Fiscalité : « 50 ans de fiscalité pétrolière au Cameroun : que retenir ? »

Par Stéphane ESSAGA, Inspecteur Principal des Impôts

Membre de la Commission de Négociation des Contrats Pétroliers et Gaziers du Cameroun

Un anniversaire peut en cacher un autre, surtout si le second ne se prête pas aux fastes des cérémonies entourant sa célébration. Ainsi en est-il de la vie juridique, notamment de la fiscalité, perçue qu’elle est comme une discipline essentiellement liée à l’immédiateté, la palpabilité, et l’applicabilité. Or marquer un  temps d’arrêt sur l’évolution de la vie fiscale permet de s’interroger sur l’itinéraire tracé, le sens des textes, et la constance ou non des options de politique fiscale.

Le cinquantenaire de la fiscalité pétrolière au Cameroun en est une expérimentation à la fois saisissante et parlante. Pourquoi cinquantenaire ? La prise en charge fiscale des ressources minières en général débute par la  loi n° 64 – LF-4 du 6 avril 1964 fixant l’assiette, les taux et mode de recouvrement des droits fixes, redevances et taxes minières, et a connu une structuration progressive jusque dans les années 2010, soit une cinquantaine d’années après. Un point sur les ambitions politiques et stratégiques des pouvoirs publics sur la juste répartition de ces ressources s’avère alors pertinent, les perspectives de leur développement étant prometteuses.

L’analyse diachronique de l’ensemble des textes y relatifs dégage une triple dynamique, qui peut alors être caractérisée par trois moments : celui de la structuration, celui de l’universalisation, et enfin celui de la consolidation.

Le temps de la structuration du système : l’exigence de la construction

Les lois n° 64 - LF-4 du 6 avril 1964 fixant l’assiette, les taux et mode de recouvrement des droits fixes, redevances et taxes minières, et n°78/ 24 du 29 décembre 1978 fixant l’assiette, les taux et mode de recouvrement des droits fixes, redevances et taxes minières encore appelées lois « minières » fixent les grands principes en termes de fiscalité pétrolière dans notre pays.

Ces lois constituent les fondements du système fiscal camerounais en matière pétrolière.  En effet, le taux de l’impôt sur les sociétés, le champ des exonérations des taxes  (IRCM et TVA notamment), les principes du prix affiché et de la stabilité fiscale, y sont tous clairement édictés.

De plus, l’habilitation des parties (Etat et entreprises privées étrangères) à signer des contrats qui arrêtent certaines règles fiscales particulières (taux spécifique, règles de détermination de base)  est énoncée par l’article 44 de la loi de 1964. C’est la naissance de la combinaison entre la loi comme source principale d’édiction de la règle fiscale, et les contrats comme source d’application particulière, qui est un système d’encadrement particulier à ce secteur d’activités.

Après ces bases fondamentales, il y eut une stabilité de régime jusque dans le début des années 90, où une logique interventionniste est enclenchée par les pouvoirs publics. En effet, en matière pétrolière amont, deux principaux leviers permettent de contenir le déclin de la production pétrolière : le renouvellement des réserves et les investissements. Or ces deux différents moyens ont pour point commun la recherche pétrolière, matérialisée prosaïquement par les forages pétroliers, nonobstant des moyens de plus en plus sophistiqués et au demeurant préalables que sont les études diverses (sismiques, géochimiques, biostratigraphiques et barythmétriques ) permettant de mettre en évidence des réserves pétrolières.

Dans une dynamique résolue de promotion du domaine minier national et de lutte contre le déclin de la production pétrolière locale, les pouvoirs publics ont pris des mesures fiscales exceptionnellement avantageuses tant en phase de recherche pure que d’exploitation. Quatre lois successives prises en moins d’une décennie structurent alors ce volontarisme législatif :

- La loi n°91/108 du 12 décembre 1991 relative aux mesures particulières d’incitation en vue de la promotion des activités de recherche et de production des hydrocarbures dans le bassin de Douala.

Pour la première fois, une loi visant une zone pétrolière particulière (article 2) est promulguée, avec des incitations fiscales elles-mêmes particulièrement bien encadrées. Il s’agit de l’exonération de la taxe spéciale sur les revenus sur les prestations de service, assistance, location d’équipement et de matériel                        (article 4 et 5) et de la déductibilité de toutes ces dépenses de l’impôt sur les sociétés (article 5 alinéa 3). C’est le début d’une législation chirurgicale dont le champ spatial et les règles d’application se veulent le plus précis possible.

- La loi n°95/13 du 08 août 1995 fixant les mesures particulières pour la promotion des activités de production des hydrocarbures liquides des champs marginaux dans le domaine minier national.

Ce texte est le deuxième dont le champ d’application est partiel, ne concernant que les champs « marginaux », dont la définition est clarifiée d’entrée de jeu : ceux dont le volume des réserves récupérables d’hydrocarbures liquides ou de condensats estimé avant le développement est inférieur ou égal à trois millions de tonnes métriques ou vingt millions de barils (article 2). Les avantages fiscaux sont aménagés différemment au regard de la loi précédente. En premier lieu, il ne s’agit ici que d’une habilitation contractuelle générale : l’Etat est autorisé à accorder aux sociétés détentrices de titres miniers des mesures particulières en vue de la promotion des activités dans ces champs particuliers, ceci par la voie d’avenants aux conventions d’établissement initialement signées. (article 5).

En second lieu, les avantages dont il s’agit concernent uniquement des éléments caractéristiques de gestion : les produits et les charges, et non d’impôt indirect ou dont seraient redevables leurs fournisseurs (TSR) ou promoteurs (IRCM).

Sont alors possibles désormais des règles de partage de la production plus favorables pour les investisseurs, ainsi que de récupération plus rapide de leurs investissements par le moyen d’amortissements accélérés (article 6).

- La loi n°95/14 du 08 août 1995 relative à la tenue de la comptabilité des sociétés pétrolières en dollars des Etats Unis d’Amérique.

En vertu de cette loi, les sociétés pétrolières effectuant des activités de recherche, d’exploration et de production au Cameroun sont autorisées à tenir leur comptabilité en dollars des Etats Unis d’Amérique et à libeller leur capital social en cette monnaie (article 1er). Il s’est agi alors de réduire le risque monétaire constitué par la parité entre devises étrangères et monnaie locale, pour des entreprises dont l’essentiel des opérations tant d’achat de biens et services que de ventes s’effectue en dollars américain.

- la loi n°98/003 du 14 avril relative aux mesures fiscales particulières en matière de recherche des hydrocarbures sur le domaine minier national.

Cette quatrième loi de libéralisation a une double fonction. Elle généralise  à tout le domaine minier national tant l’exonération de la taxe spéciale sur les revenus de toutes les prestations de recherche et de développement effectuées tant par l’opérateur que ses sous-traitants (article 12), que les modes avantageux de partage de production ainsi que de récupération des coûts  réservés initialement  aux champs marginaux en vertu de la loi n°95/13 sus évoquée (articles 7 à 10).

Ensuite, elle consacre la déductibilité fiscale des dépenses d’exploration sèches (article 15 alinéa 3), à la double condition de la réalisation d’un audit desdites dépenses par l’Etat avant la déclaration fiscale d’une part (article 5) et de la définition conjointe d’un calendrier de récupération qui ne peut être inférieur à deux ans d’autre part (article 15 alinéa 2).

Le temps de l’universalisation du système : l’exigence de l’attraction

Le système fiscal ainsi structuré a été jugé très complexe par les investisseurs, et donc susceptible de constituer un blocage en soi dans la dynamique effrénée de recherche des investisseurs. La généralisation en Afrique des codes pétroliers qui avait débuté dans les débuts des années 90 a connu un écho dans notre pays par la promulgation de la loi n°99/013 du 22 décembre 1999 portant Code Pétrolier au Cameroun.

Les Codes Pétroliers constituent un gisement d’informations à haute portée heuristique. En effet, les codes pétroliers symbolisent à la fois l’autonomisation du droit pétrolier vis-à-vis du droit minier, mais aussi et surtout traduisent l’arrimage des Etats qui les importent comme technologie juridique à la mondialisation. Autrement dit,  les Codes Pétroliers  sont à la fois des instruments juridiques mais aussi des outils de marketing et de communication internationale, décisifs dans l’appréciation de la citoyenneté internationale des Etats. Il s’agit de véritables instruments d’information sur la politique pétrolière des Etats, et sont par voie de conséquence fortement harmonisés par le jeu de la concurrence inter-étatique.

En ce qui concerne la fiscalité pétrolière, le nouveau Code Pétrolier promulgué en décembre 1999 vient introduire une simplification fondamentale  du régime pétrolier qui prévoit désormais de façon nette, le contrat de partage de production et le contrat de concession, au choix des sociétés. Comme dans le passé, les sociétés intervenantes bénéficient d’abattements dégressifs des droits de douanes, commençant par 100% lors de la période d’exploration. Les exonérations classiques de taxe sur la valeur ajoutée et d’impôt sur les revenus des capitaux mobiliers y sont reconduites, ainsi que de droits d’enregistrement.

Un autre marqueur de la mondialisation du régime fiscal consacrée par ce code pétrolier est le large spectre des règles fiscales devant être arrêtées de façon contractuelle. Ces marges de négociation sont essentiellement aménagées en matières d’impôt sur les sociétés. Ainsi les parties sont-elles libres de choisir certaines règles de détermination de la base d’imposition à cet impôt important, notamment :

-la fraction raisonnable des dépenses administratives du siège social de l’entreprise à l’étranger pouvant être imputée aux opérations pétrolières sur le territoire (article 95 alinéa b ).

- les taux d’amortissements portés en comptabilité par l’entreprise, y compris les amortissements qui auraient été différés au cours d’exercices antérieurs déficitaires  (article 95 alinéa b) ;

- les provisions pour abandon de gisements, constituées pour l’abandon de des gisements, constituée conformément à la réglementation en vigueur, mais aussi par le contrat pétrolier (article 95 alinéa f).

Cerise sur le gâteau, même le taux de l’impôt sur les sociétés applicable aux revenus tirés des opérations de Recherche et d’Exploitation est fixé par le contrat pétrolier (article 96 alinéa f), dans une tranche comprise entre le taux de droit commun et 50%.

L’universalisation du régime fiscal consacrée par le Code Pétrolier de décembre 1999 a ainsi constitué une suite logique de la dynamique d’attraction enclenchée par les pouvoirs publics, tout en imposant une superposition de régimes fiscaux qui constitue un défi administratif particulier.

Le temps de la consolidation : l’exigence de l’actualisation

Après ces phases de structuration et d’universalisation qui cohabitent durablement dans le paysage pétrolier camerounais, l’Administration fiscale a dû entamer une actualisation de certains de ces volets fiscaux, par les outils législatifs à sa disposition.

C’est ainsi que les droits fixes et redevances superficiaires qui dans leurs indices dataient de 1978 ont été revalorisés par le décret n° 2002/032/PM du 03 janvier 2002 fixant l’assiette et les modalités de recouvrement des droits et redevances superficiaires applicables aux hydrocarbures. Il s’agissait au regard tant de l’évolution du coût de la vie que de l’intérêt croissant des opérateurs privés pour notre pays d’ajuster ces droits de façon substantielle sans être  prohibitifs ou désincitatifs.

Après, deux compléments au régime des exonérations de la TVA ont été initiés par la voie des lois de finance :

- Il a été précisé que les exonérations contenues dans les contrats pétroliers entre autres sont réputées intégrées dans le dispositif légal constitué par les lois de finances. Il s’est clairement agi de re-sourcer ces exonérations dans la loi, instrument constitutionnel d’édiction de la norme fiscale. En fait, ce mécanisme de légitimation de ces exonérations rentraient en droit ligne du souci permanent de contrôler la dépense fiscale ;

- Par la loi des finances de 2010 (article 147), les opérations dispensées de TVA dans le cadre des contrats pétroliers (entre autres) figurent désormais au numérateur du calcul du prorata de déduction.

Au total, la dynamique législative en matière de fiscalité pétrolière amont trace un itinéraire à la fois progressif et constant. Il s’est toujours agi de préserver le caractère incitatif de notre fiscalité, de façon à la fois autonome mais aussi sous l’influence de l’idéologie libérale internationale. L’Administration fiscale, dans son rôle d’agent séculier de l’Etat, a récemment complété le régime fiscal de ces entreprises, qui de facto est à la fois constitué de lois spéciales, des contrats et désormais des lois de finances de la République.

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