Les Magistrats du parquet

Elias Georges MESSINA, enseignant assistant au département de Sciences Criminelles, Université de Yaoundé II SOA

« Les magistrats du parquet font partie du pouvoir judiciaire. Ils agissent, requièrent et concluent au nom de la Nation»

L’enseignant assistant apporte des éclairages sur la notion de ministère public dont la mission est de défendre en justice les intérêts de la collectivité.

Pouvez-vous nous donner un bref historique de l’institution du ministère public ?

Le ministère public tel que nous le connaissons à l’heure actuelle a son origine en France. Cette origine peut être trouvée à l’époque de l’Ancien Régime, dans une lettre du chancelier d’Aguessau du 11 mars 1730, qui, partant des gens du Roi, relevait qu’un ministère leur était confié « pour aider la justice ». Toutefois, la fonction qui se rapprocherait le plus de la conception moderne du ministère public daterait plutôt de l’époque napoléonienne, et plus précisément du décret des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, en son article premier qui disposait : « les officiers du ministère public sont des agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux ».

Le ministère public est donc l’héritier d’une tradition qui remonte à cette époque. En effet, gardiens des droits royaux et défenseurs de l’intérêt public, chargés de la poursuite des criminels et de la protection des faibles, les « gens du Roi » ont exercé jusqu’à la révolution, un « ministère public » que les réformes napoléoniennes ont en partie perpétué jusqu’à nos jours.

Qu’est-ce qui caractérise une autorité judiciaire ?

Ce qui caractérise une autorité judiciaire, c’est sa qualité de magistrat, et partant, son appartenance au corps de la magistrature.

Peut-on reconnaître au ministère public le statut d’autorité judiciaire ?

Au regard de ce que je viens de souligner, on peut sans conteste reconnaître le statut d’autorité judiciaire au ministère public, celui-ci étant composé de membres qui sont exclusivement des magistrats. Il est vrai que, de tout temps, le débat public porte sur la qualité de magistrat, des membres du ministère public, dans la mesure où ils sont hiérarchisés jusqu’à un membre du gouvernement : le ministre de la Justice, Garde des sceaux. Mais je pense que le ministère public est une autorité judiciaire, car il intervient à titre d’organe judiciaire, eu égard au concours qu’il apporte à l’application de la loi.

Qu’est-ce qui caractérise le ministère public ?

Avant de dire ce qui caractérise le ministère public, je voudrais apporter une lumière sur une confusion souvent entretenue par le grand public. En effet, une distinction fondamentale doit être faite entre deux sortes de magistrats : ceux qui décident, c’est-à-dire les juges (que l’on appelle : les magistrats de  siège ou magistrats assis) et ceux qui entament des poursuites et donnent des avis (que l’on appelle : magistrats du ministère public ou magistrats du parquet, désignés encore par l’appellation de magistrats debout).

Cela étant, au delà des spécificités du ministère public, notamment son organisation hiérarchisée (les membres du ministère public sont hiérarchisés à l’intérieur d’un même parquet et doivent se conformer aux ordres de leur chef), de même que son organisation indivisible (chaque membre du parquet représente valablement et intégralement le ministère public de son échelon, et les différents membres d’un même parquet peuvent se remplacer les uns les autres pour remplir la tâche du ministère public au cours d’une même affaire), ce qui caractérise singulièrement le ministère public est que : n’étant pas juges et étant plutôt des « agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux », ils échappent au principe fondamental de l’indépendance, et le cas échéant , de l’inamovibilité reconnu aux magistrats du siège. Les membres du ministère public sont donc, comme déjà indiqué, sous la dépendance du Garde des Sceaux et de leur supérieur hiérarchique.

Au terme de l’article 37(2) de la constitution du 18 janvier 1996, « le pouvoir judiciaire est exercé par la cour suprême, les cours d’appel, les tribunaux. Il est indépendant du pouvoir exécutif… ». Peut-on dire au regard de ce qui précède que les magistrats du parquet, dépendant du pouvoir exécutif, font réellement partie de ce pouvoir ?

Il faut dire que bien qu’étant des « agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux », les magistrats du parquet ou ministère public font bel et bien partie du pouvoir judiciaire. Ils agissent, requièrent et concluent non pas au nom de l’Etat ou du gouvernement, mais au nom de la Nation, de la république souveraine, d’où d’ailleurs le terme procureur de la république, successeur des « gens du Roi ».

Par ailleurs la hiérarchisation du ministère public se combine, mais également est tempérée par la qualité de magistrat reconnue à ses membres, qui, pour l’exercice de leurs fonctions, bénéficient d’une délégation directe de la loi qui fonde leur légitimité. Et en tant qu’ils requièrent librement, en âme et conscience, au nom du peuple camerounais pour lequel la justice est rendue, les membres du ministère public appartiennent au pouvoir judiciaire.

Quelle est alors la véritable place du ministère public dans l’organisation judiciaire du Cameroun ?

Le ministère public est le représentant de la société, le défenseur de l’intérêt général, le garant de l’ordre public, le gardien de la loi. Les magistrats du ministère public n’ayant pas la fonction de juger,  leur mission est de défendre en justice les intérêts  de la collectivité et particulièrement de la loi qui en est l’expression. En matière pénale (c’est-à-dire lorsqu’une personne est poursuivie, au nom de la société, devant une juridiction répressive en raison d’une infraction qui lui est reprochée), le ministère public établit le dossier d’accusation, déclenche les poursuites et requiert devant la juridiction répressive les sanctions prévues par la loi. En matière civile (c’est-à-dire dans les litiges qui, pour l’essentiel, concernent des intérêts particuliers), le ministère public présente au juge ses observations sur ce qui lui paraît être la bonne application de la loi, surtout lorsque l’ordre public est en cause. C’est ce qui fait dire qu’en matière  répressive,  le ministère public est partie principale au procès, tandis qu’en matière non répressive, il n’en est que partie jointe.

Quelle distinction existe-t-il aussi bien sur le plan de la forme que sur celui du fond, entre le procureur de la République et le commissaire du gouvernement ?

Du point de vue de la forme, il n’existe aucune distinction entre le procureur de la République et le commissaire du gouvernement, dans la mesure où dans les deux cas il est question de l’exercice d’un « ministère public ».

Mais quant au fond, les choses doivent s’entendre différemment. En effet, le commissaire du gouvernement a pour mission dans certaines juridictions (juridictions administratives, juridictions militaires notamment), d’exposer publiquement et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent. Donc à la différence des magistrats du ministère public auprès des juridictions de l’ordre judiciaire, le commissaire du gouvernement n’est intégré à aucun corps hiérarchisé et il en résulte cette conséquence importante qu’il échappe à toute subordination ne reçoit aucune directive et requiert à l’audience en son propre nom.

Par ailleurs, l’expression est trompeuse. Le commissaire du gouvernement n’est pas le porte-parole du gouvernement ou de l’administration qui peut se défendre elle-même ou faire valoir ses moyens par l’organe de ses propres avocats. En réalité, il est le « serviteur de la loi » ou mieux, il est le « commissaire de la loi » ou le « commissaire du droit » d’après une heureuse formule du doyen Georges VEDEL.

S’il est vrai que le ministère public est caractérisé par sa subordination hiérarchique, il n’en demeure pas moins vrai qu’il se caractérise également par sa supériorité hiérarchique vis-à-vis des officiers de police judiciaire : que peut-on retenir des rapports entre ces deux institutions dans le code de procédure pénale ?

Conformément aux dispositions de l’article 82 du code de procédure pénale, la police judiciaire est chargée de constater les infractions, d’en rassembler les preuves, d’en rechercher les auteurs et complices, et le cas échéant de les déférer au parquet ; d’exécuter les commissions rogatoires des autorités judiciaires ; de notifier les actes de justice et d’exécuter les mandats et décisions de justice. Et d’après les termes de l’article 78 du même code, la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la République(…) et sous le contrôle du procureur général de chaque ressort de cour d’appel.

Au regard de ce qui précède, il en résulte clairement des rapports de soumission fonctionnelle des officiers de police judiciaire à l’autorité des magistrats et plus spécifiquement ceux du parquet.

S’agissant  tout d’abord du procureur de la République, il faut dire que les prérogatives à lui reconnues par le code de procédure pénale (article 78 al 1er), comportent plusieurs implications : premièrement, l’officier de police judiciaire (O.P.J.) régulièrement saisi  de la conduite d’une enquête peut en être dessaisi par le procureur de la République. Ce dernier doit toutefois informer le supérieur hiérarchique de l’O.P.J. ainsi dessaisi.

Deuxièmement, lorsque le procureur de la République décide de descendre sur les lieux de commission d’une infraction flagrante, sa présence dessaisit automatiquement l’O.P.J., à moins qu’il ne lui demande de continuer. Et dès la clôture de toute enquête, l’O.P.J. doit transmettre l’original et une copie des procès-verbaux au procureur de la République qui en est le premier destinataire. Ce dernier peut alors, en vertu du principe de l’opportunité des poursuites, décider de poursuivre ou de classer l’affaire sans suite.

Pour ce qui est du procureur général, les dispositions combinées des articles 78 al 3 et 134 al 1 du code de procédure pénale lui attribuent des pouvoirs de contrôle sur les actes des officiers de police judiciaire. Ce contrôle s’exprime à travers les pouvoirs donnés au procureur général d’apprécier et de noter chaque O.P.J. dans son ressort. Ces notes, faut-il le préciser, sont transmises au chef de l’administration d’origine de L’O.P.J. concerné.

Pensez-vous que l’égalité des armes existe réellement entre le procureur de la république (défenseur de la société) et l’avocat (défenseur de l’individu) au cours du procès pénal depuis l’entrée en vigueur du code de procédure pénale ?

Le principe ou le droit à l’égalité des armes qui signifie que l’une des parties au procès pénal ne doit pas être désavantagée par rapport à la partie adverse (le ministère public), a été consacré par le code de procédure pénale issu de la loi N° 2005/007 du 27 juillet 2005. Les spécialistes s’accordent même à relever une révolution en la matière, puisque désormais, toute personne peut se faire assister d’un conseil de son choix, et ce, dès le stade des enquêtes de police. Mais il ne suffit pas de le consacrer, encore faut-il que le ministère public veille au respect de principe, notamment en transmettant aux autres parties  - l’avocat -  les informations en sa possession, qui seraient susceptibles d’affecter le déroulement équitable du procès.

En tout état de cause, tel devrait être le cas dans notre système pénal procédural dans lequel le ministère public est porteur de tous les intérêts de la société et non des seuls intérêts de la répression. Dans cette perspective et vu sous cet angle, le principe du procès équitable dont celui de l’égalité des armes est une application, permet à l’avocat de garantir le respect effectif des droits fondamentaux de la partie pénalement poursuivie, tel le droit de tout suspect de se faire assister d’un conseil de son choix, mais aussi et surtout la présomption d’innocence dont il doit bénéficier.

Dans l’optique d’une bonne administration de la justice, pensez-vous que les carrières des magistrats du parquet et ceux du siège doivent être distinctes ?

En lien avec l’actualité de l’heure dans le système judiciaire français, votre question soulève le problème de l’enjeu du statut des magistrats du ministère public, puisque par hypothèse la question ne se pose pas (encore) en ce qui concerne les magistrats du siège.  La question se pose en effet de savoir s’il reste opportun et conforme à l’évolution de leurs attributions, de maintenir les magistrats du parquet au sein d’un corps judiciaire unique ou à l’inverse, s’il ne serait pas préférable d’organiser la séparation fonctionnelle et statutaire avec les magistrats du siège.

Dans notre contexte, on sait que certains souhaiteraient que la carrière des magistrats du ministère public (notamment pour ce qui est des nominations, affectations, sanctions et garanties d’indépendance), soit alignée sur celle des magistrats du siège. Mais pour d’autres, et c’est mon point de vue, il est bon que l’on maintienne la séparation des carrières des magistrats du siège d’avec ceux du parquet en raison de la spécificité des missions des uns et des autres. Il est en effet logique que la carrière des parquetiers soit distincte pour au moins deux raisons :

D’abord parce qu’ils doivent être clairement distingués des juges, ce qui n’exclut pas une formation commune, des possibilités de passerelle, et même l’appellation de «magistrat».

Ensuite parce qu’ils doivent demeurer reliés à l’exécutif, qui a la responsabilité de mettre en œuvre la loi pénale : soit de manière générale, en définissant la politique pénale ; soit de manière particulière, en donnant des instructions au parquet dans les affaires intéressant l’ordre public.

Cependant, on peut souhaiter, dans la perspective d’une meilleure administration de la justice, une évolution du statut du ministère public en vue de garantir objectivement son impartialité. Pour ce faire, les parquetiers devraient se voir doter d’un statut comportant des garanties réelles de carrière, à tous les niveaux de la hiérarchie, et ils ne pourraient recevoir d’ordre de l’exécutif que dans la clarté d’instructions écrites.

Propos recueillis par Marius Nguimbous

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