De la prorogation du mandat des députés au Cameroun

Par Arsène Tchagna T.

Il est intéressant de constater qu’après la révision constitutionnelle du 14 avril 2008, la pratique de la prorogation des mandats législatifs et municipaux a pris droit de cité au Cameroun. En effet, les dernières élections législatives et municipales ont été marquées par la prorogation des mandats de ces représentants, à trois reprises (21 août 2012, 21 février 2013 et 21 mai 2013). Au regard du triple scrutin présidentiel, législatif et municipal de fin d’année 2018, le chef de l’Etat semble vouloir faire réitérer la mesure de la prorogation des mandats législatifs et municipaux. Ainsi, étant entendu que la période probable de convocation du corps électoral devait courir jusqu’au 21 juin dernier, la non-convocation, notamment, a ouvert la voie à une possible prorogation desdits mandats. Il convient dès lors de s’interroger sur la légalité, voire sur la légitimité, d’une telle mesure.

UN FONDEMENT CONSTITUTIONNEL CERTAIN

D’après l’article 15 §4 (nouveau) de la Loi N°008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi N°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, « [e]n cas de crise grave ou lorsque les circonstances l’exigent, le président de la République peut, après consultation du président du Conseil Constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, demander à l’Assemblée Nationale de décider, par une loi, de proroger ou d’abréger son mandat (…) ». En ces termes, la loi constitutionnelle fonde clairement la mesure de prorogation du mandat des députés. Cette mesure obéit néanmoins à des conditions de fonds et de forme bien précises.

D’une part, deux conditions de fonds peuvent justifier la décision de prorogation du mandat des députés. D’un côté la constatation d’une « crise grave », de l’autre côté l’apparition de circonstances irrépressibles. D’un côté, l’absence de précisions sur la nature et la gravité de la crise peut dériver sur des constatations arbitraires. Une grève peut-elle constituer une crise grave ? Ou bien doit-il être question de l’état d’urgence ou de l’état d’exception prévus à l’article 9 al. 1 et 2 de la Constitution ? Dans ces derniers cas, la constatation de la situation de crise doit être faite par le biais d’un décret présidentiel. Ainsi, la crise anglophone reconnue comme une crise grave par le gouvernement camerounais pourrait constituer une justification à la décision de prorogation du mandat des députés. Seulement, il n’a été décrété ni d’état d’urgence, ni d’état d’exception par le président de la République. Ce qui donne à la notion de « crise grave » un contenu indéterminé, flou, et susceptible d’interprétations diverses et arbitraires. De même, la menace terroriste présente dans la région de l’Extrême-nord n’est pas, à l’heure actuelle, définie comme une crise grave nécessitant l’application de l’état d’urgence ou de l’état d’exception. Par ailleurs, une seconde condition de fonds apparait comme justifiant la décision de prorogation du mandat des députés, c’est-à-dire « lorsque les circonstances l’exigent ». Cette formule, déjà employée à l’article 9 al. 1 de la Constitution en tant que facteur de mise en action de l’état d’urgence, est également susceptible d’interprétations diverses et arbitraires. Elle peut renvoyer à un péril grave ou simplement à une difficulté matérielle à l’organisation  du scrutin.

Au regard d’autre part des conditions de forme, il est à souligner d’entrée de jeu que le déclenchement de la mesure de prorogation du mandat est une prérogative du président de la République. Elle ne doit être initiée ni par l’Assemblée Nationale, ni par d’autres institutions de la République. Le chef de l’Etat détient sur cette question une prérogative exclusive. Ensuite, une autre condition de forme est relative à la « consultation du président du Conseil Constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat ». Deux points d’ombre apparaissent à ce niveau, et s’avèrent pertinents à relever : l’un à propos de la portée de la consultation, l’autre relativement aux conséquences d’une opposition possible du président du Conseil Constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, ou de l’un de ces organes. Sur le premier point, il s’agit de savoir s’il est question d’un avis lié, c’est-à-dire si l’avis de ces organes peut déterminer la destinée de l’initiative du chef de l’Etat. Plus précisément, le chef de l’Etat doit-il se conformer à l’avis de ces organes ? Cette question qui semble n’avoir pas été réglée par le droit, peut être source d’un blocage institutionnel. Plus loin même, l’hypothèse d’une opposition des organes considérés apparait pour le moins probable. En effet, le président du Conseil Constitutionnel et les bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, ou l’un de ces organes, peuvent au-delà de la portée de leur avis, manifester leur opposition à la poursuite de la procédure d’adoption de la décision de prorogation de mandat. Ainsi, dans la mesure où il n’est pas requis un avis conforme de ces organes, la procédure suit son cours. Dans le cas contraire, le différend qui va surgir entre le président de la République et ces organes devra être porté devant le Conseil Constitutionnel (article 47 al. 1 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996), ou se conclure par la dissolution de l’Assemblée Nationale par le chef de l’Etat (article 8 al.12 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996). Enfin, la décision doit être adoptée sous la forme d’une loi votée par l’Assemblée Nationale et promulguée par le chef de l’Etat.

UNE DÉRIVE DÉMOCRATIQUE AMORCÉE ?

L’un des critères chers à la démocratie moderne, issu de son rapport à l’Etat de droit, est la prévisibilité de la loi en matière électorale. En effet, la rencontre entre les gouvernants et les gouvernés, au niveau du choix des premiers par les seconds, doit reposer sur un chronogramme de l’organisation matérielle des élections clairement défini et publié précédemment à l’année électorale. Cette condition de publicité du calendrier électoral s’avère être un gage de la stabilité politique et de la sécurité juridique, indispensables à l’entretien de la confiance que doit légitimement porter tout citoyen en ses représentants. Il s’agit d’interroger la représentativité des députés et magistrats municipaux durant la période de la prorogation, étant entendu que la tenue des élections aux dates prévues permet le renouvellement de la confiance des citoyens à leurs représentants. a contrario, si à l’échéance de leur mandat, cette pratique quasi-rituelle de renouvellement de la confiance n’est pas effectuée, des questionnements sur la légitimité des représentants peuvent être soulevées. Ainsi, constitutionnellement bien  fondée, la pratique de la prorogation des mandats est-elle légitimement établie ? La légitimité dans ce cas découlerait, à défaut de la détermination de l’adhésion quantitative des citoyens à la mesure de prorogation, de la finalité de la mesure même. Ainsi, la pratique de la prorogation des mandats législatifs et municipaux serait légitime seulement si elle vise à garantir l’authenticité du choix du citoyen, et partant, à prémunir ce dernier de toute tentative de fraude et des erreurs matérielles. Si la décision de prorogation des mandats ne tend pas à la réalisation de cet objectif, elle serait marquée du sceau de l’illégitimité et par conséquent, s’analyserait comme une dérive démocratique.

Ainsi, afin de garantir la prévisibilité de la loi en matière électorale, un chronogramme électoral doit être expressément établi et minutieusement observé. Par ailleurs, Le Conseil Constitutionnel peut être saisi avant la promulgation de la loi portant prorogation du mandat des députés, conformément à l’article 47 al. 3 de la Constitution. Toutefois, cette saisine a priori n’a pas été élargie au citoyen, restreignant dès lors sa liberté de contrôle du choix de ses représentants.

EN GUISE DE CONCLUSION

Bien que la loi fondamentale du Cameroun ait prévu la possibilité d’une prorogation du mandat des députés, ses conditions demeurent floues et sa pratique semble faire tanguer le navire démocratique. Pourtant, il s’agit d’une mesure nécessaire pour éviter la vacuité des institutions constitutionnelles, en l’occurrence en période de crises. Il pourrait s’agir même de la garantie du moindre mal, compte tenu des solutions alternatives qui prospèrent actuellement en période de crises, notamment la dissolution du Parlement et la mise en place d’un Parlement transitoire, la possibilité accordée au président de la République de légiférer par ordonnances. Toutefois, si la décision de prorogation n’est pas justifiée par la survenance de crises graves, c’est-à-dire par un cas de force majeure, son caractère arbitraire pourrait être mis en avant comme l’amorce d’une dérive démocratique.

 

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