Me ATANGANA AYISSI, le représentant du bâtonnier

« L’avertissement est donc clair et l’intimidation nette  pour l’avocat camerounais sur une convention non validée par la Chancellerie »

Me ATANGANA AYISSI,  le représentant du bâtonnier pour le Centre s’étend sur les préoccupations du barreau en rapport avec les récents textes pris par le gouvernement.

 

Qu’est-ce qui est à l’origine de la fracture entre le Barreau et la Chancellerie dont il est l’excroissance ?

Je crois qu’il est exagéré pour l’instant de parler déjà  de fracture  entre le Barreau et la Chancellerie.  Nul n’a intérêt qu’on en arrive  là.  Personnellement je ne vois rien à gagner au terme d’une fracture. Par contre, le Barreau en tant que corps de défense  réclame légitimement un cadre juridique adéquat pour son épanouissement et son affirmation  comme tel. La profession d’avocat étant par essence  libérale et indépendante, elle requiert absolument une législation conséquente. Il faut préalablement comprendre que le Barreau symbolise la défense. La défense complète la justice. Sans défense, il n y a  point de justice. Sans bonne défense, il n’est que parodie de justice.

Soucieux d’une justice de qualité, les pouvoirs publics devraient être pareillement soucieux d’une défense de qualité. Or il n’est rien pour l’instant à la lumière  de l’esprit des lois et textes pris ces derniers temps. Le Barreau n’est pas actuellement considéré comme une institution. C’est un leurre  de penser qu’on peut se doter d’une bonne justice  même sans une bonne  défense. Pour sa propre crédibilité, la justice a besoin d’une bonne défense au sein d’un Barreau qui en sauvegarde les principes fondamentaux. La défense au Cameroun n’a pas la place qu’elle mérite dans un Etat de droit. Après 39 ans de vie, le Barreau du Cameroun cherche encore ses marques. Il demeure toujours à l'état embryonnaire. Il n'a rien  gagné en considération auprès des pouvoirs publics et l'on a l'impression qu'il perd chaque jour en estime et en confiance auprès de la société. Il nous faut une mue profonde et des instruments d'affirmation.

 

Par ailleurs, L’Etat du Cameroun s’étant approprié  des instruments internationaux, la défense doit être perçue, non comme un  luxe ou une faculté, mais comme un droit pour tous au même titre que le droit à la santé. Mais alors une défense assurée par un corps  qui a fait de la défense  une option de vie. C’est donc d’une part la nécessité de sauvegarde de la défense comme institution garantie par les pouvoirs publics dans ses missions et faisant intimement corps avec la justice, et d’autre part  une défense de qualité ouverte, pour ne pas dire obligatoire  pour tous,  que se  situent les préoccupations du Barreau, au regard des récentes législations sur la défense en général et la corporation  en particulier.

 

Qu’est-ce que la relecture des textes prescrits par le Premier ministre a donné ?

En raison de leur incidence sur la défense, les textes sur le Barreau devraient être nourris par une concertation préalable entre les différents acteurs. C’est pour l’avoir compris que le Garde des sceaux vient de mettre en place une commission mixte Barreau-Chancellerie pour relire cette circulaire  et bien d’autres. Cette commission, nous  l’espérons  bien, devrait se réunir dans les prochains jours. Quant à la circulaire, le Barreau attend ni  plus,  ni moins que son retrait.

 

Quel problème pose-t-elle ?

Le Premier Ministre a pris une circulaire  qui, nous l’espérons sera très vite rapportée. Cette circulaire lue au premier degré  ne semble s’adresser qu’à ses  collaborateurs en ce qu’elle  instruit  les responsables des  administrations publiques  de requérir préalablement le visa de la Chancellerie  en validation des  conventions à signer avec les avocats. Mais la conséquence ici est que non seulement une convention  non  soumise au Garde des sceaux est nulle, mais tout paiement des honoraires serait irrégulier et par conséquent susceptible de constituer un détournement de deniers publics pour l’avocat et  le dirigeant de la structure. Autrement la convention serait remise en cause par un tiers qui pourtant n’y est pas partie alors  même que le principe de la relativité des conventions enseigne que les conventions  n’ont d’effet qu’à l’égard des parties contractantes. Cette circulaire insère subrepticement un élément constitutif du crime de détournement de deniers publics guettant l’avocat qui pourtant aura contracté avec une structure  pourtant dotée à part entière d’une capacité juridique.

Cette circulaire prépare donc le champ à des poursuites pénales contre l’avocat pour peu que le parquet, sur instructions de l’exécutif,  remette en cause la validité de la convention ou alors son exécution.

Nous estimons qu’il s’agit d’une intimidation doublée  d’une volonté d’assujettissement de  la profession contraire au libre esprit de défense.

 

Vous parliez, lors d’une interview accordée à  la presse,  d’une multitude de textes de nature à brider le ministère libéral de la profession  d’avocat  au Cameroun.  Combien sont-ils ?

Il y a principalement la loi sur l’assistance judiciaire. Ce texte autorise des personnes non avocats, les  auditeurs de justice, élèves magistrats  notamment, à exercer les missions de défense au cours de leur stage auprès des juridictions. L’explication qui nous a été donnée face à notre surprise est que, par là, ces  étudiants  apprennent  à prendre la parole en public en perspective  des réquisitions qu’ils seront plus tard appelés à prendre à l’audience. Nous estimons au barreau que,  parce qu’elle est une chose sérieuse,  la défense  ne saurait être un champ d’expérimentation. Un barreau digne de ce nom ne saurait accepter que  la défense des  libertés  et parfois de  la vie d’un individu soit confiée à des personnes qui ont leurs préoccupations ailleurs.

Il n’est que de relever que la loi ne  soumet pas ces défenseurs d’un autre genre au  serment de défense.  Non plus ils ne sont  soumis au secret professionnel, et n’ont aucune  indépendance sans laquelle il n y a aucune garantie de défense. L’on est par conséquent face à une parodie de défense et donc une parodie de justice.

Il y aussi  cet article  du Code de procédure pénale qui  vient  retirer  l’assistance de l’Etat aux accusés indigents poursuivis  pour des faits criminels  au simple motif qu’ils n’encourent pas une peine à perpétuité ou à mort… Ce texte est un grave recul à l’ancien code d’instruction criminelle

En résumé, Il s’agit des textes qui, tantôt réduisent la couverture de la défense, tantôt limitent le champ d’intervention de  l’avocat, tantôt encore ouvre la défense à des personnes dont la défense  n’est qu’une activité subsidiaire. Le Barreau ne peut être que préoccupé  par  cette conception  réductrice, voire d’inutilité  de la défense.

 

Y a-t-il un lien direct entre la circulaire  du Premier Ministre et  l’ « affaire Me  Abessolo » ?

Absolument. Les juges ont estimé que  la mission confiée à Me ABESSOLO par le Port Autonome de Douala (PAD) ne relevait pas des missions  de  l’avocat. Il faut cependant relever que l’avocat a un mandat légal et ce mandat a pour objet principal la représentation. En somme, sauf quand  l’objet est illégal, contraire aux bonnes mœurs,  l’avocat peut se voir confier  les missions de représentation. Ces missions peuvent être constitutives  de négociation, d’assistance, d’intermédiation, de conseil etc. La représentation d’un client  n’a pas de  limite. Il appartient au client et au client seul de déterminer le champ du mandat qu’il confie à son avocat. L’avocat doit seulement s’assurer que  l’objet du mandat  ne l’écarte pas de son serment. En constituant Me ABESSOLO, le PAD lui a donné mandat de  le  représenter  auprès de  ses partenaires dans  l’une des hypothèses sus évoquées. Le PAD ayant une capacité juridique à contracter, il ne revenait pas à un tiers, fût-il l’Etat, encore moins le parquet, de remettre en cause   cette constitution, encore moins son étendue. Une interprétation à postériori de la circulaire  du premier Ministre autorise à penser que, si la Chancellerie avait accordé  la constitution de Me ABESSOLO, les poursuites n’auraient pas été engagées contre cet avocat. L’avertissement est donc clair et l’intimidation nette  pour l’avocat camerounais sur une convention non validée par la Chancellerie.

 

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui débute sa carrière comme avocat au Cameroun ?

Principalement  3  enseignements. D’abord comprendre ce qu’être avocat : être avocat c’est se consacrer à un ministère  sacerdotal,  le sacerdoce  de défendre  les droits et les libertés des personnes. Le jeune avocat doit cultiver ce don de soi au service des missions de défense,  Il devra se doter d’un esprit conséquent sans lequel il fera juste semblant au même titre que l’auditeur de justice…La passion de la défense doit être prioritaire et supplanter la recherche  de l’argent

Ensuite, la compétence. La compétence  constitue  les armes de combat pour la défense des droits et des libertés. Elle passe par une curiosité intellectuelle qui ne doit pas tarir et doit s’étendre à tous les secteurs de la vie et principalement au Droit.

Enfin, le respect de la déontologie de la profession/ L’éthique professionnelle permet à l’avocat de rester en harmonie avec la société. L’avocat  doit  éviter  le divorce  d’avec la société. Il doit avoir constamment à l’esprit qu’il est au service de cette société  et en constitue le dernier refuge, l’ultime  rempart en toutes circonstances

En cela,  le jeune avocat devra  constamment avoir à l’esprit le serment de défenseur qu’il a prêté, caractérisé par l’indépendance, l’humanisme, la dignité, la délicatesse et  la probité.

Propos recueillis par Emilienne Soué N. et Jacques Tchenem Vandou

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