Budget programme: quels fondements juridiques ?

La budgétisation par programme, en tant que choix de gestion publique n’est pas un concept nouveau, créé « ex nihilo » qui se déploie en marge de la légalité. Le « Droit » se propose de revenir sur les textes de lois qui règlementent cette approche nouvellement adoptée par l’Etat du Cameroun.

Le budget de l’Etat constitue un enjeu hautement important dans la vie d’un Etat et mérite d’autant d’être inscrit dans la légalité. Le budget de l’Etat est un document voté par le Parlement qui présente l’ensemble des ressources  et les charges permanentes de l’Etat sur une période d’un an. Habituellement, le budget est confondu avec la loi des finances. Cette confusion mérite d’être éclairée. Le budget n’est qu’une partie de la loi de finances. Celle-ci  désigne certes l’ensemble des lois qui déterminent la nature et le montant et la destination ou affectation des ressources et des charges de l’Etat, mais son sens est plus général que celui du budget. En fait, la loi de finances contient également les autorisations faites aux autorités publiques de percevoir les impôts, elle ouvre les crédits budgétaires que l’Etat pourra dépenser, enfin elle peut contenir d’autres dispositions législatives ordinaires. La loi de finances peut revêtir plusieurs formes ; elle peut être rectificative c'est-à-dire qu’elle n’intervient pas en début mais en cours d’année budgétaire afin d’adapter les ressources à l’état des besoins. La loi de règlement est également une variété de loi de finances. Sous cette  dernière forme,  elle permet au Parlement, après qu’une session sur le budget soit achevée et clôturée, d’exercer son contrôle sur l’exécution des lois de finances de l’année antérieure. Le contrôle s’effectue dans ce cas par la comparaison des autorisations de crédits avec les opérations réellement exécutées.        Au Cameroun, c’est la loi n° 2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat qui est venue sortir des fonds baptismaux, la nouvelle gestion des finances publiques dite budgetprogramme. Mais pour mieux comprendre ce que la loi de 2007 apporte de nouveau, il faut considérer le cadre juridique des finances publiques sous  le régime de l’Ordonnance de 1962.
L’élaboration du budget sous l’Ordonnance de 1962
Deux années après avoir acquis son indépendance, le Cameroun devant se doter d’instruments juridiques nécessaires à l’organisation de la vie publique, le président de la Républiqued’alors, M. Amadou Ahidjo, a dû prendre l’ordonnance n° 62/0F/4 du 7 février 1962 portant régime financier de la République Fédérale du Cameroun, modifiée par la loi N° 2002/001 du 19 avril 2002. Rappelons que, contrairement à la loi qui est adoptée par le Parlement, l’Ordonnance est un acte administratif pris par le président de la République, sans soumission préalable aux parlementaires, mais qui peut acquérir valeur de loi après sa ratification par ceux-ci. Dans ce texte juridique, le budget n’est pas encore axé sur des programmes mais simplement sur la régularité des postes de dépenses budgétaires.
Dans cette Ordonnance  de 1962, le contenu du budget est présenté de manière sommaire. Ainsi, au niveau des dépenses et des recettes, aucune subdivision n’est faite. C’est ainsi par exemple que, l’article13  énumère sans entrer dans le détail, les composantes des recettes du Budget :  « Les impôts, les contributions et les taxes ; les revenus du domaine ; Les rémunérations des services rendus ; Les contribution et subventions ;Le remboursement des prêts et avances ; les produits des emprunts de l'Etat et les prélèvements exceptionnels ; les avances et les subventions consenties à l'Etat ; les prélèvements sur fond de réserve; les produits divers ; les fonds de concours. ». A l’opposé de cette énumération, la loi de 2007 se veut plus transparente en optant pour l’exhaustivité. L’article 12 de cette loi catégorise les recettes, il dispose ainsi que les ressources budgétaires de l'Etat comprennent :«1°)- les recettes fiscales regroupées comme suit : lesimpôts et taxes sur les revenus, les bénéfices et les patrimoines ; les impôts et taxes sur les biens et services ; les droits de douane; les droits d'enregistrement et de timbres; les autres recettes fiscales ; 2°) - les recettes courantes non fiscales regroupées comme suit; les productions et services vendus par les administrations à but non lucratif ; les revenus des domaines; les revenus provenant des entreprises; les produits financiers de l'Etat; les autres recettes non fiscales ;
3°) -les transferts, cotisations, dons et legs regroupés comme suit:  les cotisations aux caisses de retraite et aux caisses de protection sociale; les dons de la coopération internationale; les amendes et condamnations pécuniaires; les produits et profits à caractère exceptionnel;   les fonds de concours; les legs ; 4°) - les recettes en capital regroupées comme suit : les ventes d'actifs incorporels; les cessions des domaines ; les autres ventes de terrains ; les autres ventes d'actifs corporels ; les cessions d'actions et participations ; 5°) - les recettes sur opérations financières regroupées comme suit: les cessions d'obligations et autres titres financiers ; les remboursements des prêts et avances consentis  par l'Etat ;les avances et prêts à court terme consentis à l'Etat; les tirages sur emprunts à moyen et long terme. »
Avec l’Ordonnance de 1962, le budget était axé sur les moyens. Selon le ministre des Finances, M. Alamine Ousmane Mey, les inconvénients du budget de moyens étaient nombreux. Ainsi, par exemple, « les projets désuets étaient reconduits au détriment de nouveaux projets parce que les crédits votés d’une année à une autre étaient reconduits.». Cela étant dû au manque de contrôle et d’objectifs. Les autres reproches évoqués à l’encontre de la pratique budgétaire consacrée par l’Ordonnance de 1962 consistent dans le manque de visibilité à moyen terme ou encore l’inadéquation entre les dépenses de fonctionnement et celles d’investissement. En outre, l’Ordonnance de 1962 ne faisait pas obligation aux gestionnaires de l’argent public des performances mesurables par des indicateurs quantitatifs ou qualitatifs.


Le budget programme : une obligation imposée par la loi de 2007
Depuis 2007, la loi n° 2007/006 du 26 décembre  portant régime financier de l’Etat impose aux autorités publiques de présenter le projet de loi de finances sous forme de « programme ». Comme le rappelait d’ailleurs le ministre des Finances camerounais au cours de son discours d’ouverture de la conférence annuelle des personnels de son département, le 16 janvier 2013, les dispositions de la loi de finances 2007 « justifient amplement l’obligation légale du budget programme ». De fait, l’alinéa 2 de l’article 2 de cette loi dispose : « la loi de finances présente l’ensemble des programmes concourant à la réalisation des objectifs de développement économique, social et culturel du pays », l’article 10 alinéa 3 de la même loi précise que « la loi de finances fixe, pour le budget général, les programmes concourant à la réalisation des objectifs assortis d’indicateurs, les montants des autorisations d’engagement et de crédits de paiement. ».
Par  programme , il faut entendre au sens de l’article 8 de la loi de 2007 un « ensemble d'actions à mettre en œuvre au sein d'une  administration pour la réalisation d'un objectif déterminé dans le cadre d'une  fonction. ». Désormais, la présentation des dépenses et des recettes du budget se fait donc par l’indication d’actions et d’objectifs à atteindre.        
La pluri annualité constitue une autre innovation introduite par la loi de finances de 2007. Alors que l’annualité est un principe général du droit des finances publiques qui veut que les autorisations de dépenses de crédits ouverts soient limitées à un exercice budgétaire, le principe de l’annualité en constitue la limite. Ainsi, selon l’article 15 de cette loi de finances : « Les crédits ouverts au titre des dépenses courantes hors  intérêts de la dette et des dépenses d'investissement, sont constitués  d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement. Les autorisations d'engagement constituent la limite  supérieure  des dépenses pouvant être engagées au cours d'une période  n'excédant pas trois (3) ans. ». La pluri annualité permet de mettre en œuvre des programmes qui s’étalent sur une base triennale. On peut également constater que la loi de finances de 2007 apporte un souci de transparence. Le budget programme se veut donc plus transparent dans son exécution. Selon M. Alamine OusmaneMey, avec le nouvel instrument, « les prérogatives du Parlement sont accrues par le renforcement de l’information mise à la disposition dans le cadre du vote et du contrôle du budget ».

La loi de finances 2013 : des programmes concrets

Promulguée le 21 décembre 2012, la loi n° 2012/014 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2013, marque l’avènement concret de la budgétisation par programme introduite en 2007. En effet, dans l’article 25 de la deuxième partie de cette loi, il est disposé que :  « les montants des autorisations d’engagements et de crédits de paiements ouverts sur les programmes concourent à la réalisation des objectifs assortis d’indicateurs sont fixés comme suit : (…) chaque chapitre poursuit des programmes qui se déclinent en objectifs. Ces derniers se déclinent eux-mêmes en indicateurs)». Cette exigence s’adosse sur  l’article 8 de la loi de 2007 qui définit chacun de ces contenus. Ainsi, le « (…) Programme : (est un) ensemble d'actions à mettre en œuvre au sein d'une  administration pour la réalisation d'un objectif déterminé dans le cadre d'une  fonction. L’Action est une composante élémentaire d'un programme, à laquelle sont  associés des objectifs précis, explicites et mesurables par des indicateurs de  performance. L’Objectif est un résultat à atteindre dans le cadre de la réalisation d'une  fonction, d'un programme ou d'une action et mesurable par des indicateurs. L’Indicateur est une variable qualitative ou quantitative permettant de mesurer les résultats obtenus dans la réalisation des objectifs. »
A titre illustratif, au chapitre de la présidence de la République, l’un des programmes assignés est de formuler et de coordonner l’action présidentielle ; pour ce faire, il faut atteindre l’objectif d’assurer la mise en œuvre du programme des grandes réalisations. En tant qu’indicateur, le contrôle se fera sur la base du taux d’exécution de ce programme qui est quantifiable et qualifiable. Un autre exemple, au niveau du ministère de la Justice, l’un des programmes est l’appui à la lutte contre la corruption et les atteintes à la fortune publique. L’objectif de ce programme est d’intensifier les actions et mécanismes de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. L’indicateur pour mesurer l’avancement dans la réalisation de l’objectif est le taux de recouvrement des fonds détournés.
Née en 2007 à la faveur de loi de finances de la même année, l’idée d’élaborer le budget général du Cameroun par programme se concrétise réellement avec la loi de 2012 comptant pour l’exercice de budgétaire de 2013. Que la loi soit la base du nouveau concept est une bonne chose, seulement les véritables défis ne sont-ils pas ailleurs, par exemple, dans la capacité des gestionnaires, dans leur inclination toujours croissante à la corruption ou à l’enrichissement personnel ?
Nadine Eyiké

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