Terrorisme et peine de mort: Entre la liberté et la sécurité, il faut choisir

Le jeudi 04 novembre 2014, l’Assemblée Nationale et le Sénat camerounais ont adopté la loi anti-terrorisme pour apporter une réponse juridique suffisante aux efforts menés par l’armée dans la lutte contre l’inflation des attaques aux frontières du pays. Cette loi qui vise la sécurité est très critiquée et controversée au motif qu’elle risque d’ouvrir la voie à un courant répressif à outrance.

Le projet de loi qui vient d’être adopté ne tombe pas du ciel. Déjà, le Cameroun venait de ratifier le protocole qui détaille la Convention de l’OUA sur la Prévention et la Lutte contre le Terrorisme adoptée par le 35ème Sommet de l’OUA à Alger, en juillet 1999. Cette convention elle-même n’étant que la dimension africaine d’une vision portée par les  résolutions 1373 (2001) et 2161 (2014) adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il ne restait plus aux Camerounais que l’internalisation de ces instruments internationaux. L’opportunité de cette loi était d’abord externe mais, elle n’en était moins interne. De fait, il était urgent pour le Cameroun de répondre à la multiplication d’attaques armées à ses frontières. A l’Extrême-Nord, à Kolofata, Amchidé, à Waza, à Fotokol, c’est la secte islamiste Boko Haram qui sème la terreur. Dans le golfe de Guinée, un peu plus bas sur la carte, c’est la piraterie maritime et la nécessité de protéger  la presqu’île de Bakassi, redevenue camerounaise. Par le Tchad, ce sont les coupeurs de route. A la frontière Est, ce sont les incursions des rebelles centrafricains, Ex-Seleka et des enlèvements de toute nature de Camerounais comme d’Européens contre rançons. Il n’est pas utile de souligner dans l’ensemble les enlèvements de religieux français, canadiens, italiens et d’Europe de l’Est plus récemment encore. Depuis le sommet de Paris qui regroupait les chefs des Etats les plus impliqués à l’instar de Paul Biya du Cameroun, Idriss Deby Itno du Tchad, Goodluck Jonathan du Nigéria entre autres, il était plus qu’urgent d’apporter une réponse d’envergure. Chaque pays, à sa manière, a apporté sa réponse. Celle du Cameroun a été dans un premier temps, de « Déclarer la guerre à la secte islamiste », et par la suite, de restructurer l’armée, de l’équiper et de la mobiliser dans la zone qui le nécessitait le plus, le Nord du pays. Mais, jusqu’ici, il ne s’agissait là que d’une réponse militaire. Pourtant, le Cameroun qui est constitutionnellement un Etat soumis au Droit, devait emballer toutes ses actions dans le drap blanc de la loi. La situation était d’autant plus urgente que les éléments de la secte Boko Haram, qui étaient appréhendés sur les zones de combats dans le Nord du pays, ne pouvaient pas être jugés comme « Terroristes », malgré toute la terreur qu’ils venaient d’infliger aux populations et aux éléments de l’armée et au Bataillon d’Intervention Rapide (BIR) qui sont en avant-garde du combat.
Lorsque le Tribunal militaire se chargeait de les juger, en toute discrétion, les juges militaires ne pouvaient leur appliquer que le droit commun, c'est-à-dire le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de justice militaire, mais « Compte tenu de la spécificité desdites infractions, le projet de loi confie leur répression exclusivement aux juridictions militaires »; ces codes demeurant applicables dans leurs dispositions non contraires à la nouvelle loi.

LE PROJET DE LOI ANTI TERRORISME ADOPTÉ

Le jeudi 04 décembre est l’aboutissement de l’effort du gouvernement d’apporter une réponse juridique à la terreur. Le RDPC qui a la majorité à l’Assemblée Nationale a donné son aval au projet de loi N°962/PPJL portant répression des actes de terrorisme. Tout comme au Sénat, et ce n’est pas le chef de l’Etat qui allait refuser de promulguer la loi. C’est le ministre d’Etat, Garde des Sceaux, chargé de la Justice, Laurent Esso qui est allé défendre le projet de loi le plus controversé depuis 2008, devant les députés du SDF, de l’UDC, de l’UPC et du MRC qui ne se sont pas fait prier pour répercuter les préoccupations de l’opinion nationale y afférentes. De fait, les élus de la nation demandaient le rejet du projet, au motif qu’un débat national était nécessaire sur un point aussi sensible du point de vue des libertés publiques. Pourtant, le RDPC a pu obtenir de par sa majorité le rejet de toutes les propositions d’amendements avancées par le SDF.

LE CONTENU QUI FAIT PROBLÈME

Avant de présenter ce texte, le gouvernement avait obtenu des deux chambres du Parlement, l’autorisation de ratifier les textes internationaux adoptés sur cette matière. Dans l’ensemble, le texte introduit la peine de mort comme sanction exclusive pour réprimer les actes terroristes. Les juridictions militaires ont la compétente exclusive de gestion des cas de terrorisme. La garde à vue pour des infractions liées au terrorisme peut être prolongée jusqu’à un délai de 15 jours. La formation et le recrutement des personnes pour actions terroristes sont punis de la peine de mort, autant que le blanchiment des biens issus du terrorisme. Des peines d’emprisonnement et des pécuniaires ont été retenues pour  l’apologie des actes de terrorisme. Des dispositions sont prises pour protéger les témoins.
La définition du terroriste que cette loi retient est la suivante : « Celui qui, à titre personnel, en complicité ou en coaction, commet tout acte ou menace d'acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l'intégrité physique, d'occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles, à l'environnement ou au patrimoine culturel dans l'intention : a) d'intimider la population, de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque ou à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes; b) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation des services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations ; c) de créer une insurrection générale dans le pays ». Ce qui fait aussi parler les Camerounais, c’est le retour de la peine de mort, qui n’était en fait jamais partie.

LES CRITIQUES SONT LÉGION

La levée de boucliers a commencé à l’Hémicycle avec les députés de l’opposition, mais elle s’est très vite fait ressentir en dehors du Parlement. Qui mieux qu’un ancien ministre délégué auprès du ministre de la Justice passé dans l’opposition pouvait jouer les précurseurs. Le Pr Maurice Kamto a donné une conférence de presse dans la foulée. Il estime notamment que « le gouvernement veut régler la succession au Cameroun par une loi inique et liberticide ». Certaines dispositions de la loi tel que l’article 2 fâchent le parti de Maurice Kamto.
Très vite, la loi est critiquée comme un texte qui « assimile en définitive les populations camerounaises qui manifesteraient leur mécontentement à des terroristes ». De même, on lui fait le reproche que la Convention de l’OUA de 1999, sur la prévention et la lutte contre le terrorisme dont elle s’inspire, met l’accent sur la « prévention »et non sur la répression des actes terroristes.
Selon des propos rapportés par le journal Le Messager, le MRC pense qu’avec l’adoption d’une telle loi, « aucune grève ou manifestation d'étudiants, de syndicats et différents autres regroupements socioprofessionnels ne serait possible au Cameroun ». C’est pour cette raison que  Maurice Kamto accuse le régime de Yaoundé de dévoyer la convention de l’OUA évoquée plus haut ainsi que la résolution 2161 (2014) du Conseil de sécurité des Nations-Unies, des textes internationaux qui voient le terrorisme comme « phénomène résultant des extrémismes violents liés aux activités des terroristes étrangers ».
Il n’y a pas que le professeur Maurice Kamto, car il y a eu aussi des religieux qui ont réagi tel que le Père Ludovic Lado. Des pétitions ont aussi été rédigées et publiées sur Internet, comme celle d’un collectif qui se fait appeler, «Collectif pour le retrait du projet de loi anti-terrorisme», dans laquelle on peut lire sur www.Change.org :
« Parce que nous ne souhaitons plus que le Cameroun revienne aux lois d’exception de 1962, textes de la Terreur, punissant la subversion, qui ont conduit des milliers d’hommes politiques, de nationalistes, d’intellectuels, et de citoyens dans les cachots, les caves, les cellules et les prisons de la Brigade Mobile Mixte, de Tcholliré, de Mantoun, de Yoko et de Kondengui et devant les pelotons d’exécution de l’armée » ;
Le fait est qu’il  faut faire un choix entre la sécurité et la liberté. Mais, il faut croire que les deux ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Il faut juste que les autorités chargées d’appliquer cette nouvelle loi ne cèdent aux sirènes de la répression aveugle.

Stéphane Ngo

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