Gestion des forets d’Afrique centrale : Dr. Samuel Assembé Mvondo, juriste environnementaliste, chercheur au Centre International de la Recherche sur les Forêts (CIFOR).

« Les révisions en cours devraient intègrer la dimension de la tenure coutumière»

Le chercheur revient sur les recherches du CIFOR depuis sa création et, donne ses impressions sur la réforme forestière en cours au Cameroun.

Docteur, quelles sont les tâches assignées à un chercheur du Centre International de la Recherche sur les Forêts?

De par mon background académique, je suis juriste environnementaliste, donc mon rôle au CIFOR est d’analyser. Notamment, tous les aspects politiques, juridiques et un peu socio-économiques des problèmes qui se posent au niveau de la gestion des forêts ou au-delà des questions de tenure foncière et des ressources naturelles. Parmi lesquelles, les questions liées à la gestion des mines et celles de droits des populations locales et autochtones. Mais, il y aussi les questions politiques qui m’intéressent. Présentement, je m’occupe de la mise en place et de l’élaboration des politiques liées à la REDD  [Réduction des Emissions de gaz dues à la Déforestation et la Dégradation forestières ndlr], au Cameroun, en République Démocratique du Congo (RDC), en Tanzanie et au Burkina Faso.

Quel bilan pouvez-vous faire des activités du CIFOR en vingt (20) ans d’existence ?

A mon humble avis, et cela n’engage que moi, le bilan du CIFOR est positif. Puisque, on est parti de 1993 au sortir du Sommet de la Terre à Rio ; l’on a mis en place une institution pour essayer d’attaquer les problèmes qui se posaient en matière de gestion des forêts. Il fallait dans un premier temps, créer cette institution ; ce qui a été fait. Il fallait trouver un pays qui accepte d’héberger cette institution en voie de création; le gouvernement indonésien s’est porté garant et a accepté d’abriter le siège du CIFOR. Toutefois, il fallait que le CIFOR aille au-delà de l’Indonésie, ce qui a été fait. Dès 1996, l’institution s’est donc établie au Cameroun. D’abord par un projet de recherche qui, par la suite, est devenu le bureau régional. Le CIFOR s’est ainsi agrandi au niveau non seulement institutionnel, mais aussi à travers les ressources humaines. Le Centre compte aujourd’hui près de 400 personnes qui y travaillent, disséminées aussi bien au siège en Indonésie, qu’au bureau régional Afrique Centrale, qu’au bureau régional en Amérique Centrale, qu’au Brésil, qu’au Pérou, qu’en Zambie, qu’au Kenya et au Burkina Faso. Il y a également des chercheurs qui sont en Ethiopie et au Vietnam. Au niveau de la contribution du CIFOR à la recherche forestière, je peux dire que l’institution a marqué la recherche forestière de ces vingt dernières années. Notamment par l’élaboration des principes de critères indicateurs de la gestion durable des forêts. On ne peut pas parler de la gestion forestière aujourd’hui sans mentionner les travaux menés à l’intérieur du CIFOR, que ce soient les critères indicateurs de la gestion durable des forêts, ou la contribution des forêts à la réduction de la pauvreté, à travers l’économie des produits forestiers non ligneux. Maintenant, avec l’arrivée des questions de gouvernance forestière, principalement la mise en œuvre des  lois forestières, le CIFOR contribue à travers ses recherches et ses analyses, à la bonne gestion des forêts au niveau global et dans notre sous-région.

Vous parlez des recherches forestières auxquelles le CIFOR participe, de quoi s’agit-il concrètement?

D’abord pour clarifier, le CIFOR est l’une des 15 institutions qui font partie du Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale (CGIAR). C’est le 15ème centre créé par le groupe consultatif qui, s’est toujours focalisé sur les questions agricoles. Donc, au sortir du Sommet de Rio, il y avait une nécessité de mettre en place une institution de recherche internationale qui se focalise dans les questions de la gestion des forêts. C’est ainsi que le CIFOR a été créé.  Notre institution,  à travers ses recherches doit alimenter la bonne gestion des forêts et la contribution des forêts aux économies et aussi aux questions socio-économiques qui se posent au monde rural ; tel est le mandat du CIFOR. Ceci se fait à travers plusieurs programmes de recherches. Il y a des programmes qui s’occupent des questions biophysiques, notamment le programme sur les services environnementaux. Il y a un programme qui ne s’occupe que des questions de gouvernance forestière ; il y a une direction de recherche qui s’occupe des questions de « livelyhood », c’est-à-dire  des questions de bien-être des populations, des questions économiques liées à la gestion forestière. Voila à peu près les grandes orientations de recherche au sein du CIFOR. On fait des analyses qui tiennent comptent des autres sciences, pour résoudre des questions qui se posent à l’intérieur des forêts. Par exemple, je fais partie de la direction gouvernance forestière, mais je travaille avec des  biophysiciens notamment, des forestiers purs et durs, des écologues, des anthropologues et des économistes pour faire des analyses.

Présentement en termes de recherche, à l’intérieur du programme gouvernance forestière, nous avons des projets de recherche qui s’occupent par exemple de l’exploitation forestière artisanale, dans les pays du bassin du Congo, en Indonésie et en Amérique latine. Quel est l’impact que l’exploitation artisanale des bois pourrait avoir au niveau de la mise en œuvre des accords de partenariats volontaires (APV/FLEGT) entre le  Cameroun et l’Union Européenne. Le CIFOR a mis en œuvre ce projet afin de quantifier l’importance des marchés domestiques de l’exploitation artisanale. Est-ce qu’il est possible que ces marchés impactent sur le commerce international du bois ? De quelle manière ? Et quels sont les effets socio-économiques de cette filière ? Il y a d’autres projets qui sont liés à la question brûlante des changements climatiques. C’est le cas des questions d’adaptation et d’atténuation à ces  changements climatiques.

Vous affirmez vous soucier du bien-être des populations. Dès lors, quel est l’impact de vos recherches sur ces dernières ? Sont-elles plus en sécurité maintenant que le CIFOR existe ?

Il faudrait au préalable dire que le mandat du CIFOR  n’est pas de résoudre directement les problèmes que rencontrent les populations en milieu rural. Il s’agit plutôt d’alimenter les débats et aussi les interventions des gouvernements mais aussi de la coopération internationale, en leur fournissant des analyses qui leur permettent de mieux s’orienter. Nos recherches permettent plutôt d’orienter les interventions des décideurs en milieu rural. Mais, il n’est pas interdit au chercheur du CIFOR, lorsqu’il travaille en milieu rural, de donner des conseils directement aux populations locales, en leur apportant des informations bien précises. Je vais vous prendre le cas concret des collègues qui travaillent dans les questions des produits forestiers non ligneux, étant donné qu’on a des banques de données qui permettent de savoir quels sont les prix des différents marchés. Tel est le cas des grands marchés en matière de produits forestiers non ligneux comme celui de Douala. Nos chercheurs, quand ils sont de passage dans les villages, sont en mesure de donner les prix par exemple du Safou, du Djansan, de l’Okok. En donnant ces prix, ils peuvent dire à ces populations quels sont les  moyens à pendre pour atteindre ces marches-là. En fait, le CIFOR n’est pas une agence de développement, on ne doit pas aller au-delà de notre mandat qui  consiste à identifier les problèmes, les analyser et donner des recommandations. L’institution ne devrait pas  aller au-delà de sa mission qui est essentielle parce qu’il y a des  agences beaucoup plus appropriées en matière d’intervention pour résoudre  les problèmes en milieu rural.

Quels sont les projets que le CIFOR a déjà eu à mener au Cameroun depuis 1996 ?

Depuis 1996, le CIFOR a travaillé dans un premier temps sur les textes des principes-critères indicateurs de la gestion durable de forêts. C’était l’un des deux pays choisis en Afrique pour participer à l’élaboration de ces textes, après la Côte d’Ivoire il y a eu le Cameroun. Il faut aussi mentionner le travail qui a été fait en matière de  produit de la recherche sur le lien entre les produits forestiers non ligneux, les économies en milieu rural et le bien-être des populations. C’est dans ce cadre que des études de marché ont été menées de la frontière avec le Gabon jusqu’à la frontière avec le Nigéria, où l’on a identifié les marchés-clés et essayé d’étudier les fluctuations des prix selon les saisons et la disponibilité des produits forestiers non ligneux. Ce travail qui s’est fait en collaboration avec la FAO [Foods and Agriculture Organisation], fait l’objet de plusieurs publications et, on a été identifié à un moment donné comme une agence qui  participait à une meilleure connaissance des produits forestiers non ligneux mais aussi, leur contribution à l’économie nationale ici dans la sous-région. Par la suite, on a commencé au CIFOR dès 2000-2001, un programme sur la cogestion des forêts au Cameroun. La cogestion ici, s’entend comme  une gestion multi-acteurs autour d’un espace forestier ; on retrouve l’Etat, les populations riveraines, les organisations non gouvernementales et plusieurs autres acteurs, pour essayer de résoudre les problèmes qui se posent dans un site forestier. L’autre volet de ce travail sur la cogestion, a consisté à faire une analyse sur la décentralisation des ressources forestières. Et dans le cadre de ce projet, on a étudié notamment, les questions liées à la mise en place des forêts communales, des forêts communautaires et aussi la redevance forestière au Cameroun. Dès 2005, le CIFOR a travaillé sur d’autres problématiques parmi lesquelles, celles sur le programme de gouvernance qui sont focalisés beaucoup plus sur des questions liées  à l’exploitation illégale des forêts. Il était question d’essayer d’étudier la filière, afin de minimiser les chiffres qui apparaissent au niveau de l’opinion publique en disant que l’exploitation forestière au Cameroun se fait de manière illégale. Depuis 2010, on s’est focalisé sur la question des impacts socio-économiques et écologiques des investissements chinois dans la sous-région. Vous savez qu’à travers la presse, notamment, celle occidentale, on lit un certain nombre de choses sur les entreprises chinoises en Afrique. Dès lors, il fallait à un moment donné, essayer de clarifier ces déclarations et, ce programme continue en ce moment. C’est dans le cadre de ce projet, que je suis en train d’étudier la filière de l’hévéaculture. Les investissements chinois se sont orientés dans le secteur agricole ces quatre dernières années et notamment, dans l’extension de l’hévéaculture au Cameroun.

Le CIFOR a organisé les 22 et 23 mai 2013 au Cameroun, une conférence dont la toile de fond était, « la gestion durable des forêts d’Afrique Centrale : hier, aujourd’hui et demain ». A l’issue de cette rencontre, quel est donc l’état de cette gestion durable ?

Au sortir de la Conférence de Yaoundé, on peut dire que les acteurs qui opèrent dans le secteur forestier sont d’accord qu’il y a eu des progrès qui ont été faits en matière de gestion qualitative et quantitative des massifs forestiers en Afrique Centrale. De l’autre côté, il y a un certain nombre de choses qu’on peut et qu’on doit améliorer afin que, demain, les massifs forestiers du Bassin du Congo ne disparaissent pas. Cette plate-forme organisée par le CIFOR a permis aux acteurs de faire le bilan et,  de se projeter sur l’avenir en essayant d’intégrer la dimension des changements climatiques dans la gestion forestière. Il faut dire que la gestion forestière des quinze années post Rio n’avait pas la problématique de ces changements climatiques. On espère que la nouvelle phase va mieux appréhender le rôle des forêts dans les changements climatiques. Mais, un autre volet sur lequel les acteurs sont tombés d’accord, c’est la question de l’aménagement du territoire. Vous savez que les massifs forestiers font partie d’un territoire. Ce territoire fait l’objet de plusieurs utilisations parmi lesquelles, les plantations agro-industrielles. Cet espace peut également faire l’objet d’une exploitation des richesses du sous-sol, à travers les mines. Donc, comment mieux concilier tous ces usages forestier, agricole et minier ?  Cette dimension aussi n’a pas toujours été mieux intégrée dans la gestion forestière actuelle, maintenant il s’agit de véritablement tenir compte de l’utilisation des sols dans cette gestion forestière.

Le gouvernement du Cameroun a annoncé depuis quelques temps un mouvement de réformes dans les secteurs foncier et forestier. Pensez-vous que cette démarche sera bénéfique pour les populations ?

En principe, ces deux réformes devraient avoir des incidences positives sur le bien-être des populations, des communautés locales et des communautés autochtones en milieu rural. Mais ceci n’est possible que si véritablement l’on intègre les modes d’utilisation coutumiers dans les deux processus. Parce que, si on continue à marginaliser le mode coutumier d’utilisation des terres, je crois qu’on aura loupé une belle occasion de faire des pas pour améliorer les conditions de vie de nos populations locales. J’espère vivement que les deux révisions qui sont en cours devraient intégrer davantage la dimension de la tenure coutumière, au niveau du droit moderne.

Au terme de la conférence du CIFOR, les participants ont effectivement exhorté le gouvernement à effectuer cette révision de la loi forestière. Quelles sont les limites de la loi actuelle ?

Je voudrais dire qu’en dehors d’alimenter les décideurs avec des informations pertinentes, le CIFOR a, à travers ses multiples programmes de recherche, fait partie des acteurs qui ont mis en évidence les limites de la loi forestière du Cameroun. Il y a plusieurs exemples qui ont été documentés. J’en prendrai juste quelques uns ; premièrement, la question des changements climatiques n’avait pas été prise en compte lorsqu’on a adopté la loi de 1994 ; il s’avère nécessaire à présent de l’y intégrer. Et, plus haut, j’ai parlé des populations autochtones, les droits concédés et reconnus aux communautés locales au niveau la loi actuelle s’avèrent être des simples droits d’usage.  Or,  après avoir tenu compte de ces manquements, la nouvelle loi pourrait avoir des incidences comme je l’ai souligné au niveau de la vie des populations locales. Donc, il y a plusieurs dimensions qui méritent d’êtres intégrées dans la loi forestière, d’où la nécessité de la réviser.

Pensez-vous que la réforme de la loi sera effective ?

Je suis plutôt optimiste. Le  gouvernement de la République du Cameroun s’est engagé solennellement auprès des bailleurs de fonds comme l’Union Européenne et la Banque Mondiale, à réviser la loi et à l’adapter aux nouvelles exigences actuelles. Partant, je crois que cette réforme va aboutir. Mais, il faut avouer que le temps des réformes politiques n’est pas celui de l’opinion publique. Aussi, toutes les réformes politiques, notamment celles qui touchent aux questions sensibles comme celles des terres, dans aucun pays du monde, on a reformé la loi foncière en quelques jours. Cela prend toujours du temps parce que, ce sont des questions extrêmement sensibles à travers le monde. Car, si vous n’avez pas droit à la terre, votre vie est hypothéquée. Et la question de la terre est liée au sang et, les gens sont prêts à mourir pour leurs terres. Vous savez que depuis la fin de l’apartheid, il est question de faire une réforme foncière en Afrique du Sud ; cela prend du temps et, même au Zimbabwe, le dossier est en étude. On ne peut pas du jour au lendemain se lever et faire une réforme qui ne sera pas acceptée ; il faut donc prendre un peu de temps, c’est dans ce sens que j’exhorte les uns et les autres à faire preuve de patience. Pour qu’on puisse aboutir à une réforme, pas la meilleure du monde mais, une réforme acceptée par la majorité.

Propos recueillis par Larissa C. Likeng

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