Conseil national de la communication: Le temps de la régulation

Du décret N° 91/287 du 21 juin 1991 au décret  N° 2012/038 du 23 janvier 2012, lecture d’une institution en plein essor.

D’entrée de jeu, rappelons que le Conseil National de la Communication (CNC) sort des fonds baptismaux en 1990, notamment avec l’article 88 de la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 sur la communication sociale qui déclare qu’ « il est créé un Conseil national de la communication dont l’organisation et le fonctionnement sont fixés par voie règlementaire ». C’est dans cette optique qu’est intervenu le décret du 21  juin 1991 portant organisation et fonctionnement du CNC. Un peu plus de 20 ans après, un nouveau décret en date du 23 janvier 2012 réorganise cette institution. Il faut relever que la réorganisation du CNC sonnait comme une exigence vitale pour la liberté de la presse au Cameroun, au regard des dérives et autres controverses observées ça et là. En effet, depuis peu, la presse camerounaise a mal dans ses entrailles. Des règlements de comptes au chantage, en passant par des grossières intrusions dans la vie privée des personnalités. La presse camerounaise semble être possédée par un de ces mauvais esprits qui fait perdre la tête à ses victimes. Rien de plus nécessaire qu’un aggiornamento pour redéfinir les canons qui guideront l’exercice  du quatrième pouvoir, dans le but de lui garantir la légitimité qui fonde sa popularité. Ce renouveau a commencé, on s’en souvient, avec la nomination à la tête du CNC d’un homme de poigne, Joseph Befe Ateba, homme de Dieu, car évêque, et homme du terrain, car journaliste de formation. La réforme atteint son point culminant avec le décret du 23 janvier 2012 sus cité comme pour dire « à vin nouveau, outres neuves ». Quelles sont les avantages de cette nouvelle outre et en quoi diffère-t-elle de l’ancienne ?

DES AVANCEES NOTOIRES PORTEUSES D’ESPOIR.


La lecture du 2e article donne le ton du saut en hauteur effectué par la réforme : « Le Conseil est un organe de régulation et de consultation ». Cette disposition est censée sortir le CNC de la léthargie et de l’apathie qu’on lui connaissait pour faire de lui un régulateur, un acteur efficace de la « disciplinisation » de l’exercice des professions de communication au Cameroun. Ce qui revient à lui reconnaître des pouvoirs réels. Chose qui n’était pas imaginable dans l’ancienne alliance de 1991 où le CNC n’était qu’un simple organe consultatif (article 1er décret de 1991). Cette mutation majeure entraîne que le Conseil est désormais une autorité administrative autonome qui s’émancipe des subventions de l’Etat (article 10 décret du 1991) pour jouir désormais du privilège de bénéficier d’un budget équilibré en recettes et en dépenses adopté par le Conseil lui-même (article 20 du décret de 2012). Le fonctionnement de ce nouvel organe de régulation de la communication a connu aussi des réajustements, de 17 membres pour son devancier, le CNC new look n’en comptera plus que 9, tous nommés par le chef de l’Etat et « choisis parmi les personnalités de nationalité camerounaise reconnues pour leur intégrité, leur rectitude morale et leur expertise dans le domaine de la communication sociale ». La durée du mandat des membres qui était jusque-là de « six ans renouvelable au tiers tous les deux ans », est désormais de « trois ans renouvelable une fois ». Le Secrétariat permanent est remplacé par un Secrétaire général nommé lui aussi par décret du président de la République. On peut lire là un souci de célérité et d’efficacité dans l’accomplissement des nouvelles missions qui lui sont dévolues. A ce sujet, l’on retient aussi que de deux sessions ordinaires par an (article 7 décret de 1991), le CNC va désormais se réunir une fois par trimestre et de « manière permanente pendant la période de campagne électorale afin de veiller au respect des lois, au principe de l'accès égal ou équitable des partis politiques, des candidats ou de leurs représentants aux médias publics. » (Articles 10 et 11 décret de 2012).
Les nouveaux pouvoirs du CNC transparaissent dans ses attributions. Ici, le rôle du conseil qui, jusqu’au 23 janvier dernier, se limitait à de simples avis généraux sur la communication sociale au Cameroun, s’enrichit d’un pouvoir de décision sur les points suivants :
«-des lois et règlements en matière de communication sociale;
- de l'éthique et de la déontologie professionnelle;
- de la paix sociale, de l'unité et de l'intégration nationale dans tous les médias;
- de la promotion des langues et cultures nationales dans tous les médias ;
- de la promotion des idéaux de paix, de démocratie et des droits de l'homme;
- de la protection de la dignité des personnes, notamment de l'enfance et de la jeunesse dans les médias;
- de l'égalité d'accès aux médias, notamment en période électorale;
- de' la liberté et de la responsabilité des médias;
- de l'indépendance des services public et privé de la communication;
- de la transparence, du pluralisme et de l'équilibre dans lés programmes des entreprises de communication. » (Article 4 décret de 2012) ».
L’exercice de ces attributions est couronné par des sanctions, allant de « la suspension temporaire d'activités pour une période n'excédant pas six (06) mois; à l'interdiction définitive d'activités. » (Article 6).
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que le décret N° 2012/038 du 23 janvier 2012 a réformé positivement le Conseil National de la Communication, en le dotant des pouvoirs et des moyens adéquats, pour lui permettre « d'assister les pouvoirs publics dans l'élaboration, la mise en œuvre et le suivi de la politique nationale de communication sociale ». Mais ce texte recèle encore quelques incohérences qu’il est nécessaire de relever.

UNE VOLTE-FACE NON PROFITABLE A LA GARANTIE DES LIBERTES DE COMMUNICATION.

La première incohérence tient du statut même de cette institution. Si l’on part du principe énoncé par l’alinéa 2 de l’article 3 du décret du 23 janvier  2012 à savoir « [le Conseil] veille au respect de la liberté de communication sociale, conformément à la Constitution, aux lois et règlements en vigueur. » L’on peut se demander par quel artifice une institution d’origine légale peut garantir une liberté fondamentale constitutionnellement reconnue et ce « conformément à la constitution » telle que la liberté d’expression ? Il serait souhaitable que le Conseil National de la Communication devienne une institution constitutionnelle au même titre que le Conseil régional (article 57 de la Constitution), Conseil constitutionnel (Titre VII de la constitution révisée par la loi n° 2008/001 du 14 avril) ou du Conseil économique et social (Titre IX de la Constitution). Une telle posture renforcerait sa légitimité et assoirait son autorité et celle de ses décisions et avis. Cette exigence est vérifiable en droit constitutionnel comparé, notamment la constitution tchadienne en son Titre 9 : Du Haut conseil de la communication ; la constitution gabonaise en son titre V, septième partie : Conseil national de la communication ; et la constitution congolaise Titre XII : Du conseil supérieur de la liberté et de communication.
Une autre incohérence qui apparaît plutôt comme un recul par rapport au décret de 1991 ressort de la nouvelle organisation du Conseil. L’article 7 dispose que tous les membres du conseil sont nommés par le président de la République qui les « choisit parmi les personnalités de nationalité camerounaise reconnues pour leur intégrité, leur rectitude morale et leur expertise dans le domaine de la communication sociale ». Autrement dit, le choix des conseillers est laissé à la discrétion de l’autorité qui les nomme, alors que l’article 2 du décret de 1991 disposait que Le Conseil National de la Communication est composé ainsi qu'il suit:
- Président: une personnalité nommée pour trois ans par décret du président de la République;
- Autres membres titulaires:
- trois représentants élus des journalistes de la presse écrite;
- trois représentants élus de la presse audiovisuelle dont deux journalistes (radio, télévision, cinéma, photo);
- deux représentants élus des propriétaires de journaux, de librairies et d'imprimeries;
- un expert en droit de la communication;
- trois représentants des organisations religieuses choisis par leurs congrégations;
- deux représentants des organisations féminines;
- une personnalité du monde de la culture, des arts et des lettres jouissant d'une grande notoriété et d'une autorité morale affirmée;
- un représentant du ministère chargé de la Communication;
- un représentant du ministère des Relations Extérieures;
- un représentant du ministère de la Justice.
Nous ne pouvons que regretter cette volte-face qui témoigne de la volonté du pouvoir exécutif de garder la main mise sur l’exercice des libertés de communication. C’est aussi un reniement manifeste des opinions corporatistes et syndicales dans le choix de ceux-là qui doivent décider et réguler la liberté de communication en leurs lieux et places. Nous pouvons aussi émettre légitimement une réserve quand à l’indépendance et à l’impartialité des membres du conseil dont le mandat reste renouvelable une fois (article 8). Cette brèche est susceptible d’altérer leur impartialité et leur indépendance, car l’espérance de voir son mandat renouvelé peut mettre le conseiller sous pression. Ce dernier sera tenté de se contenter de plaire à l’autorité qui l’a nommé au lieu de faire montre d’audace et d’objectivité pour faire respecter le droit et défendre les libertés dont le Conseil, par sa voix, est le garant. Une réforme prenant en compte les opinions des différents corps professionnels de la communication dans le choix de leur représentant au conseil est souhaitable, de même que la limitation du mandat à un seul non renouvelable.
Tels sont les forces et les faiblesses du nouveau code de droit canonique de la communication que Mgr Joseph Befe Ateba est appelé à faire respecter. Il dispose, à cet effet, de suffisamment de pouvoirs lui autorisant à donner les coups de « crosse » aux mauvais élèves et à prononcer l’excommunication des impies et des pervertis. Espérons aussi qu’il saura user du talent d’orateur emphatique qu’on lui connaît pour affronter les hommes de pouvoir en leur rappelant le devoir de dire la vérité qui est la véritable garantie de la liberté ; tel que nous dit le Christ dans l’évangile de Jean : « vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre. ». L’exercice du droit fondamental de la liberté de communication ne prend tout son sens que lorsqu’il promeut la vérité et rien que la vérité, sans hyperbole ni diluant. Tout en gardant à l’esprit que « toute vérité n’est pas toujours bonne à dire ».

Achille Magloire Ngah

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