UE/ACP: Les voies de ratification de l’Accord de partenariat économique (APE) entre le Cameroun et l’Union européenne : contexte et enjeux

Dr. Raymond Ebalé
Enseignant Chargé de Cours Département d’Histoire Université de Yaoundé I Président de l’Association pour la Sensibilisation sur les Accords Acp-ue (asac)

L’historien Raymond Ebalé donne son éclairage sur l’ impact que pourrait avoir la ratification de l’APE par le Cameroun sur l’économie camerounaise.Un réel manquer à gagner du point de vue des recettes fiscales, mais aussi, ce serait une épine dans le processus d’intégration sous régionale.

La nouvelle est tombée comme un effet de surprise, fin juillet 2012. Le président de la République du Cameroun, M. Paul Biya, venait de décider de la ratification de l’APE signé le 15 janvier 2009 avec l’Union européenne (UE). Finalement convaincu par le discours de l’Europe, relayé par son représentant local le chef de la Délégation – partant par ailleurs- M. Raul Mateus Paula, le président camerounais cédait ainsi à ce qui ressemblait à une impossibilité, après six années de silence et d’atermoiements. Pour bousculer la décision, le chef de l’Etat a pour cela fait convoquer l’ensemble des ministres proches du dossier de l’APE (Economie, Commerce, Finance, Agriculture, PME…) aux fins de prendre les directives et les instructions nécessaires auprès de M. Séraphin Magloire Fouda, Secrétaire général adjoint à la présidence et conseiller économique influent du prince. Le 13 août 2013, une autre réunion élargie au secteur privé eut lieu à Yaoundé. Celle-ci visait à « réfléchir sur la stratégie à adopter par l’économie camerounaise pour s’adapter aux APE que le pays s’apprête à ratifier ».
C’est dire qu’à ce jour, le Cameroun est entré dans un cycle irréversible de la ratification de cet accord toujours controversé. Mais avant toute analyse en profondeur de notre propos et pour la bonne gouverne de nos lecteurs, un petit rappel des évènements antérieurs nous paraît plus que nécessaire.
Les APE sont cet accord commercial qui entend régir les relations entre l’UE et ses 79 partenaires d’Afrique, des Caraïbes et Pacifique (ACP) depuis la signature de l’Accord de Cotonou qui a remplacé les Conventions de Lomé en juin 2000. Les APE ont remplacé le système des préférences ou avantages non réciproques en vigueur sous Lomé entre 1975 et 2000 et par lequel les pays ACP exportaient leurs produits vers le sol européen sans droits de douanes ou taxes équivalents, à l’exception de quelques produits tels que le la banane, le sucre le riz ou le rhum soumis à des protocoles particuliers.
Au cours des années 1990, le constat d’échec des préférences et surtout leur remise en cause par d’autres Etats autres qu’ACP au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), poussèrent l’UE à y renoncer au profit d’un nouveau contrat commercial adapté à l’évolution libéral et capitaliste du monde : ce sont les APE.
Organisés en zones géographiques (six au total) adossées à un calendrier précis, il était prévu que les APE soient signés par chaque région au plus tard le 31 décembre 2007 pour entrer en vigueur le 1er janvier 2008 après une phase de transition de sept ans (2000-2007) consacrée aux négociations. La non signature à l’issue de la date buttoir du 31 décembre 2007 devait être sanctionnée par le rétablissement automatique des droits de douanes pour les pays ACP à l’entrée de leurs marchandises dans l’espace européen (Système des préférences généralisées –SPG), conformément à l’accord fixé avec l’OMC.
C’est ainsi qu’en Afrique centrale, sous la pression de l’UE et en l’absence d’un consensus régional, le Cameroun s’engagea seul en paraphant un APE intermédiaire le 17 décembre 2007, APE qu’il signa définitivement le 15 janvier 2009 au grand dam de ses partenaires de la CEMAC.
Evidemment du point de vue juridique, l’adhésion à tout accord international doit être suivie par sa ratification qui ouvre la porte à la mise en œuvre. Mais dans le cas précis de l’APE du Cameroun et depuis 2007, cette démarche n’a pas semblé préoccuper le gouvernement. Du moins jusqu’en septembre 2011. A cette date en effet, un évènement sous forme d’annonce est venu bousculer la marche des relations entre l’UE et ceux des pays ACP qui avaient déjà paraphé ou signé les APE. Ayant constaté que dans presque toutes les régions les négociations avec les pays signataires des APE étaient généralement arrivées à un point mort et frustrée par ce manque de progrès, l’UE décida de faire monter la pression sur les pays ACP en adoptant une proposition d’amendement du Règlement d’accès au marché (RAM) 1528 adopté en décembre 2007 et qui gouvernait l’accès libre au marché européen des 36 pays ACP ayant paraphé ou signé un APE avec l’UE. La proposition d’amendement stipulait que tous ces 36 pays devaient ratifier et mettre en œuvre les APE à partir du 1er janvier 2014 d’abord, date ensuite repoussée au 1er octobre 2014 ou bien ils perdront l’accès libre de droits et de quotas de leurs marchandises à l’entrée du marché européen.
Dès cette annonce, commença alors au Cameroun une véritable campagne de pression diplomatique, campagne animée principalement par le chef de la Délégation de l’UE M. Raul Mateus Paula. Ne manquant plus une seule occasion pour amener le Cameroun à la « raison » dans le sens de la ratification des APE, M. Mateus Paula se sera montré particulièrement opiniâtre au cours de ces derniers mois de son séjour au Cameroun au point de heurter parfois les sensibilités, même gouvernementales et au grand mépris de toutes les études d’impact témoignant des effets destructeurs des APE pour l’économie et la société camerounaises.
La démarche ayant visiblement porté ses fruits auprès de la plus haute hiérarchie du pays, il ne reste plus qu’à essayer de voir les enjeux que recèlent les chemins que pourra emprunter la ratification des APE au Cameroun.
Nous entrons alors ici dans un cadre mêlant à la fois le politique et le juridictionnel au regard du fait que pour ratifier un tel accord, trois voies s’offrent au Cameroun : soit la voie référendaire, soit la voie parlementaire soit, enfin, la voie de l’ordonnance présidentielle mais avec ceci que quelque soit le choix, les conséquences demeureront les mêmes pour le Cameroun et sa population.
La voie référendaire est celle qui oblige le l’exécutif camerounais à soumettre à référendum la question de la ratification de l’APE. Il s’agit d’interroger l’ensemble du peuple sur l’opportunité de ratifier ou pas cet accord afin qu’il soit mis en œuvre. Exercice complexe s’il en est un, à la fois par son caractère couteux (en temps et en argent) et organisationnel. Car il faudrait dans un premier temps battre campagne afin d’expliquer et éduquer le commun des Camerounais sur ce que sont les APE et leurs répercussions. Une démarche qui a été toujours été occultée depuis le début des négociations il y a 13 ans, les APE étant restés l’apanage de quelques « experts » tapis dans la haute administration à côté d’une société civile volontaire mais manquant elle aussi d’expertise, de moyens et de surcroît marginalisée.
Pour toutes ces raisons, la piste du référendum pour ratifier l’APE du Cameroun est donc d’avance à écarter.
S’en suit alors la deuxième voie de ratification, celle parlementaire.
C’est, de notre point de vue, la voie de passage la plus plausible à travers notre Parlement composé maintenant de deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. D’ici le 1er octobre 2014, tout le questionnement repose uniquement sur la session parlementaire qui actera le processus. De ce point de vue et au regard du calendrier, le Cameroun en dispose trois : soit la prochaine session de novembre 2013, soit celle de mars 2014 ou enfin celle de juin 2014.
La voie parlementaire pourrait être bien appréciée s’il ne s’y posait pas quelques îlots d’inquiétude. La première inquiétude est celle de la méconnaissance voire de l’ignorance fatale dont vont faire montre les députés et les sénateurs de la future législature au sujet des APE. Sous la défunte législature entre 2007 et 2012, un léger travail d’initiation a été fait au sein de l’Assemblée nationale à la fois par le gouvernement et la société civile. Mais vue la complexité du sujet, très peu de députés ont montré une compréhension approfondie des APE et surtout leur impact sur la population. Avec la nouvelle législature et l’instabilité parlementaire aidant, la grande peur viendrait du fait qu’il va voir opérer un nouveau travail d’initiation et cette fois non seulement auprès des députés mais aussi auprès des sénateurs. Un travail titanesque au regard de la composition sociologique du futur Parlement camerounais notamment du point de vue du niveau intellectuel et de l’âge !
La deuxième inquiétude en rapport avec une ratification par voie parlementaire de l’APE viendrait du poids politique au sein des deux chambres. Le RDPC y étant encore majoritaire à l’issue des résultats des législatives du 30 septembre 2013, il y a lieu de craindre que la ratification de l’APE passe comme une lettre à la poste, sans débat de fond, du fait de la ligne de conduite de ce parti voué corps, âme et esprit à son président national qui vient de dicter la ratification (dixit la modification de la constitution en 2010). En ignorant ainsi les intérêts des populations qu’ils sont censés représenter, les parlementaires camerounais participeront de fait consciemment au suicide de leur peuple eu égard aux conséquences néfastes des APE.
Passées les voies référendaire et parlementaire, il resterait comme troisième voie de ratification de l’APE l’Ordonnance présidentielle. Cette voie est surtout connue dans les grandes démocraties. Il s’agit généralement pour le chef de l’Etat de passer outre le pouvoir législatif et populaire pour faire passer une décision ou une loi sur le seul critère de son pouvoir souverain. L’état d’urgence ou un blocage particulier commandent souvent l’usage de cet acte. Dans un tel scénario, la lourde et cruelle responsabilité de la ratification de l’APE reposera alors sur les seules et uniques épaules de M. Paul Biya qui en a personnellement pris la décision. Dans un contexte de d’hyper présidentialisme, il est fort improbable qu’une telle démarche rencontre une quelconque opposition au Cameroun. M. Biya et sa génération voire sa descendance devraient alors un jour ou l’autre répondre des méfaits directs ou indirects des APE sur la population camerounaise.
En effet une ratification des APE par le Cameroun devrait voir remonter à la surface tous les enjeux et défis liés à cet accord toujours controversé. Ces enjeux et défis seront à définir à la fois sur le plan interne et externe. Sur le plan interne il va falloir répondre à toutes les interrogations qui demeurent sur l’impact des APE sur l’économie et la société camerounaises et dont les études ont montré la capacité de nuisance et de destruction (on parle ainsi d’une perte des recettes fiscales et douanières de 70 %) ; à l’extérieur il y aura lieu de rechercher comment rétablir la synergie diplomatique avec les partenaires et voisins de la CEMAC toujours non signataires des APE à un moment où le processus d’intégration régionale en Afrique centrale tarde toujours à décoller.
Avis donc à M. Biya et aux futurs parlementaires camerounais.

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