Fin de règne doré d’une institution controversée ?

Par Sylvain EYOCK, Expert en droits de l’Homme

L’institution du ministère public entretient des liens étroits avec la sûreté de la société : comment garantir la quiétude des citoyens et éradiquer le phénomène criminel ? Quelle sanction doit être infligée à l’auteur d’un acte antisocial ? Que faut-il faire pour prémunir la société de tels actes ? Avant de recevoir une réponse juridique, toutes ces préoccupations sont d’abord politiques, et meublent allègrement les campagnes électorales des femmes et des hommes dont les motivations objectives fondent la conquête du pouvoir dans une démocratie.

Une fois élu, la politique criminelle doit impérativement être mise en œuvre. Elle constitue alors un contrat entre le candidat d’hier et son électorat. La criminalité doit être stoppée par tous les moyens. Mais, pendant ce temps, la femme ou l’homme politique n’est détenteur que du pouvoir exécutif ; comment garantira-t-il  la bonne exécution de son contrat sécuritaire ? Un bouc émissaire est né : le procureur de la République. Formé en principe pour le compte du pouvoir judiciaire, il est rapidement copté par l’exécutif. Même s’il siège physiquement au palais de justice, sa conviction est dictée par le contrat du Prince, qu’il reçoit de la chancellerie. Partie principal au procès (le procureur de la République),

le justiciable ordinaire décrie l’ingérence et la superpuissance du pouvoir exécutif dans sa sphère privée. Pendant que le Prince vise la réorganisation favorable de son émissaire (voir à cet effet la volonté du  Président SARKOZY en janvier 2009, de supprimer le juge d’instruction pour confier l’ensemble des enquêtes judiciaires au parquet, sous le contrôle d’un magistrat du siège appelé juge de l’instruction.), le citoyen élève le conflit et sollicite la médiation du juge international. La réaction de ce dernier est sans équivoque : le ministère public tel qu’il est actuellement organisé en France (et par analogie au Cameroun) n’est pas une autorité judiciaire. Sa dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif (I) et le principe de son unicité (II) semblent hypothéquer l’indépendance du pouvoir judiciaire, par la remise en cause de certains principes directeurs du procès pénal.

 

I- La remise en cause des magistrats du ministère public comme membres du pouvoir judiciaire : au sujet de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme que « le Procureur de la République du droit français (le statut et le régime juridiques du procureur de la République français s’appliquent mutatis mutandis au procureur camerounais) n’est pas une ‘‘autorité judiciaire’’ au sens de la jurisprudence de la Cour » [voir à cet effet arrêts MEDVEDYEV c. France et MOULIN c. France, respectivement des 23 novembre et 29 mars 2010]. Les faits qui motivent ces deux affaires sont assez illustratifs de la décrépitude du statut de procureur de la République.

Dans l’affaire MEDVEDYEV et autres, les requérants se plaignent d’avoir été privés de liberté en haute mer, à bord de leur navire ‘‘le Winner’’, sous le contrôle du procureur de la République, qui n’est pas selon eux,  « l’autorité judiciaire compétente » au sens de l’article 5 §1C de la Convention européenne des droits de l’Homme. Quant à l’avocate MOULIN, elle saisit la Cour de Strasbourg par requête N° 37104/06 du 1er septembre 2006, au  motif  que durant ses cinq jours de garde à vue, elle n’a pas été   « traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l'article 5 § 3 de la Convention.

La réaction des magistrats de la Cour est sans équivoque :

«  Force est de constater que le procureur de la République n'est pas une ‘‘autorité judiciaire’’ au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ».

Même si la haute juridiction a aussitôt précisé que sa décision ne s’ingère pas dans le débat politique national [français], les hommes politiques de l’opposition ont rapidement compris qu’il fallait prendre des distances avec ce magistrat ‘‘dénué de conviction propre’’. Cette allégation est confirmée a contrario par le deuxième paragraphe de l’article 37 (2) de la loi constitutionnelle camerounaise, qui dispose : « Les magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles que de la loi et de leur conscience». Toute chose qui montre que ceux qui ne sont pas du siège n’ont pas la même indépendance dans l’accomplissement de leurs fonctions. C’est d’ailleurs ce que révèle en France, une  étude réalisée par un institut de sondage à la demande  du Conseil Supérieur de la Magistrature française. Selon les conclusions de cette étude, seuls 58 % des membres du parquet s'estiment indépendants et uniquement 27 % des juges du siège estiment que leurs collègues du parquet sont indépendants [cf. aff. MOULIN c. France § 25]. Cette ambiguïté a des répercussions politico-judiciaires dans l’administration de la justice française. Ce qui favorise désormais la récusation (procédure par laquelle une partie demande que tel magistrat s’abstienne de siéger, parce qu’il a des raisons de soupçonner sa partialité à son égard) répétitive des magistrats du parquet [cf. Aff. Bentencourt en France]. On se demande alors si la flamme du ministère public pourra encore longtemps résister au vent des libertés individuelles.

II- L’objectivité du pouvoir judiciaire remise en cause par les caractéristiques du ministère public : l’impartialité du pouvoir judiciaire en question.

Le deuxième argument qui fonde la décrépitude possible du ministère public est son indivisibilité. En clair, un acte posé par un membre du ministère public engage tout le parquet. D’où le principe de l’unicité des membres du parquet. Ce principe génère la présomption selon laquelle le ministère public est représenté, ou est constitué par une seule et même personne. Or selon l’article 29 in fine de la loi N° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun, cette personne unique veille à l’application de la loi par l’exercice cumulé de l’opportunité des poursuites, et des réquisitions qui ne sauraient lui être refusées ou retirées (article 128 CPP). Autrement dit, pour la bonne exécution de sa politique criminelle, la femme ou l’homme politique désigne une personne unique: le procureur de la République ; seul compétent pour engager les poursuites contre X ou Y, diriger l’enquête (art. 78 CPP) y relative, initier l’instruction préparatoire (art.143 CPP), y  participer (arts. 154, 176), proposer la sanction et veiller à l’application de la décision de justice (art. 29 loi N° 2006/015 suscitée). Quid du principe de la séparation des fonctions de justice répressive ?

Il ressort de l’analyse de l’affaire MOULIN c. France [§58] que cette indivisibilité, associée à la subordination hiérarchique, induit que la même autorité participe au même procès depuis l’enquête de police, jusqu’à l’exécution de la décision de justice,  en passant par le tribunal d’instance, la Cour d’appel et celle de cassation. Le procureur de la République ne saurait donc être impartial.

S’il est admis que l’institution du ministère public, telle qu’elle est actuellement organisée au Cameroun et en France, n’est ni indépendante, ni impartiale, il est dès lors évident qu’elle tempère la jouissance du droit à un procès équitable. Comment doit-on réorganiser l’administration de la justice pour une jouissance effective du droit à un procès équitable ? Sans répondre expressément à cette question, une brève analyse de la loi N°2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale au Cameroun, montre que si le procureur de la République a été un tant soit peu « ‘‘décoiffé’’ » [cf. Pr. Jeanne Claire MEBU NCHIMI, in Les tendances de la nouvelle procédure pénale camerounaise, Vol.1, Yaoundé, PUA, 2007, pp.241-269], c’est juste en guise de gratitude, relative à la réorientation de ses pouvoirs qui sont toujours quasi-exceptionnels.

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