Il n’y a pas eu de conséquences pouvant entraîner la mort : j’avais prescrit un médicament sans donner suffisamment de précision et, en mon absence, le malade a continué à prendre le médicament pendant assez longtemps. Cela a causé quelques problèmes qui ont été maîtrisés.

 

Quelle est la procédure en cas d’infraction ?

Pour  déclencher la procédure à l’encontre d’un médecin, il suffit de se plaindre comme nous l’avons dit plus haut. Le procureur de la République peut aussi, à tout moment, ouvrir une information judiciaire lorsqu’il a connaissance d’une affaire à caractère pénal. En matière civile, pas d’intérêt pas d’action ; Le plaignant contre un médecin peut s’adresser, soit à l’Ordre National des Médecins, soit  au Ministère de Tutelle.

 

Comment établir la preuve d’une faute ?

La faute médicale à vrai dire est très difficile à établir. Elle est  moins difficile à établir lorsqu’elle enfreint une règle du code de déontologie des médecins. La difficulté vient  du fait que  la médecine est une science complexe et dynamique, il n’y a pas toujours une attitude standard à adopter. On aura bien en idée que le médecin n’a pas obligation de résultat, mais de moyens. Généralement, on n’admet la faute que lorsqu’elle est grave, lorsqu’il y a mort d’homme.

 

Est-ce que vous estimez, vous en tant que médecin, que cette profession est exercée avec conviction, avec dévouement ; est-ce que toutes les précautions sont prises pour réduire le risque d’erreurs ?

Il faut d’abord savoir à quel niveau l’administration place le médecin. Un médecin dans la fonction publique, est un haut fonctionnaire de la  catégorie A.

Qui dit catégorie A, dit fonction de direction et de conception. Pour concevoir et pour diriger, il faut être convaincu et croire à ce qu’on fait.

D’ailleurs, la profession de médecin est une vocation ; ainsi considéré, le médecin doit être totalement dévoué à son travail. Le médecin est l’avocat des pauvres. Il n’y a pas de médecin qui ne plaide pour le bien-être de ses malades. C’est une profession de conviction et de dévouement.

Ces qualités, que la population attend du médecin, font qu’elle lui donne de la considération et lui confère certains privilèges dans la société. C’est ainsi qu’on n’infligera jamais une contravention à un médecin, en mauvais stationnement devant son cabinet médical ou bien lorsqu’il est en train de soigner un malade. Le médecin conscient de cela travaille pour mériter et maintenir cette confiance.

Toutefois, lorsque cette considération est négligée ou bafouée, le médecin peut se considérer comme n’importe quel type de travailleur et oublier ses obligations particulières.  Ici à Yaoundé, on met les sabots sur les véhicules des médecins devant  leur cabinet, on les transporte même à la voirie pour stationnement prolongé. Attendez-vous encore un plein dévouement dans ces conditions ?

 

La médecine dans notre pays n’est-elle pas discriminatoire dans  la mesure où, faute de moyens, des malades sont abandonnés à eux-mêmes ?

Il est vrai qu’on peut  trouver des personnes qu’on pense être dans un état d’abandon dans nos hôpitaux publics, c'est-à-dire sans soins. Cette impression d’abandon apparent ne relève pas d’une quelconque discrimination, du moins de la part du médecin. Les problèmes liés à la gestion et à l’administration hospitalière ne dépendent pas du médecin dans les formations sanitaires publiques. Vous ne trouvez pas des malades  apparemment abandonnés dans les formations privées. Signalons quand même une pratique illégale où le malade guéri reste séquestré et ne peut sortir de l’hôpital.

Pour éviter ces situations  désagréables et regrettables dans les hôpitaux, il est nécessaire de mettre en place  une couverture des citoyens par une caisse primaire d’assurance maladie.

Propos recueillis par Emilienne N Soué

13

JURIS-ZOOM

Pr. Alain KENMOGNE SIMO

« Un contrat médical impose au médecin, une obligation de soin et non de guérir »

L’agrégé des facultés de droit explique la notion de responsabilité médicale, en distinguant la responsabilité pénale de la responsabilité civile, dans le cas d’une infraction commise par un médecin.

Lorsqu’une infraction médicale est établie au sein d’une structure hospitalière qui peut endosser la ou les responsabilités ?

Votre question pose un problème de responsabilité médicale, qui est une responsabilité presque aussi vieille que l’activité médicale elle-même. En effet, le Code d’Hammourabi qui est un recueil de solutions jurisprudentielles (écrit vers 1750 avant Jésus-Christ) contient des dispositions y relatives. Cela dit, l’interrogation peut se comprendre dans la mesure où au XIXe siècle, il y a eu un courant très minoritaire  pour prôner l’irresponsabilité du médecin pour erreur involontaire, faute hors de prévoyance ou résultat fâcheux hors de calcul dans l’exercice consciencieux de sa profession.

Pour répondre plus précisément à votre question, il est possible de l’envisager sous deux angles que l’on retrouvait déjà dans les solutions du Code sus évoqué: soit il s’agit véritablement d’une infraction (c’est l’angle pénal), soit il s’agit tout simplement d’un dommage (c’est l’angle civil); les deux peuvent être liés si-car comme cela est souvent le cas dans le cadre médical- le dommage constitue en même temps une infraction.

S’il s’agit d’une infraction, c’est la responsabilité pénale de l’auteur (médecin, infirmière, imagériste…) qui sera recherchée car notre législation est muette sur la responsabilité pénale des personnes morales. Toutefois, cette responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction peut être d’une mise en œuvre difficile : l’élément intentionnel n’étant pas aussi facilement identifiable que les éléments légal et matériel. Cette difficulté technique n’épargne cependant pas le médecin de toute poursuite. En effet, en dehors des infractions typiques de droit commun, le délinquant peut également être justiciable de la mise en danger d’autrui et d’autres infractions spéciales à la profession médicale.

En supposant que l’infraction n’ait pas pu être établie, le sort de la victime  (patient) n’est pas théoriquement aggravé, puisque la responsabilité civile du médecin pourra être recherchée.

La responsabilité médicale dépend aussi du statut de la structure hospitalière considérée et des rapports qui existent entre celle-ci et le praticien.

S’il s’agit d’une structure publique, nous serons dans le cadre de la responsabilité administrative. Dans ce cas, l’administration aura l’obligation de réparer le préjudice causé au patient. Cependant, en cas de faute détachable du service, elle se réserve le droit d’exercer une action récursoire contre son préposé.

S’il s’agit plutôt d’une structure  privée, la responsabilité du commettant sera engagée. Par contre, s’il est prouvé que la structure privée et le praticien n’étaient pas liés par un rapport de préposition, c’est la responsabilité de l’auteur du dommage qui sera engagée. Signalons néanmoins que de manière générale, notre jurisprudence adopte une conception large du lien de préposition. Ce qui permet de retenir la responsabilité du commettant dès lors qu’il est possible de rattacher le dommage aux fonctions du préposé.

 

 

Comment est-ce que le préjudice causé par un médecin au sein d’une structure hospitalière peut être prouvé ?

Tout dépend des hypothèses de préjudice et des circonstances. Est-ce que le préjudice est constitué par le décès du patient, par exemple ? A ce moment, il sera assez aisé de faire la preuve par l’autopsie du patient décédé. De même, est-ce qu’il est constitué par une atteinte à l’intégrité physique ? Là aussi, en fonction des circonstances, il peut être relativement aisé de l’établir. Plus que le préjudice, il me semble que ce sont les deux autres conditions de la responsabilité, à savoir la faute, surtout la faute technique (commise dans le diagnostic ou dans le traitement) et le lien de causalité, qui sont susceptibles de susciter des difficultés de preuve encore plus grandes. En tout état de cause, le juge a la possibilité de recourir à l’expertise.

 

Quel rapport y’a-t-il entre le médecin et son patient, s’agit-il d’une relation contractuelle ?

Même si à l’origine, la responsabilité délictuelle a été appliquée pour la réparation du dommage subi par un patient, la relation entre ce dernier et le médecin relève bien évidemment d’une relation contractuelle puisqu’il s’établit entre les deux parties un contrat médical qui impose au médecin, au minimum, une obligation de soin (et non de guérir), de sécurité et d’information. Certes, dans certaines hypothèses (patient arrivé dans un état inconscient, par exemple), la question du consentement du malade peut se poser. Néanmoins, si cette évolution vers la responsabilité contractuelle peut être considérée théoriquement comme une avancée, il convient de reconnaître que notre droit devrait faire plus en évoluant vers une responsabilité professionnelle du médecin qui concilie plusieurs soucis à la fois, notamment l’indemnisation des victimes et l’exercice de la profession sans psychose du dommage.

 

Est-ce que la structure hospitalière au sein de laquelle le médecin officie peut être incriminée également ?

Comme je l’ai dit ci-dessus, en ce qui concerne les intérêts civils, la structure hospitalière peut voir sa responsabilité engagée; quant à l’aspect pénal, en principe, il  ne concerne que l’auteur de l’acte infractionnel; mais s’il s’agit d’une structure coutumière de pratiques illicites et dommageables, le juge pourra ordonner sa fermeture.

 

Quelle est la place des assurances dans le processus de réparation du préjudice causé au patient ?

Dès qu’il s’agit de réparation, les assurances occupent une place de choix non seulement parce qu’elles préservent la survie de la structure hospitalière (ou le patrimoine du médecin selon le cas) dont l’équilibre financier pourrait être menacé par les dommages-intérêts à verser aux victimes ; mais aussi et surtout parce qu’elles augmentent les chances de la victime d’être effectivement indemnisée. C’est d’ailleurs cette dernière raison qui justifie le caractère obligatoire de l’assurance pour les structures hospitalières privées (dans certains pays, l’effectivité de cette assurance n’est pas assurée seulement par le caractère pénal du défaut de sa souscription, mais aussi par la possibilité de bénéficier d’une aide à la souscription et, surtout, l’obligation faite aux compagnies d’assurance d’assurer les professionnels de la santé). L’assurance est là pour rassurer les deux parties : le médecin qui peut se livrer à son art sans l’obsession d’une condamnation aux conséquences dommageables pour lui et sa famille (les montants auxquels les praticiens peuvent être condamnés étant potentiellement très élevés, vous vous doutez bien qu’en l’absence d’une assurance de responsabilité civile professionnelle, certains hésiteraient à s’installer en clientèle privée ; et le malade qui peut se livrer au médecin en sachant que si l’inespéré arrivait, au moins il pourrait être indemnisé). Comme pour beaucoup d’autres secteurs, l’assurance joue donc un rôle très important ; c’est d’ailleurs pourquoi elle est considérée comme le moteur d’une économie. Revenant à la relation avec la responsabilité médicale, le principal problème est celui de l’adéquation entre l’étendue de l’assurance et la dette du praticien à l’égard de la victime : celle-ci relève du droit civil alors que celle-là obéit aux règles du droit des assurances. En bons gestionnaires qu’ils doivent être, pour contenir l’indétermination qu’il y a dans l’assurance de responsabilité, les assureurs fixent un plafond d’indemnisation. Or, le montant des dommages-intérêts dus à la victime peut être supérieur à ce plafond (dans notre contexte, il devrait s’agir de cas normalement rares pour les victimes individuelles).

Compte tenu du fait qu’il y a un risque que leur responsabilité individuelle soit engagée, il pourrait être prudent pour les praticiens de souscrire des assurances individuelles.

 

Propos recueillis par Mireille Titti Sengue

Articles liés

COOPERATION CHINE-OAPI

Litige et contentieux

OAPI et Formation

Effectivité, concrétisation de l'OAPI

Africa

Visitor Counter

Cameroon 74,3% Cameroon
fr-FR 7,8% fr-FR
United States 3,5% United States

Total:

108

Pays
03195163
Aujourd'hui: 13
Cette semaine: 196
Ce mois: 1.053
Mois dernier: 2.029
Total: 3.195.163