" On a l'impression que l'on prend souvent le droit de rectification pour le droit réponse "
Le docteur Félix Zogo, conseiller technique n°1 auprès du ministre de la Communication et Chargé de cours à l'Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l'Information et de la Communication explique le droit de rectification.
La législation en vigueur en matière de communication prévoit, entre autres mesures visant à encadrer l'action des médias, le droit de rectification. Pour la gouverne de nos lecteurs, pouvez-vous clarifier cette notion ?
En effet, la loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative à la communication sociale au Cameroun dispose en ses articles 52 et 56 notamment, que les directeurs de publication et les organes de communication audiovisuelle sont tenus, chacun en ce qui les concerne et selon le cas, d'insérer ou de diffuser gratuitement toutes les rectifications qui leur sont adressées par tout dépositaire de l'autorité publique au sujet des actes de leurs fonctions qui auraient inexactement été rapportés. C'est ce que l'on désigne effectivement comme le droit de rectification reconnu à l'autorité publique et qui s'impose aux médias, en cas de nécessité.
Pour faire court, qui doit-on considérer comme dépositaire de l'autorité publique ?
Le dépositaire de l'autorité publique, au sens du droit administratif, désigne toute personne physique agissant pour le compte d'une administration publique ou exerçant une charge publique assimilée, dans le cadre des missions statutairement dévolues à cette administration ou à cette charge de par la réglementation. Il faut ensuite que les actes posés par cette autorité soient de nature à être considérés comme des actes de fonction, c'est-à -dire, des actes s'insérant logiquement dans la sphère de ses attributions statutaires.
Y a t-il une différence fondamentale entre le droit de rectification et le droit de réponse ? Si oui laquelle ?
On peut voir les choses ainsi, si on les considère sous l'angle de la personne bénéficiant du droit en cause. Dans le premier cas en effet, il ne peut s'agir de façon stricte que d'une personne dépositaire de l'autorité publique. Pour ce qui est du droit de réponse, il est reconnu à toute personne désignée dans une publication ou dans une émission diffusée sur les antennes d'un organe de communication audiovisuelle. Ensuite dans le droit de réponse, il n'existe aucune restriction quant à la nature du sujet faisant grief. Il suffit simplement que l'auteur du droit de réponse ait été cité ou qu'il ait été mis en cause d'une manière ou d'une autre dans l'article ou l'émission publiés. Dans les deux cas, il s'agit cependant de donner la possibilité à ceux qui sont concernés par des informations diffusées dans un organe d'information, d'apporter leur contribution à la manifestation de ce qui peut être considéré comme la recherche d'une information juste et équitable. Chacun de ces droits participent donc du souci du législateur de garantir le droit du public à l'information et d'équilibrer le traitement des sujets abordés par la presse.
En tant que spécialiste du droit de la communication, quel jugement portez-vous sur l'usage du droit de rectification dans le paysage médiatique camerounais ?
Mon sentiment est qu'il y a tout de même comme une certaine confusion entre les deux droits. Autant du côté de ceux qui en sont les bénéficiaires, à savoir les dépositaires de l'autorité publique, que du côté des médias eux-mêmes. On a l'impression que l'on prend souvent le droit de rectification pour le droit de réponse.
Quelle est la démarche à suivre pour un citoyen désireux d'apporter des rectificatifs à des déclarations ou informations inexactes publiées à son endroit?
Si vous parlez du citoyen lambda, il dispose du droit de rectification qu'il doit adresser à l'organe dans lequel il a été cité. L'organe d'information concerné est tenu de le diffuser dans son intégralité et gratuitement. La longueur ou la durée de ce droit de rectification ne peut dépasser le double de l'article ou de l'émission qui l'a provoqué.
En cas de refus d'insertion de la rectification, quelle attitude recommandez-vous au plaignant ?
L'insertion du droit de rectification est obligatoire pour l'organe visé. En cas de refus, le requérant au droit de rectification peut recourir à l'exécution forcée devant le juge de référé. Il peut aussi aller au fond et demander l'application des peines prévues à l'article 68 de la loi du 19 décembre 1990. En termes de sanction, toute personne reconnue coupable d'un refus d'insertion d'une rectification encourt une peine allant de 100 000 à 200 000 FCFA d'amende.
En votre double qualité d'universitaire et de haut fonctionnaire, quelle analyse faites-vous de la mise en œuvre au Cameroun du droit de rectification ?
Je pense qu'il n'est pas suffisamment fait usage de ce droit, au regard des écarts observés dans la presse.
Le concept même de rectification, qui procède d'un souci d'information et de pédagogie, vous semble-t-il adapté à une émission dite interactive ? Surtout si l'on considère que ce type de programme peut donner lieu à des dérapages plus ou moins contrôlés ?
Il est très difficile d'appliquer le droit de rectification à un tel contexte. Dans ce genre d'émission en effet, ce qui est dit est entendu ou lu par un public insaisissable sur une immensité géographique. Et quoique la rectification puisse apporter par la suite, la suspicion demeure au moins latente dans les esprits. Vous comprenez pourquoi il est difficile de réaliser de telles émissions sans courir le risque de jeter l'opprobre sur autrui.
S'agissant du cas de SKY ONE RADIO qui a été fermée le 17 août dernier par décision du Ministre de la Communication, quel argumentaire peut-on développer en justification d'une telle décision ? N'y a-t-il pas de risque, à votre avis, de voir sacrifié sur l'autel du droit de rectification, le principe cardinal de l'indépendance éditoriale du journaliste?
Absolument pas. Le problème de l'émission ayant fait grief au niveau de Sky One Radio est tout à fait simple. Sous le prétexte d'une émission, il y a des gens qui se sont érigés en juges. Ils convoquaient des " justiciables ", enrôlaient des affaires, organisaient des audiences et rendaient des décisions. Vous savez bien que ce rôle est dévolu à un pouvoir institutionnel qui est le pouvoir judiciaire. C'est un pouvoir dévolu par le peuple au nom de sa souveraineté, à des femmes et à des hommes formés à cet effet. Ils ont été rappelés à l'ordre plusieurs fois. Mais en vain. On ne pouvait donc laisser prospérer une telle imposture et un tel désordre. C'est tout.
En revenant au cas de SKY ONE RADIO, entre autres, n'y a-t-il pas lieu de s'interroger, nonobstant les avancées notoires en matière de démocratie et de droits de l'homme, sur l'effectivité de la liberté d'expression dans notre pays ?
A l'heure actuelle, plus d'une centaine de radios exercent au Cameroun, un demi-millier de journaux paraissent, plus d'une dizaine de télévisions émettent. Pensez-vous que dans un tel contexte, une ou deux brebis égarées, puissent perdre tout un troupeau ? Je pense bien que non. La liberté de la presse me semble être sans conteste l'un des meilleurs acquis de la politique du Renouveau en matière de Droits de l'Homme. Elle est certes en construction, mais elle est déjà sur de bons rails.
Pour finir, en tant que spécialiste du droit de la communication, quelles recommandations faites-vous pour un meilleur encadrement de la liberté d'expression et l'essor d'une véritable déontologie journalistique au Cameroun ?
Il faut aider la presse et les journalistes à acquérir davantage de responsabilité. Ce faisant, il faut renforcer la régulation, encourager l'autorégulation, mais aussi la soutenir davantage dans l'objectif d'une meilleure viabilité économique et d'un raffermissement de ses capacités professionnelles. Cela étant, je pense que la presse camerounaise a de beaux jours devant elle.
Propos recueillis par Pascale Ebongue Bougan