AFFAIRE FRANCK BIYA : Quelle place pour le droit ?

Franck Emmanuel Biya, Président du Conseil d’Administration de la société AFRIONE et par ailleurs  fils ainé du Président de la République Camerounais, est indexé depuis le 12 novembre 2012  par le groupe « Alliance pour la Défense du Bien Public », comme l’auteur d’une spéculation illicite sur les titres de dette de l’Etat à hauteur de près de 80 milliards de FCFA. A l’analyse des faits, le droit a-t-il été respecté ?

Dans son numéro 506  en date du 12 décembre 2012, l’hebdomadaire l’Œil du Sahel s’est fait l’écho d’une lettre de l’ « Alliance pour la Défense du Bien Public », qui serait un collectif d’ONG. Selon le journal, le fils du chef de l’Etat aurait, en complicité avec les directeurs généraux de la Cameroon télécommunications (CAMTEL) et de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), encaissé sur la base d’une spéculation frauduleuse opérée sur les titres du trésor, près de 100 milliards de francs Cfa.

Les faits

En 2005, l’Etat camerounais et la Cameroon Telecomunications (CAMTEL) sous la direction générale de Monsieur David Nkoto Emane sont débiteurs et créanciers réciproques. L’Etat se retrouve débiteur de la CAMTEL à hauteur de 80,7milliards de FCFA suite à une compensation de dettes réciproques. Pour payer cette dette, l’Etat emploie deux moyens. Il paye cash à la CAMTEL près de 24 milliards d’une part et d’autre part, il titrise 56, 7 milliards. Titriser une dette, c’est la transformer  en titres. Un titre, c’est un document papier ou dématérialisé et circulant en écriture comptable, qui constate un droit ; il peut par exemple s’agir soit d’une action [titre qui constate la part qu’une personne possède dans le capital d’une société], d’une obligation [titre qui constate la dette d’une société ou d’une personne morale publique envers une personne] ou d’un bon du trésor [ titre de créance émise par l’Etat]. Dans l’espèce, les titres sont des Obligations du Trésor à coupons Zéro (OTZ), il s’agit de titre de dette émis par l’Etat et dont les intérêts ne sont versés qu’à l’échéance ou terme convenu.                                                                        Avec cette titrisation, la dette de 56,7 milliards se transforme en 56 700 titres OTZ d’une valeur de 1million de FCFA chacun.

Entre septembre 2005 et août 2006,  la CAMTEL  vend 21 300 de ces OTZ et donne en gage les 35 400 restants pour un emprunt. Ce gage appelé également nantissement est  divisé entre deux institutions financières,  comme suit 1000 titres pour la Commercial Bank of Cameroon (CBC) et 34400 titres pour la Société Financière Africaine (SFA) qui est une filiale de la CBC.

En août 2006, la CAMTEL rembourse avant le délai fixé, ses dettes contractées  auprès de la CBC et la SFA. Ses titres lui sont donc remis. Parmi ces titres remis, CAMTEL en cède 9400 à AFRIONE dont le PCA est M. Franck Emmanuel Biya. Ces 9400 titres OTZ ont une valeur de 9,4 milliards. Mais, la CAMTEL les cède à 3,5 milliards.

En fait, ce sont les mêmes titres que l’Etat doit à la CAMTEL que la CAMTEL a vendu AFRIONE. Donc cette dernière est créancière de l’Etat sur ces titres. AFRIONE doit donc réclamer sa dette de 9,5 milliards à l’Etat dont l’ordonnateur est le Ministère des Finances et le payeur est la Caisse Autonome d’Amortissement  (CAA),  avec pour Directeur général à l’époque M. Evou Mekou. Cette dette de  9,5 milliards qui allait, si elle atteignait son terme 2014, se muer en 12,2 milliards avec les intérêts de 3%.

La dette n’atteint pas son terme, car AFRIONE demande le paiement anticipé en octobre 2006. Et parce que le terme n’est pas atteint, AFRIONE renonce aux intérêts et consent une décote ou réduction de 30% du prix d’un titre, c'est-à-dire, le titre ne vaut plus 1 million mais 700. 000 FCFA. La société de M. Franck Biya encaisse 6,5 milliards de FCFA.

L’« Alliance pour la Défense du Bien Public », convoque l’argument selon lequel, ayant investi 3,5 milliards, AFRIONE a revendu les titres à 6,5 milliards et a donc gagné 3 milliards de F.CFA. Mais pour être répréhensible, la spéculation (qui est le fait de profiter d’un marché pour gagner de l’argent à court terme en assumant les risques y afférents) doit être illicite.

Y a-t-il eu illicéité au regard des faits ?

Le droit :

Sur les OTZ : Au sens du  décret94/611/PM du 30 décembre 1994 modifié par le décret n° 2004/1930/ PM du 29 octobre 2004  portant réglementation de l'Emission et de la Gestion des Effets Publics Négociables, les dettes de l’Etat à l’égard de ses créanciers autres que les établissements de crédit et entreprises d’assurance peuvent donner lieu à l’émission des OTZ dont la maturité est située entre 2 et 12 ans. Dans l’espèce la maturité des OTZ était de 10 ans, il n’y a pas d’illicéité à constater sur ce point. Sur le point de la négociation de gré à gré des OTZ, il faut souligner que le décret sus évoqué pose à l’article 2 que l’effet public négociable peut être librement négocié sur un marché monétaire ou financier. Il apparaît opportun d’y voir non pas une obligation  de négocier les titres publics sur le marché boursier mais plutôt une faculté laissée aux parties.

Sur le délit d’initié : l’article 36.de la loi n° 99/015 du 22 décembre  1999 portant création et organisation du marché financier camerounais stipule que « constitue un délit d’initié et puni d’un emprisonnement de six (6) mois à deux ans et d’une amende d’un (1) à dix millions (10.000.000) de francs CFA le fait :

•  Pour des dirigeants d’une société commerciale ou industrielle et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les valeurs mobilières sont négociées sur le marché , de réaliser ou de permettre sciemment de réaliser, directement ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations et avec pour but de réaliser un profit indu ;

• Pour toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de sa profession ou de ses fonctions, d'informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les valeurs mobilières sont négociées sur un marché, de les communiquer à un tiers en dehors du  cadre normal de sa profession ou de ses fonctions et avec pour but de réaliser un profit indu. »

Il est fait le reproche à la société AFRIONE d’avoir su avant tout le monde et d’avoir obtenu les titres CAMTEL avant et sans que le public n’en soit informé par les voies adéquates. Face au vide juridique existant sur la question, il est difficile de déterminer les moyens d’information du public. Les éléments matériels et psychologiques du délit d’initié ne semblent  pas réunis dans l’espèce. Le PCA d’AFRIONE, a certes agi dans le cadre de sa fonction, cela  peut être avant que le public ait connaissance des informations, et dans le but de réaliser un profit. Mais ce profit est-il indu ? On peut en douter. Les OTZ  n’étaient pas réalisés spécifiquement  sur le marché de la Douala Stock Exchange, l’applicabilité de l’article 36 précité reste donc difficile.

Sur la spéculation : la spéculation qui est le fait de prendre des risques sur un marché donné afin de gagner de l’argent à très court terme, n’est pas règlementée au Cameroun. Cependant, de manière générale, la spéculation n’est pas répréhensible en soi, sauf  lorsqu’elle est accompagnée d’illicéité, tel que des subornations, des faux et usage de faux. Par conséquent, si dans l’espèce des faits illicites ont entouré les négociations de quelque manière qu’il soit, alors il peut y avoir matière à répression.

Sur le trafic d’influence : il est fait le reproche au PCA AFRIONE d’avoir usé de son statut familial et de sa proximité avec le DG de la CAMTEL et du ministre des Finances pour évincer la SFA dans l’acquisition des titres CAMTEL. Le décret de 1994 sus évoqué, ne précise pas les conditions de diffusion dans le public des titres publics. Il appartient donc à une juridiction, sur la base d’éléments concrets, d’examiner cet aspect de la question.

En fait, c’est le décret n° 2007/0457/PM du 4 avril 2007 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°94/611/pm du 30 décembre 1994 portant réglementation de l’émission et de la gestion des Effets Publics Négociables qui pose dans son article 3 que :  « le  placement  des  obligations  du  trésor  à  coupon  zéro,  à  l’exception  des  titres  matérialisés relatifs à la dette salariale de l’Etat est effectué sur un compartiment spécifique de l’Entreprise de Marché ». Or, les faits qui datent de 2005, ne peuvent pas se voir appliquer ce décret de 2007.

Par conséquent même si, un besoin d’éclaircissement se fait ressentir dans la structuration du droit des marchés financiers, dans l’espèce, le droit n’aurait pas, à priori et au vu de cette analyse, été foulé aux pieds !

Willy Zogo

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