Municipales et Législatives 2013 : Me Emmanuel Simh Avocat au barreau du Cameroun et vice-président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC)

«Les magistrats ont parfois rendu des décisions plus politiques que juridiques»

A la faveur des premières élections couplées municipales et législatives organisées sous la férule du Conseil électoral Elecam, près de 350 recours en contestation ont été déposés au greffe de la Cour Suprême siégeant tantôt en lieu et place du Conseil Constitutionnel, tantôt par sa Chambre Administrative. Impliqué dans cette joute judiciaire, Me Simh a tenu à donner sa lecture de la prestation des juges de la plus haute juridiction y compris en matière de contentieux électoral.

Maître vous êtes un homme de droit averti, mais aussi un homme politique important du parti MRC qui prend part pour la première fois aux élections municipales et législatives et partant au contentieux devant le juge. Comment est-ce que le parti s’est organisé pour mener ce premier contentieux ?

Le parti MRC auquel j’appartiens, a la chance d’avoir en son sein d’éminents avocats, et d’éminents juristes pris globalement. Et lorsque nous avons été confrontés au contentieux préélectoral, nous avons considéré le MRC comme un client qui sollicite des avocats. Nous avons  sollicité, non seulement des avocats membres du parti, mais également d’autres confrères qui ne sont pas membres du parti qui sont pour certains des sympathisants et d’autres des collègues qu’on a appelé pour leur expertise. Les dossiers qui m’étaient soumis, étaient donnés à chaque avocat, qui les lisait de manière personnelle. Après,  les avocats se retrouvaient en collège au siège du parti pour préparer les dossiers l’un après l’autre avant d’adopter une stratégie de défense et également les moyens que nous devions développer. On pensait bien  qu’il y avait une organisation parfaite de la défense du MRC, à raison. Cette organisation a permis je crois, que nous puissions avoir quelques résultats au cours de ce contentieux préélectoral. C’était un contentieux préélectoral, aussi il fallait que les différents intervenants puissent avoir la maitrise parfaite du code électoral et même des autres textes de loi qui gravitent autour du code électoral notamment  la constitution du Cameroun et des décrets qui avaient été pris par le président [ de la République] au cours de cette élection. Voilà un peu  comment nous avons travaillé et organisé la défense du MRC avant le contentieux pré électoral.

La Cour Suprême a reçu en somme près de 350 recours, est-ce là une marque de l’immaturité d’ELECAM comme le disent certains ou peut-être de la mauvais qualité de la loi électorale?

Je pense que tout cela se tient. Mais, il faut faire une analyse plus poussée pour ne pas accuser la loi seule ou Elecam seul ou les partis politiques seuls. Nous pensons que le premier problème auquel on a été confronté, c’est la mauvaise qualité de la loi électorale au Cameroun. Mais c’était prévisible parce que avant que cette loi ne soit adoptée, nous avons  pris la peine de prévenir les députés camerounais sur la mauvaise qualité de cette loi. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls. Vous vous souvenez qu’il y a les juristes catholiques qui avaient fait des propositions tout comme certains partis d’opposition.  Et cela fait que le consensus n’ayant pas eu lieu, on s’est trouvé avec une loi tellement mauvaise qu’elle était  même non opérationnelle. En effet, il y a une technique pour adopter une loi: il y a sa mise en œuvre, il y a sa rédaction et enfin  son opérationnalité. Il faut prendre une loi qui soit opérationnelle, une loi qui soit applicable or, le code électoral a failli à ces trois étapes-là. Donc, les acteurs, Elecam et les partis politiques ont eu des problèmes au niveau des dépôts des listes, des problèmes au niveau de leur examen. Je pense également que ce qui est le plus à blâmer dans cette affaire, c’est plus la mauvaise qualité de la loi, que les acteurs eux-mêmes.  On  ne peut pas accuser Elecam ou les partis politiques d’être immatures ou d’être analphabètes juridiquement. Je pense que nous étions tout simplement confrontés, je le répète à une loi qui était quasiment difficile à implémenter sur le terrain, c’est pour cela que vous voyez le nombre de recours qu’on a pu avoir. Une meilleure loi ferait que les recours soient beaucoup moins nombreux  et ne soient pas concentrés à Yaoundé seulement. En fait, si on appliquait même la loi qui porte sur les cours et tribunaux administratif, on aurait imaginé que le contentieux  soit porté au niveau des tribunaux administratifs qui  sont déjà ouverts et qui  sont opérationnels  au niveau de chaque région. Pourtant, si on avait pris en compte la compétence des ces tribunaux là, on aurait eu forcément beaucoup moins de dossiers à Yaoundé et le travail aurait été peut être plus  efficace.

Selon vous Elecam est-il à la hauteur de la tâche ?

Elecam est un organe qui en l’état, essaie de faire le travail avec les moyens qu’il a. Je vais vous surprendre,  moi je plains plus Elecam que je ne le blâme. Pourquoi je plains Elecam ? Elecam est en charge d’organiser les élections au Cameroun, pourtant,  c’est quelqu’un d’autre qui fixe le calendrier électoral. C’est un peu comme si, moi je dois organiser mon mariage, et c’est mon père qui décide du jour de ce mariage.  Logiquement, Elecam devrait avoir la maitrise du calendrier électoral,  c’est lui qui devait dire : « l’élection a lieu tel jour », quitte à ce que le  président de la République prenne un décret dans le délai qui lui sera imparti. Donc, Elecam était surpris comme tout le monde par la date des élections. Je me souviens que le président du Conseil Electoral, M. Fonkam  Azu’u était avec nous à une émission de télévision  le jour que le président [de la République] convoquait le corps électoral. Au cours de cette émission, lui-même prévoyait qu’après  l’allongement du mandat des conseillers municipaux, il se pourrait que l’élection ait lieu en novembre ou en décembre.

Votre parti s’est porté recourant dans plusieurs circonscriptions. Quelles en étaient les principales raisons ?

Il y avait des recours introduits par le MRC  aussi bien à la Cour Suprême statuant comme Conseil Constitutionnel d’une part, et d’autre part des recours du MRC à  la Chambre Administrative de cette Cour. S’agissant des premiers, il était  principalement question de la demande d’acceptation que nous avons introduite pour les listes non reçues par Elecam. Nous avions des listes dans le Mfoundi, dans les Bamboutos, dans les Hauts Plateaux et à Wouri- Est qu’Elecam  n’avait  simplement pas reçues, c'est-à-dire  qu’elles  n’ont pas été déposées du tout, au point où le Conseil électoral ne les a pas examinées. Donc, notre recours tendait à faire à ce que le Conseil Constitutionnel ordonne à la Direction Générale d’Elecam  (DGE) de recevoir nos dossiers puis de les transmettre audit Conseil. La Direction Générale  devait prendre le dossier, le transmettre  au conseil électoral qui devait donc statuer sur le dossier et le rejeter éventuellement pour dépôt tardif. Mais, nous pensions  que la DGE avait outrepassé ses compétences et par conséquent violé la loi. Donc au niveau des élections législatives, c’était là principalement  l’objet  de nos recours. Nous avions aussi des recours parce qu’il y avait des dossiers qui avaient été examinés par le Conseil puis avaient été rejetés pour des questions de genre; je pense qu’on en reparlera. En tout état de cause, c’était le cas à la Lekié-Est et à Wouri- ouest  notamment où nos listes avaient été rejetées par le Conseil électoral. Aussi, nous avons introduit des recours pour que le Conseil Constitutionnel puisse réhabiliter ces listes et faire qu’elles aillent en compétition. Et, c’était à peu près le même cas de figure pour les élections municipales à la Chambre Administrative de la Cour Suprême. La plus grande partie de notre contentieux au niveau  des municipales était le fait  que les partis politiques notamment le SDF et le RDPC avaient attaqué nos listes pour des raisons et d’autres, mais nous avons eu le bonheur après nos plaidoiries  de faire que tous les recours introduits contre nos listes par les partis politiques aient été rejetés et que  nous ayons eu gain de cause.

Quelles analyses vous inspirent les débats au cours des audiences dans l’ensemble du contentieux?

C’était des audiences-marathon. Les procédures que ce soit en matière pénale, civile, ou administrative ne doivent pas imposer à l’être humain des conditions inhumaines. On avait commencé  des audiences à 9 h, on les a terminées le lendemain à 17 h. Vous savez, il faut que le justiciable soit à mesure de présenter ses arguments  tant au niveau moral que physique. Il doit avoir la pleine possession de ses moyens. Certains partis politiques et certains candidats ont même dû se désister. Le deuxième problème maintenant qui était de fond était celui de la lecture à géométrie variable de la loi par les magistrats. Il n’y avait pas une jurisprudence déterminée dans tous les cas. Parfois on prenait une décision s’agissant de tel parti et dans les mêmes conditions d’un autre parti, on prenait des décisions légèrement différentes ou  diamétralement opposées. Et on verra même en analysant ces recours que le Conseil Constitutionnel n’a pas fait la même lecture que la Chambre Administrative, des notions « de genre » et de « composantes sociologiques ». La Cour Suprême avait pris des décisions au niveau des législatives plus fermes, en estimant par exemple qu’une liste aux législatives doit impérativement avoir une femme titulaire lorsqu’il  y avait plusieurs candidats et lorsqu’il  y avait  un seul candidat, il fallait qu’il  y ait absolument  un homme et une femme.  Alors que la Chambre Administrative a estimé vraiment que la loi n’ayant pas précisé la quotité des  femmes, ni leur position sur la liste, il suffisait qu’il y ait une seule femme pour qu’on dise que le genre avait été respecté. Donc, il s’agit là des lectures diamétralement opposées  et je pense que c’est regrettable. Mais nous estimons comme juristes que la Chambre Administrative était plus proche de la lecture juridique que le Conseil Constitutionnel. Et  la Chambre Administrative également a été très prudente sur la notion de composante sociologique , elle a rejeté tous les dossiers systématiquement où cette question-là était posée , en estimant que la loi étant floue elle-même , n’ayant pas dit la nomenclature précise de ce qu’elle entendait par « composante sociologique », il n’était pas prudent de rejeter une liste pour ce motif-là. Ainsi, la Chambre Administrative avait rejeté plusieurs recours relatifs à la composante sociologique;  j’insiste pour dire qu’elle est restée très prudente alors que le Conseil Constitutionnel s’est plus engagé. Je pense qu’il y a intérêt à ce que cette loi-là soit mieux écrite , qu’elle soit plus claire, qu’elle ne mette pas des zones d’ombres et même qu’il y ait une nomenclature des composantes sociologiques dans chaque arrondissement, parce qu’il est évident que la composante sociologique  ne peut pas être la même dans un arrondissement reculé du pays, comme dans un arrondissement de  la ville de Yaoundé ou de Douala.

A vous entendre, il faut modifier cette loi électorale ?

Je vais être sincère avec vous. Le MRC n’appelle pas à une modification de la loi électorale, nous appelons à une nouvelle loi  électorale. Parce que la loi électorale que nous avons aujourd’hui qui résulte de l’Assemblée Nationale  depuis la session d’Avril 2012 est une loi qui a été faite sur la base de droit constant, c'est-à-dire qu’on a pris des anciens textes qu’on a compilés pour faire un code, d’un. De deux , il faut donc qu’il y ait une nouvelle loi soumise aux différents acteurs aussi bien aux magistrats, aux partis politiques , à la société civile qu’au Parlement; cela permet qu’il  y ait un consensus sur la loi et que les dispositions qui sont floues soient définies de manière claire et qu’on ne renvoie pas comme cela est le cas aujourd’hui, à d’autres textes d’applications qui malheureusement,  n’ont pas été pris. L’article 298 du code électoral actuel le prévoit pourtant.

Le MRC est à son coup d’essai le 30 septembre prochain. Doit-on s’attendre à une surprise à la promulgation des résultats?

Le MRC est un parti qui a quelques mois seulement d’existence, nous sommes, je crois, le plus jeune parti en compétition. Je voudrais remarquer qu’à part les anciennes formations politiques qui  étaient  établies,  nous sommes quand même l’un des partis qui présente des candidatures sur une bonne partie du territoire national. Mais je peux vous dire que nous apporterons quelque chose de nouveau que les camerounais découvrirons  par eux-même dans les prochains jours qui viennent. Pour les résultats c’est une compétition, nous n’avons encore pour l’instant rien gagné, nous ne saurons donc avoir la grosse tête et prétendre que parce que nous sommes aujourd’hui bien connus dans  le paysage médiatique et politique.  Si on a un élu, ce sera bien, si on a deux élus, ce sera très bien, si on a cinq ce sera encore beaucoup mieux. Mais, nous pensons que tel que nous parlons aux Camerounais, nous avons des  raisons  d’espérer; nous restons sereins, nous restons humbles, nous pensons que les Camerounais auront suivi le message au soir du 30 Septembre.

Propos recueillis par Willy S. Zogo

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