DISCOURS

La leçon inaugurale d’Alexis Dipanda Mouelle

 

Aller au-delà de la simple application des règles de droit ; intégrer droit et équité, conscience et humanisme. Telles sont quelques unes des recommandations du président de la Cour Suprême lors de l’audience solennelle du 26 août dernier.

L’art de juger s’est décliné de plusieurs manières en fonction des époques et des pays. Dans la tradition gréco-romaine, les hommes ont été jugés selon la loi du Talion « Œil pour œil, dent pour dent », il y a eu le fait de livrer le coupable à la famille de la victime,  puis « le prix du sang » en guise de réparation,  ou justice dite populaire qui se pratique encore de nos jours, dans la rue, pour évoluer vers des formes de justice moderne qui prennent en compte la dimension humaine du coupable (présomption d’innocence, égalité pour tous devant la loi, et de son corollaire , l’égalité des armes, prohibition de la violation des droits de l’homme).

Plusieurs instruments juridiques tels que la Constitution, et différentes autres chartes et conventions modernes s’en font l’écho.

M. Alexis Dipanda Mouelle pose le problème épineux de la difficulté  de juger. Pour le magistrat, « Juger est un art qui s’apprend par l’expérience et se transmet par l’exemple, sans qu’il soit nécessaire de l’expliquer et de le conceptualiser, le vécu du juge étant d’une grande complexité ».

Perfection

 

Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour tutoyer la perfection dans l’art de juger : le juge doit d’abord examiner la forme (modes et méthodes de la saisine des juridictions, leur compétence, délais prévus pour ester en justice, délais prévus pour exercer les voies de recours, délais prévus pour déposer les actes de procédures, heures prescrites pour faire des perquisitions dans un domicile etc.), avant de trancher sur le fond.

Le préambule de la Constitution camerounaise dispose à cet effet : « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas et selon les formes déterminées par la loi ». Ainsi, « les lois de la forme, à l’instar de celles portant Code de procédure pénale s’imposent à tous, y compris à l’Etat, en particulier à un Etat de Droit comme le nôtre ».

Ensuite, maîtriser les faits : c’est-à-dire leur évaluation, leur exactitude. Cette seconde partie de la même opération sollicite toute la dextérité de son jugement : à l’inverse du journaliste, le juge n’était pas sur les lieux du drame, ou de l’action. Il a donc recours à des mécanismes procéduraux : audition, enquête, expertise, reconstitution des faits etc.  Quand il a pu tirer la vérité judiciaire, il passe à l’étape suivante qui consiste en la qualification des faits. Cette opération consiste à faire entrer un ou plusieurs éléments dans une catégorie juridique donnée. Le juge doit donc être capable de dire des faits qu’ils sont constitutifs de telle infraction plutôt que telle autre, considérer qu’une faute est contractuelle et non délictuelle, qu’un acte est civil, commercial et non administratif pour en déterminer le droit applicable.

Le président de la Cour suprême précise que la qualification juridique des faits est subordonnée à l’interprétation des notions juridiques et transcende le syllogisme judiciaire qui repose sur la majeure qui est la loi générale, la mineure, l’acte conforme ou non conforme à la loi, la conclusion étant la relaxe, l’acquittement  ou la condamnation.

 

Doute

 

Cette incertitude laisse place à un autre paramètre qui entre en jeu dans l’art de juger : le doute. Il  s’agit ici d’un doute juridique, « un doute rationnel fondé sur le dépassement de la curiosité » qui se méfie des apparences, car « Un bon juge est celui qui doute ».

En outre, le juge peut être confronté à des cas de figure où il y a un vide juridique. Il doit à cet effet, participer à l’élaboration du droit pour la création de la jurisprudence. Voilà donc le juge dans le rôle du législateur, seulement dans les cas suivants: « la jurisprudence peut être applicative : quand elle se réfère à une règle de droit précise en harmonie avec la lax lata (la lettre de la loi) ; elle est complétive ou in fra legem (au dessous de la loi) lorsqu’elle contribue à préciser les conditions d’une règle plus générale qui n’a pas reçu des autorités légiférantes les précisions nécessaires ; elle est supplétive ou praeter legem (indépendamment de la loi) quand elle créé  des normes dans le domaine où la loi n’est pas encore intervenue ; elle est synthétique si elle s’attache à rendre compatible entre eux, des principes qui à priori ne le sont pas; elle est corrective, subversive ou passablement contra legem (contrairement à la loi) quand elle annule un texte  non conforme à un autre texte ou principe de rang supérieur dans la hiérarchie des normes ou encore lorsqu’elle donne d’une disposition législative une interprétation que le législateur n’avait pas prévue ». La jurisprudence est donc l’instance faitière de l’art de juger.

 

Décision

 

Elle en appelle une démarche intérieure. C’est le moment de la reconstitution avec la décision déterminante du juge. Le juge évolue comme dans un scénario dans lequel il est le seul interprète des différentes scènes. Rentrant tour à tour dans la peau du procureur, de l’avocat, de l’une ou l’autre des parties avant de jouer son propre rôle : celui de juge.

L’art de juger consiste  alors  à  concilier les règles de droit et la conscience humaine ; le jugement, voire la justice, l’équité et le respect des droits de l’homme, la paix sociale sont tributaires de l’intime conviction du juge.

L’art de juger consiste  à la fin à « faire avancer des idées, des doctrines, à élaborer la jurisprudence, bref à raffermir la science du droit » a conclu le Premier Président de la Cour Suprême à la fin de son réquisitoire.

Emilienne N. Soué

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