Les Comités d’auto vigilance, un mal nécessaire

M.KILDADI TAGUIEKE BOUKAR

M. Kildadi Taguieke Boukar, actuel secrétaire général des services du Gouverneur de la Région du Sud dresse un état des lieux des comités d’autodéfense dans l’arrondissement de Yaoundé II où il était sous-préfet jusqu’en fin 2012, au moment de l’interview.

De quand datent les comités d’autodéfense dans votre arrondissement ? Qu’est-ce qui a motivé leur mise en place ? Est-ce à titre préventif ou alors à titre défensif du fait d’un nombre élevé d’actes d’insécurité ?
Il n’y a pas très longtemps. Dans les années 1990, suite à la recrudescence du banditisme, les autorités administratives ont pensé à la mise en place de comités de vigilance. Il n’y a pas un texte organique qui encadre ces comités de vigilance. Il s’agit des arrangements d’ordre pratique de l’autorité administrative, des chefs de quartier, des Forces de maintien de l’ordre (FMO) que sont la police et la gendarmerie. Ces comités fonctionnent avec des fortunes diverses. Soit les membres des comités de vigilance dévient du rôle qu’ils doivent jouer, soit il y est recruté des bandits qui se retournent contre leurs propres frères et les spolient. Tout de même, c’est un mal nécessaire, étant donné qu’ils sont là pour surveiller leur quartier, identifier les individus suspects et les dénoncer.



Combien de comités d’autodéfense existe-t-il dans votre circonscription ? Comment se fait la délimitation des compétences ?
Tous les quartiers de Yaoundé II sont dotés de comités de vigilance.Mais ils font face au manque de moyens de travail (torches, manteaux contre les intempéries, bottes etc.)
Concernant la délimitation territoriale des compétences, les gens connaissent la limite de leurs quartiers (Madagascar, Tsinga, Carrière, Messa, Mbankolo, Ecole de police, Briqueterie, Mokolo…).

A quel niveau sécuritaire situez-vous votre circonscription de commandement vu que c’est dans cet arrondissement que se retrouvent le marché mokolo en particulier et les quartiers comme Briqueterie, Madagascar où de pistes propices à la criminalité  serpentent les habitations?
Vous avez tout à fait raison. Yaoundé II est l’arrondissement où l’insécurité est notable à cause de ce que beaucoup de quartiers sont criminogènes en l’occurrence Mokolo, Madagascar, Briqueterie et même Mbankolo où il y a beaucoup de bandits. Donc, la courbe de l’insécurité est importante.
C’est pourquoi nous sommes toujours en alerte et nous menons des opérations « coup de poing » pour infléchir cette recrudescence. Les autorités administratives et les FMO sont toujours interpelléesquand il s’agit d’insécurité dans notre unité administrative. Nous réussissons à maintenir, à maitriser cette insécurité grâce à l’action de l’autorité administrative et des forces de l’ordre qui patrouillent nuit et jour et qui quelques fois, mènent des opérations de bouclage dans ces quartiers sensibles.

Parlant des opérations « coup de poing » évoquées plus haut, est-ce qu’elles impliquent aussi les comités d’autodéfense ?

Ces opérations sont menées par les forces régulières. Mais, ces comités d’autodéfense sont mis à contribution dans le recueil des informations. Ils nous informent et c’est nous qui passons à l’action.Ils sont en réalité là pour aider les forces régulières, pour porter à l’attention de ces dernières des informations, identifier dans leurs quartiers les personnes suspectes, relayer au plus vite le renseignement et à charge pour nous d’aller traquer ces malfrats. C’est essentiellement leur rôle. Leur rôle n’est pas de procéder à des arrestations ou d’interpeller les individus. Mais en cas de flagrant délit, ils doivent se mobiliser pour maîtriser le bandit en question.

Il peut arriver qu’ils soient dans l’obligation d’intervenir en cas de flagrant délit, quelles sont les armes qu’ils peuvent utiliser à cette fin ?

Ils ont des bâtons pour pouvoir se défendre en cas de flagrant délit. Mais ils ne sont pas armés.Ils doivent œuvrer à immobiliser le délinquant ou le bandit par tous les moyens, à bloquer ou à retenir le bandit jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre…

Quelle est la source de financement de ces comités de vigilance car s’ils doivent disposer des bâtons, torches et autres pour travailler, il faudrait acheter ce matériel ? Les moyens dont ils disposent sont-ils suffisants ?
Ce sont les habitants et les forces vives des quartiers eux-mêmes qui sont chargés de fournir les moyens de travail à ces membres des comités de vigilance. Mais souvent, les mairies sont mises à contribution pour aider à l’entretien de ces derniers.
Ces moyens ne sont jamais suffisants. La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Mais nous comptons beaucoup plus sur leur courage et leur engagement pour mener à bien les missions qui leur sont dévolues.

Ont-ils une motivation particulière ou fonctionnent-ils de façon purement volontaire ?
Ils vivent des subsides que les élites et les habitants auront collectés. Par exemple au quartier Emana, ils ont 28000 frs par mois donnés par les habitants. Et puis, quand j’étais à Ngaoundéré, j’envoyais près de3000 frs par mois. On cotise et on leur remet chaque mois. Ils ont quand même de petits traitements.
Mais, dans certains quartiers ailleurs, il n’y a rien. A Yaoundé II, je ne connais pas l’exemple d’un quartier qui paie les comités de vigilance. Certains membres des comités d’autodéfense ont des occupations autres.
Il y en a qui travaillent  dans des  sociétés de la place.

Comment fonctionnent les comités d’autodéfense au quotidien ?
Les bandits n’ont pas un temps fixe, ils peuvent opérer à tout moment. C’est généralement de nuit que les enfants se déploient dans le quartier. Pour autant, dans la journée, ils ne ferment pas l’œil.

Est-ce que les populations de Yaoundé II adhèrent à l’idée de l’existence des comités d’autodéfense ? Collaborent-elles avec ceux qui existent ?
Oui, les populations de Yaoundé II font des réclamations pour que ces comités de vigilance soient formés et installés. Elles les réclament de tous leurs vœux.Elles collaborent avec ceux qui existent. Leur présence est dissuasive. Ce qui limite le taux de banditisme. Toutefois, il faut relativiser leur rendement.

Est-ce que vous faites confiance, vous, en tant que Sous-préfet, aux membres des comités d’autodéfense ?

Comme je l’ai dit, il faut relativiser parce que, parmi eux, il y a des brebis galeuses qui rament à contre-courant et qui souvent, se transforment en bourreau de leur population. Confiance à 100%, cela n’existe pas. Mais, c’est un mal nécessaire, il faut faire avec.Cependant, chaque fois qu’il y a cas d’indélicatesse, nous remplaçons le comité, ou alors nous interdisons jusqu’à ce qu’on ait de nouvelles personnes. C’est-à-dire on annule quand les résultats ne sont pas probants ou ne sont pas bons ; nous mettons un terme à l’existence de ces comités de vigilance dans un quartier donné. C’est la sanction régulière que nous infligeons.

Parlant du recrutement, les membres des comités sont-ils nécessairement les habitants de ces quartiers ? Comment se passe la procédure de recrutement et quels en sont les critères?
Oui, il s’agit effectivement des personnes habitant les quartiers car ils connaissent mieux leur quartier, ils connaissent les routes et les chemins qui peuvent permettre aux voleurs d’opérer.Parlant de la procédure de recrutement, elle débute au niveau du quartier. Les personnes à recruter doivent être sérieuses, honnêtes, disponibles, dévouées, n’avoir jamais été condamnées, être un citoyen civique. Bref, les gens se connaissent. La liste à constituer doit contenir les noms et prénoms, le numéro de la Carte nationale d’identité, la localisation du domicile. Lorsqu’une fois constituée avec le concours du chef du quartier, la liste est apportée au sous-préfet qui ouvre un registre aux fins d’enregistrement. Ladite liste est signée par le sous-préfet et le commandant de Brigade. Il est alors remis un badge aux différents membres du groupe d’autodéfense.

Qu’en-est-il de leur identité ou n’est-il pas nécessaire de cacher leur identité comme par exemple lors des cérémonies de présentation ?
Leur identification est faite dans nos bureaux. Lors de l’installation, on les présente sans toutefois donner leurs coordonnées, leur filiation. On leur demande de s’aligner et on les dévisage pour que les populations honnêtes les reconnaissent comme membres du comité de vigilance et leur apporte leur collaboration. Il leur est prodigué des conseils d’ordre général par le sous-préfet, et les conseils d’ordre technique par les forces de maintien de l’ordre (commandant de brigade notamment). Il n’est pas question de donner davantage d’informations sur leurs identités.Lors de l’installation, les forces de maintien de l’ordre leur remettent les coordonnées (téléphone fixe, portables et autres, moyens de relais rapide) entre les différents comités de vigilance et les forces de l’ordre.

A votre connaissance, est-il déjà survenu des conflits entre les forces de maintien de l’ordre et les comités de vigilance ?
Il y a des cas de dérapages qui surviennent lorsque ces comités de défense se retrouvent dans un rôle qui n’est pas le leur, comme par exemple, à vouloir interpeller le citoyen, à vouloir identifier un citoyen comme le fait la police ou la gendarmerie. Suite à ces dérapages, il y a toujours des conflits de compétences entre les forces régulières et les membres des comités de vigilance.

Ces comités sont-ils formés en matière de respect des droits de l’homme ? Quelle devrait être leur réaction face à un cas de justice populaire par exemple ?
Absolument. Ils doivent savoir gérer les libertés publiques et l’ordre public.
En cas de justice populaire, ils doivent œuvrer à éviter leur survenance. Ils doivent immobiliser le bandit en vue de le protéger contre l’attaque des populations qui veulent appliquer la justice populaire.

Propos recueillis par Ranece Jovial Ndjeudja Petkeu


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