SENAT : Quel poids dans l’échiquier politico-démocratique ?

Le 14 avril dernier, les Camerounais ont pour la première fois de l’histoire de cette nation fait l’expérience des  élections sénatoriales. Un moment fort passionnant de par son caractère inédit pour le commun des Camerounais. Toutes choses qui nous poussent à mener une analyse sur les répercutions politiques de l’institution su Sénat.

Arrimage au bicamérisme classique

Le bicamérisme ou bicaméralisme est un système politique fondé sur un pouvoir législatif bicaméral, c'est-à-dire un parlement composé de deux chambres. Une chambre dite « Haute » et une chambre dite  « Basse ». En termes d’exemple de bicamérismes dans les pays considérés comme des grandes démocraties, nous avons les Etats Unis d’Amérique dont le parlement est composé de la Chambre des Représentants et du Sénat. La Grande Bretagne dont les deux chambres du parlement sont la Chambre des Communes et la Chambre des Lords et la France dont le parlement est composé de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Etant donné les liens historiques et la tendance au mimétisme institutionnel qui caractérise les Etats africains vis-à-vis de la « mère patrie », on comprend aisément que le Cameroun ait choisi de faire le « copier-coller ». Comme en France, le parlement camerounais sera désormais composé de l’Assemblée Nationale et du Sénat. La différence notoire et qui permet de discerner les deux chambres se situe d’abord et surtout au niveau de l’électorat qui fonde leur légitimité et dont elles assurent la représentation. Pour ce qui est du Cameroun, la Constitution du 18 janvier 1996 dispose tour à tour en son article 15 d’une part que « chaque député représente la nation  toute entière qui l’a élu, car les députés sont élus au suffrage universel » (art. 148 du code électoral) et d’autre part en son article 20 il ressort que « le Sénat représente les collectivités territoriales décentralisées ». Ainsi, nous pouvons dire que si l’Assemblée Nationale représente le peuple souverain, le Sénat quant à lui représente le territoire. La tendance à la territorialité du Sénat n’est pas une exclusivité camerounaise, ce mode de représentation est même selon les termes d’Eméran Atangana Etémé, le « mode privilégié » par un nombre important d’Etats dans le monde. Au Burkina Faso, les 45 Régions que compte le pays sont représentées au Sénat par 90 Sénateurs sur les 178 que compte la Chambre, soit 2 Sénateurs par Région. Au Maroc, 162 des 270 membres de la Chambre des Conseillers sont élus dans le cadre Régional. Soit les 3/5e de la Chambre. Cependant l’on constate avec ces exemples que seule une partie des membres du Sénat de ces pays représente les circonscriptions territoriales, les autres membres représentent d’autres corps de la société. C’est ce qu’un auteur contemporain exprime en soutenant que la deuxième chambre du parlement« permet une représentation diversifiée des composantes de la Nation ».

 

Il faut entendre par « représentation diversifiée » ici les intérêts socioprofessionnels, la société civile et les autorités traditionnelles.  Au Burkina Faso en plus des régions tel que présenté ci-dessus, les associations, les syndicats, les différents corps de fonctionnaires, les associations sportives, les jeunes, les organismes non gouvernementaux de protection des Droits de l’Homme et les nationaux résidents à l’étranger sont fortement représentés au Sénat. Il en est de même du Maroc dont les 108 autres membres de la Chambre des Conseillers sont issus des syndicats et des Chambres professionnelles tels que l’industrie, l’agriculture, l’artisanat, le commerce, les services et la pêche, sans oublier les représentants des salariés tant du secteur public que privé.  Ces cas pratiques de ce qui se vit ailleurs prouvent que l’institution du Sénat au Cameroun n’est pas une révolution en soit, ce d’autant plus que la composition de cette chambre au Cameroun laisse un goût d’inachevé du fait de la non prise en compte des intérêts de la société civile. Cependant, quel sera l’apport du Sénat à la vie institutionnelle du Cameroun.

Le Sénat : une Assemblée Nationale bis ?

La Constitution camerounaise dispose en son article 14 que « le Parlement légifère et contrôle l’action du gouvernement ». Le parlement, nous l’avons dit, est dans ce contexte désormais composé des deux chambres, le Sénat et l’Assemblée Nationale. Ce qui veut dire que le Sénat au Cameroun exerce le pouvoir législatif au même titre que l’Assemblée Nationale. Ainsi les deux Chambres sont liées dans leur action comme le démontre l’alinéa 3 de l’article 14 de la constitution « Les chambres du parlement se réunissent aux mêmes dates : en sessions ordinaires, chaque année au mois de juin, au mois de novembre et au mois de mars sur convocation des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, après consultation du Président de la République ; en sessions extraordinaires, à la demande du président de la République ou du tiers des membres composant l’une et l’autre chambre.» L’exercice du pouvoir législatif par le Sénat signifie que, comme l’Assemblée Nationale, le Sénat peut initier des proposions de loi. Comme la Chambre basse, le Sénat va examiner les projets de loi du gouvernement. Sauf qu’il le fera à la suite de l’Assemblée Nationale qui opère l’examen en premier lieu. Ce confinement à l’adoption des lois par le Sénat fait de cette Chambre une Assemblée Nationale bis, au point où l’on se demande si l’institution de cette Chambre était vraiment nécessaire dans notre contexte ; compte tenu des dépenses occasionnées par cette élection et les autres dépenses nécessaires au traitement des Sénateurs.

Nous disons que créer une Chambre  Haute du Parlement juste pour le vote des lois que l’Assemblée Nationale assure déjà à suffisance est un luxe superflu pour une nation où le chômage atteint les sommets. Par contre, si l’on accorde au Sénat camerounais des pouvoirs semblables à ceux du Sénat américain qui donne son accord pour toutes les nominations des personnalités publiques et les fonctionnaires fédéraux, une telle prérogative permettrait de lutter contre la corruption en menant au préalable des enquêtes sur la moralité des personnes nommées. Cependant, même dans ce domaine législatif dans lequel le Sénat se confine, une lecture de la Constitution permet de constater que l’Assemblée Nationale jouit d’une légère primauté sur le Sénat en matière législative. L’article 30 de la loi fondamentale énonce que, lorsque les textes transmis par l’Assemblée Nationale au Sénat sont rejetés par ce dernier, ces textes retournent sur la table des Députés pour un nouvel examen. L’Assemblée Nationale, après délibération, adopte le texte à la majorité absolue des députés. En cas de blocage suite à l’absence de la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, le président de la République met sur pied une « Commission mixte paritaire ». Si le blocage persiste, le président de la République peut demander à l’Assemblée Nationale de statuer définitivement. Une autre preuve de cette primauté ressort de l’article 14 alinéa 4 qui dispose que « Lorsque le Parlement se réunit en congrès, le bureau de l’Assemblée Nationale préside les débats.» Alors si la Constitution reconnait cette légère primauté au bénéfice de l’Assemblée Nationale, comment comprendre les raisons qui ont poussé certains députés en poste, et parmi les plus illustres à l’exemple du président de l’Assemblée Nationale, à vouloir changer de couloir de la Chambre Basse pour la Chambre Haute ?

La réponse est d’emblée donnée par la Constitution, notamment l’article 6 alinéa 4 qui règle la question de la vacance au sommet de l’Etat. Il ressort que «En cas de vacance de Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel,[…] l’intérim du président de la République est exercé de plein droit, jusqu'à l’élection du nouveau président de la République, par le président du Sénat, et si ce dernier est, à son tour, empêché, par son suppléant, suivant l’ordre de préséance du Sénat ». Il est clair que l’institution du Sénat témoigne de la volonté du Président Biya de faire taire les supputations sur la question du « dauphinat ». L’autre raison qui peut aussi justifier l’effervescence observée pour la conquête des 70 sièges des membres élus du Sénat peut s’expliquer par les rumeurs qui courent au sujet des probables avantages dont vont jouir les Sénateurs. Il se dit que les Sénateurs camerounais bénéficieront d’un salaire mensuel de un million de francs, soit 500 000f de plus que les Députés. Info ou intox, seul l’avenir le dira. Toujours est-il que le Sénat est déjà là. Les attentes des Camerounais se résument dans le souhait de voir ses membres, même ceux nommés, faire montre d’indépendance en évitant de devenir une autre « caisse de résonnance des aspirations de l’exécutif » pour offrir au Cameroun une législation qui va renforcer les libertés publiques, la démocratie et l’Etat de droit.

Achille M. Ngah

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